Martine Wonner à l'Assemblée nationale en 2017 (AFP / Stephane De Sakutin)

Masques, virulence, hydroxychloroquine : plusieurs affirmations de la députée Martine Wonner à propos du Covid sont erronées

  • Cet article date de plus d'un an
  • Publié le 06 octobre 2020 à 17:45
  • Lecture : 9 min
  • Par : Julie CHARPENTRAT
Des publications partagées des milliers de fois sur les réseaux sociaux relaient des propos de la députée Martine Wonner tenus devant l'Assemblée nationale dans la nuit du 1er au 2 octobre 2020. Dans les 3 minutes d'intervention  partagées sur les réseaux sociaux, elle affirme notamment que le virus a perdu en virulence, que l'agence sanitaire américaine a dit que les masques "ne servent à rien" ou que la Belgique "va réautoriser à partir de la semaine prochaine le traitement par azythromycine et hydroxychloroquine". Ces affirmations sont fausses, comme l'ont expliqué plusieurs experts à l'AFP.

On retrouve la vidéo de cette intervention et ses principaux points résumés par écrit ici par exemple, dans cette publication Facebook partagée au moins 10.000 fois depuis le 2 octobre. On la trouve aussi (6.100 partages) sur Facebook et encore ici sur YouTube, la vidéo cumulant plus de 300.000 vues depuis la même date.

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Capture d'écran de Facebook faite le 6 octobre 2020

La vidéo originale (à 4h 38' 35") de l'intervention de l'élue alsacienne se trouve ici sur le site de l'Assemblée nationale. 

Qui est Martine Wonner ?

Elle est députée du Bas-Rhin, élue sous l'étiquette LREM. Elle a été exclue de son groupe parlementaire en mai après avoir voté contre la stratégie de déconfinement du gouvernement.

Médecin psychiatre, elle a multiplié ces derniers mois les prises de parole en faveur du traitement du Covid par l'hydroxychloroquine, un médicament dont l'efficacité n'a pas été prouvée, comme expliqué dans de nombreux articles de l'AFP.

Certaines publications relayant ses propos affirment en outre que l'Assemblée nationale a voté dans la nuit du 1er au 2 octobre"la prolongation de l'état d'urgence sanitaire jusqu'au 1er avril". 

En réalité, comme expliqué dans cette dépêche et dans cet article du site officiel vie-publique.fr, l'Assemblée a voté en première lecture le projet de loi prorogeant le régime transitoire de sortie de l'état d'urgence et non l'état d'urgence lui-même.

"Instauré pour deux mois par la loi du 23 mars 2020, l'état d'urgence sanitaire a été prolongé une fois jusqu'au 10 juillet inclus. La loi du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire met en place un régime transitoire à partir du 11 juillet qui autorise le gouvernement à prendre des mesures exceptionnelles jusqu'au 31 octobre 2020 pour faire face à l'épidémie de Covid-19", explique le site vie-publique. C'est ce régime transitoire qui doit être prorogé par un vote parlementaire.

Entre autres différences avec l'état d'urgence, ce régime de "sortie" ne permet au gouvernement de décider d'un nouveau confinement généralisé. 

Des patients en réanimation qui ont "simplement besoin de trois litres d'oxygène" : IMPRECIS

Pour défendre l'idée que la pandémie perd en gravité, l'élue affirme que les hôpitaux placent aujourd'hui en "réa" des patients qui ne sont pas gravement atteints car n'ayant besoin que d'une assistance réduite en oxygène.

Les hôpitaux "mettent aujourd'hui des patients [en réa] qui ont simplement besoin de 3 litres d'oxygène" et "je peux vous dire que 2 ou 3 litres d'oxygène c'est du jamais vu, on n'a jamais mis ce type de patients en réanimation".

Mais son argument ne tient pas, a expliqué dans un mail à l'AFP le 5 octobre le Pr Xavier Capdevila, responsable du département anesthésiologie-réanimation chirurgicale au CHU de Montpellier.

Dans ces propos, "il y a de grandes méconnaissances dans la dénomination des services qui prennent en charge, dans la sémiologie [symptomatologie, NDLR] qui amène le patient en réanimation, dans la temporalité du traitement et dans le type de soins réalisés chez le patient", relève le médecin, qui note qu'il y a différents critères dans la décision de placer quelqu'un en réanimation.

Il y a plusieurs cas de figure où un patient Covid sous faible oxygénation peut se trouver un réa, explique-t-il.

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Un patient Covid intubé dans un hôpital chilien en juin 2020 (AFP / Martin Bernetti)

"Non, le patient n'est pas admis en réanimation parce qu’il a besoin de 2 ou 3 litres d’oxygène par voie nasale mais parce que les signes d'une défaillance d’organe (en l'occurrence le poumon et son corollaire l'insuffisance respiratoire) nécessitent une réanimation qui peut commencer par trois litres d’oxygène et très rapidement être poursuivie par une oxygénothérapie à haut débit (...) ou par une ventilation non invasive [avec un masque par exemple] ou invasive [via un tube dans la trachée, l'intubation, par exemple]", explique notamment le Pr Capdevila.

Un patient porteur du Covid (même s'il est asymptomatique) peut avoir besoin d'aller en réanimation sous faible débit d'oxygène après une lourde intervention chirurgicale, de même qu'un patient peut avoir besoin de rester quelques jours en réa avec une oxygénation à faible débit au sortir d'une "phase aiguë" de réanimation, dit-il encore. 

Ce qui est exact en revanche, c'est que les médecins ont progressivement davantage recours à l'oxygénothérapie par voie nasale (quand c'est possible) qu'à l'intubation sur des patients Covid qu'au début de la pandémie, comme expliqué par des scientifiques dans cette dépêche AFP. Cette méthode est plus simple à appliquer et bien moins lourde pour le patient.

"Le pourcentage de patients intubés et ventilés est passé de 80% en première vague à 40-50% actuellement. Pour autant le traitement ne se résume pas à 3 litres d’oxygène par voie nasale" , dit encore Xavier Capdevila.

"Ces mutants viraux sont, aujourd'hui, nettement moins virulents" : FAUX

Au 6 octobre 2020, cette affirmation est erronée. Comme expliqué par de nombreux scientifiques - notamment dans cette dépêche AFP - les mutations du Sars-CoV-2 observées jusqu'ici ne montrent pas qu'il ait muté de façon à modifier sensiblement ses effets sur l’être humain. 

Rien ne permet donc d'affirmer que le virus serait moins virulent qu'avant, ou inversement.

En outre, il est parfaitement normal qu'un virus mute. C'est son mode normal d'évolution. Quand il pénètre dans une cellule, un virus se réplique: il se copie lui-même pour se propager. Et à chaque réplication, des erreurs se produisent dans la copie du génome du virus. 

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Une visualisation de l'ADN du Sars-CoV-2 au Pérou en juin 2020 (AFP / Ernesto Benavides)

"Pour l'instant, tous les virologues nous disent que les mutations sont trop faibles pour que l'une d'entre elles soit considérée comme ayant un vrai effet sur le virus", a résumé le 30 septembre Yves Van Laethem, spécialiste des maladies infectieuses et porte-parole interfédéral de la lutte contre le Covid-19 en Belgique, à l'AFP. 

Dire que le virus "a perdu de sa virulence" est une fausse affirmation, a aussi confirmé le 30 septembre à l'AFP Frédéric Cotton, chef du service de chimie médicale au Laboratoire Hospitalier Universitaire de Bruxelles.

 "Le virus a muté, c'est normal car sa séquence génétique évolue au fil du temps. Pour l'instant, on a l'impression que le virus est moins virulent car on teste plus, il y a donc moins d'hospitalisations et de décès par rapport au nombre de cas positifs (comparé au premier pic de l’épidémie en mars et avril, NDLR). Mais c'est un effet psychologique", dit-il encore.

"La Belgique va réautoriser à partir de la semaine prochaine le traitement par azythromycine et hydroxychloroquine… arrêtons de dire qu'il n'y a pas de traitement" : FAUX

Cette idée vient vraisemblablement d'une étude belge publiée le 24 août portant sur plus de 8.000 patients Covid hospitalisés en Belgique et qui avait observé une mortalité plus basse chez les patients ayant reçu de l'hydroxychloroquine.

Il s'agissait d'une étude rétrospective et observationnelle : les chercheurs ont examiné les données a posteriori, un type d'étude considéré comme moins solide que les essais cliniques contrôlés randomisés. Le plus important de ce type à ce jour - Recovery- avait conclu début juin à l'inefficacité de la molécule. 

Quant aux autorités belges, elles n'ont pas prévu de modifier leurs recommandations. 

"Les autorités n'ont prévu aucune réintroduction de l'hydroxychloroquine ou de l'azyithromicine" a indiqué à l'AFP Yves Van Laethem le 5 octobre par téléphone.

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Une boîte d'hydroxychloroquine en Inde en avril 2020 (AFP/ Narinder Nanu)

En outre, l'auteur de l'une des publications Facebook ajoute entre crochets cette affirmation après la retranscription de celle de Martine Wonner : " Je signale que, depuis le 11 juillet 2020, les médecins français ont le droit de prescrire de l’hydroxychloroquine et que les pharmaciens doivent honorer la prescription". 

C'est faux : la prescription d'hydroxychloroquine dans le cadre d'un Covid 19, hors essais cliniques, n'est pas permise en France. L'AFP a déjà expliqué ici d'où venait la confusion, la molécule ayant fait l'objet de plusieurs textes officiels successifs. 

A ce jour, l'hydroxychloroquine ne peut être prescrite en France que pour ses indications d'origine, comme la polyarthrite rhumatoïde ou certains lupus. 

La molécule n'est pas considérée comme un "traitement" du Covid-19.

En outre, comme expliqué par l'Ordre national des pharmaciens, un pharmacien peut refuser de délivrer un médicament même si le patient a une ordonnance. 

"Le CDC vient de faire des excuses aux américains : le masque ne sert strictement à rien. Et il vient d'expliquer que le virus circule par manuportage et qu'il n'a jamais été prouvé qu'il soit aérien". FAUX

L'Agence américaine de contrôle des maladies, les Centers of disease control (CDC), n'a pas dit cela.

Comme le montrent de multiples pages de son site internet et d'innombrables tweets de son compte @CDCgov, l'Agence recommande le port du masque pour limiter la propagation du virus. 

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Capture d'écran du site internet des CDC faite le 6 octobre 2020

De nombreux scientifiques ont expliqué dans de multiples articles de l'AFP que le masque est une mesure utile pour limiter la propagation du virus, en plus de la distance physique et du lavage des mains.

Quant aux moyens de transmission du Covid, il est admis depuis les débuts de la pandémie que le virus peut se transmettre par les mains ("manuportée"), servant de vecteur au virus.

En outre, il s'agit d'un des moyens de transmission : lorsque les gouttelettes contaminées expulsées par un malade qui a toussé ou éternué se déposent les mains de quelqu'un ou sur une surface quelqu'un d'autre vient ensuite toucher.

S'ils portent ses mains aux yeux, la bouche ou le nez, ils peuvent se contaminer : c'est dans ce cas qu'on dit qu'un virus est manuporté.

Mais le Covid se transmet le plus souvent directement via les postillons expulsés par une personne malade vers les yeux, le nez ou la bouche d'une personne saine. 

Quant à la transmission par l'air (via de fines gouttelettes restées en suspension dans l'air), elle fait l'objet de questionnements depuis des mois mais les scientifiques estiment maintenant très probable que le Covid se transmette aussi de cette façon, comme récapitulé dans cette dépêche AFP. 

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Affiche rappelant la nécessité du port du masque au Royaume-Uni le 6 octobre 2020 (AFP/Paul Ellis)

Contrairement à ce qu'a dit Martine Wonner, les CDC ne disent pas autre chose. Mais un cafouillage de communication de la part de l'agence américaine mi-septembre a semé la confusion, que certains ont voulu interpréter comme un retropédalage. 

Le 18 septembre, l'agence a brièvement publié sur son site une mise à jour de la page de son site consacrée à la transmission du virus ("How Covid-19 spreads") et qui mentionnait la possibilité de transmissions aériennes ("airborne transmission").

Elle l'a ensuite retirée, expliquant avoir publié cette mise à jour par erreur alors qu'elle n'avait pas encore été validée en interne.

L'histoire est rapportée ici par la chaine américaine CNN. 

Cette dépublication a été interprétée par certains comme la preuve que l'agence avait changé d'avis et réfutait la transmission aéroportée.

C'est à cette surinterprétation erronée que s'est livrée Martine Wonner à l'Assemblée nationale.

D'ailleurs, le 5 octobre, les CDC ont comme prévu finalement mis en ligne leur mise à jour avec ajout d'un paragraphe titré "le Covid-19 peut parfois se transmettre par voie aérienne".

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Capture d'écran du site des CDC faite le 6 octobre 2020

C'est bien parce qu'il se transmet par des gouttelettes (plus ou moins grosses) expulsées par le nez ou la bouche que le masque est considéré comme un moyen efficace de lutte contre le Covid.

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