Des tubes contenant des cellules en France en 2021 (AFP / Philippe LOPEZ)

USA : attention à ces affirmations trompeuses autour de la recherche médicale sur des tissus de foetus

Dans de nombreux pays et particulièrement aux Etats-Unis, la question de l'avortement est explosive et la thématique suscite souvent des infox. Régulièrement, les milieux complotistes d'extrême-droite avancent des accusations infondées faisant des démocrates des trafiquants d'enfants. Ainsi par exemple, des internautes accusent l'administration Obama d'avoir organisé un système de collecte de morceaux de foetus avortés dans un but lucratif voire d'avoir planifié des avortements dans ce but. Mais attention : si des recherches médicales sur des tissus foetaux sont bien menées aux Etats-Unis, elles existent depuis des décennies et sont strictement encadrées par la loi. Elles ne sont pas à but lucratif et les tissus sont prélevés, avec l'accord de la mère, sur des foetus décédés après une IVG, une fausse couche, ou mort-né.

"L’administration OBAMA achetait des BÉBÉS AVORTÉS ainsi que leurs parties du corps. Certaines agences fédérales [...] étaient impliquées dans ces programmes. Cela montre à quel point cette administration était démoniaque et révèle le vrai visage de ceux qui la servaient", soutient une internaute dans une publication virale publiée sur X le 23 octobre 2025. 

Elle cite, en guise de source, un certain Tom Fitton, que l'on voit s'exprimer dans la vidéo jointe au message, en tant que "président de Judicial Watch", une fondation américaine "conservatrice" militant pour "la transparence" du gouvernement, d'après le descriptif de son site (lien archivé ici).

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Capture d'écran X et croix orange réalisées par l'AFP le 28 octobre 2025.

"L'administration Obama achetait des têtes de bébés pour 515 dollars, parmi bien d’autres, pour la recherche scientifique. Pour que les tests fonctionnent, ces 'parties' devaient être fraîches, l'ADN et les tissus ne pouvaient pas être morts", poursuit l'internaute, en se demandant si ces parties du corps humain étaient "le résultat d'avortements planifiés" et en remerciant le "président Trump qui a immédiatement annulé ces programmes dès son arrivée au pouvoir".

Cette assertion, également relayée dans d'autres publications sur X comme sur Facebook, n'est autre que la traduction d'un texte initialement partagé en anglais sur X le 22 octobre 2025.

Mais ces affirmations sont trompeuses : elles présentent un programme de recherche scientifique sur les tissus fœtaux, en vigueur depuis des décennies sous différentes administrations américaines, comme une spécificité des deux mandats de Barack Obama (2009-2017).

Surtout, elles laissent penser, à tort, que cette pratique reposait sur des avortements réalisés dans ce seul but et se faisait hors de tout cadre légal, à des fins malveillantes. 

Un sujet de recherche existant depuis des décennies

Comme l'explique le site des National Institutes of Health (NIH), les institutions gouvernementales américaines en charge de la recherche médicale et biomédicale (lien archivé ici), le terme de "tissu fœtal" englobe le "tissu ou les cellules obtenus à partir d'un embryon ou d'un fœtus humain décédé après une interruption volontaire de grossesse [IVG] ou une fausse couche, ou mort-né."

Les recherches scientifiques sur les tissus fœtaux sont menées de longue date aux Etats-Unis : elles ont notamment permis, dans les années 1950, le développement du vaccin contre la polio, grâce à l'utilisation de "lignées cellulaires fœtales", rappellent les NIH (lien archivé ici). 

Selon le document récapitulatif sur la recherche scientifique autour des tissus fœtaux rédigé en 2019 par le Service de documentation du Congrès américain (lien archivé ici), celle-ci est menée aussi bien pour réaliser des études directement sur ces tissus - plus faciles à cultiver en laboratoire que les cellules adultes - en vue d'étudier le développement du corps humain, que pour construire des modèles scientifiques permettant d'étudier différentes maladies. 

En plus d'avoir permis le développement de vaccins, notamment contre l'hépatite A, la rubéole, la varicelle et le zona, ces tissus ont ainsi été utilisés pour étudier différentes maladies infectieuses, comme le VIH, le virus de la dengue, le virus de l'hépatite C, le virus Ebola et la tuberculose.

Les cellules fœtales sont aussi étudiées dans le cadre de la recherche sur la transplantation, en vue de pouvoir remplacer des tissus ou cellules endommagés. 

Au vu de sa nature sensible, la recherche scientifique autour des tissus fœtaux est strictement encadrée aux Etats-Unis, et ce, depuis l'adoption de mesures législatives spécifiques dans les années 1970. 

Ainsi que le détaille le site des NIH, toute recherche scientifique financée par des fonds fédéraux relative aux tissus fœtaux et à la transplantation doit ainsi répondre à plusieurs conditions cumulatives, dont le consentement écrit de la femme faisant don de son tissu foetal à des fins de recherche scientifique.

Son médecin référent doit quand à lui indiquer par écrit que son consentement à l'IVG était antérieur à "toute demande ou obtention d'un don de tissu fœtal à la recherche" et qu'elle a bien consenti ensuite à donner ce tissu, sans connaître son destinataire. 

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Le président américain Donald Trump au cours d'une conférence de presse des NIH, le 2 mars 2020 à Bethesda (Maryland). (AFP / BRENDAN SMIALOWSKI)

Une accusation datant du second mandat de Barack Obama

Comme l'explique le Service de documentation du Congrès, les tissus fœtaux destinés à la recherche sont collectés dans des établissements de santé et transférés à des laboratoires, "souvent par l'intermédiaire d'une entreprise de biotechnologie, d'une université ou d'un centre médical". 

Si la loi américaine dispose qu'il est illégal de vendre ces tissus fœtaux contre toute "contrepartie de valeur", cette notion n'inclut pas les paiements "raisonnables" liés au "transport, à l'implantation, au traitement, à la préservation, au contrôle de qualité ou au stockage" de ces derniers. 

Toute violation de ce cadre est passible d'amendes et/ou de peines d'emprisonnement inférieures ou égales à 10 ans.

Dès 2000, au Congrès américain (lien archivé ici), était posée la question de savoir si ces spécimens médicaux pouvaient être vendus en violation de la loi fédérale - soit bien avant la première des deux administrations Obama.

D'où provient donc l'accusation spécifique d'achat de "têtes de bébé pour 515 dollars" l'unité par l'administration du président démocrate, avancée notamment dans la vidéo de Tom Fitton ?

D'une controverse survenue à l'été 2015, pendant le deuxième mandat du président démocrate, quand un groupe anti-avortement, le Center for medical progress, a accusé le planning familial américain (Planned Parenthood Federation of America) de vendre des tissus fœtaux pour s'enrichir. 

Ainsi que le relatait à l'époque le New York Times (lien archivé ici), nombre de chercheurs se procuraient ces objets de recherche scientifique auprès de deux intermédiaires, StemExpress et Advanced Bioscience Ressources (ABR), qui achetaient ces tissus à des organismes comme le planning familial avant de les revendre - dans le cadre des paiements "raisonnables" - moyennant un prix variable selon l'âge du fœtus mais généralement pour une centaine de dollars.

Le New York Times rappelait au passage que les NIH avaient financé une cinquantaine d'universités pour 76 millions de dollars de bourses de recherche scientifique autour des tissus fœtaux en 2014. 

En septembre 2021, la fondation conservatrice Judicial Watch a obtenu, suite à sa demande de Freedom of Information act - la loi américaine sur la liberté d'accès à l'information, qui oblige les agences fédérales américaines à transmettre à tous ceux qui en font la demande leurs documents - près de 200 pages de documents de la FDA, l'Agence américaine du médicament, contenant notamment certains échanges avec ABR.

On y trouve notamment, dans une facture d'ABR, la mention d'un "crâne de bébé" entre 8 et 24 semaines à 515 dollars. 

Mais ce spécimen est relatif aux échanges courants menés par les agences fédérales dans le cadre de la recherche scientifique sur les tissus fœtaux et n'a donc rien à voir avec une prétendue demande de l'administration Obama. 

En outre, la vidéo de Tom Fitton repartagée en octobre 2025 date en réalité de septembre 2021 (lien archivé ici), soit au moment où Judicial Watch avait obtenu (et médiatisé) les échanges entre la FDA et ABR.

Si l'administration Trump a bien mis fin en juin 2019, lors de son premier mandat (lien archivé ici), à toute recherche médicale dans les centres fédéraux sur les tissus prélevés sur des foetus avortés, et interdit aux chercheurs du NIH de travailler sur ces derniers, ces mesures ont depuis été annulées par l'administration de Joe Biden en avril 2021 (lien archivé ici).

Depuis la seconde élection de Donald Trump, en janvier 2025, 17 bourses de recherche financées par les NIH et liées aux tissus fœtaux n'ont pas été renouvelées (lien archivé ici), ce qui suscite l'inquiétude de certains scientifiques quant à de nouvelles mesures restrictives dans ce domaine de recherche - mais Donald Trump n'a, à ce jour, pas "annulé ces programmes". 

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