Attention à ces fausses astuces naturelles pour avorter qui circulent en ligne

Près de 40% des femmes en âge de procréer vivent dans des pays qui interdisent ou restreignent le recours à l’avortement, selon le Center for Reproductive Rights. Cette interdiction pousse les femmes à trouver des solutions alternatives clandestines. Sur Facebook, des dizaines de publications virales en Afrique vantent les mérites de “solutions naturelles” à base d’aliments comme le citron, l’ananas ou encore le gingembre pour avorter en quelques heures, voire quelques minutes. Mais c’est faux : ces ingrédients n’ont aucun pouvoir abortif, selon plusieurs experts interrogés par l’AFP. Ces recettes constituent plutôt de vraies arnaques pour soutirer de l'argent à ces femmes enceintes, avant parfois de leur proposer des solutions plus radicales et dangereuses pour leur santé. 

L'accès à l'avortement reste très inégal dans le monde et notamment en Afrique, où la plupart des pays interdissent totalement ou partiellement l'Interruption volontaire de grossesse (IVG). Faute de prise en charge médicale, beaucoup de femmes et de jeunes filles recourent à des alternatives clandestines. Sur les réseaux sociaux, de nombreuses pages spécialisées proposent des avortements basés sur des pseudo-connaissances en pharmacopée traditionnelle et des recettes insolites.

Avortement de grossesse de 0 à 7 mois avec une astuce naturelle très efficace qui permet d’avorter dans 1 heure”, promet ainsi la publication d'un certain "Docteur Christian",  partagée 2.200 fois sur Facebook depuis le 14 janvier (archivée ici). 

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Capture d'écran d'une publication Facebook, réalisée le 25 février 2025 / Croix rouge rajoutée par l'AFP

La publication s’accompagne de photos de fruits assez communs, comme le citron. Sur cette même page basée en Côte d'Ivoire, d'autres posts mettent en avant de l’ananas, du gingembre, de l’ail, des plantes herbacées mais aussi du café instantané ou encore des bouteilles de Coca- Cola (archivés iciici). 

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Captures d'écrans de publications Facebook, réalisées le 28 février 2025

D’autres comptes basés en Côte d’Ivoire (ici,) ici) ou au Burkina Faso ( ici, ici), deux pays qui restreignent fortement l’accès à l’avortement, proposent des solutions miracles similaires. On trouve aussi des occurrences au Bénin, qui lui autorise l’IVG jusque 12 semaines depuis 2021 (ici, ici, ici) 

Dans toutes ces publications, on retrouve quasi systématiquement des photos d’ananas, de citron et de gingembre et la promesse d’un avortement naturel et simple à réaliser. Certains comptes vont même jusqu’à publier photos sanguinolentes censées montrer les foetus expulsés ou des captures d’écran de conversations WhatsApp avec de supposées clientes satisfaites. 

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Capture d'écran d'une publication Facebook, réalisée le 28 février 2025

Mais attention, ces recettes “miracles” ne marchent pas, constituent des arnaques financières et conduisent in fine les femmes à se diriger vers des moyens plus extrêmes qui mettent leur santé en danger. 

Aucun fruit ne provoque de fausses couches

Les fruits présentés sur les publications n’ont pas de pouvoir abortif, assure à l’AFP le docteur Gérard Okon, gynécologue à Abidjan et membre de la Société de Gynécologie et d’Obstétrique de Côte d’Ivoire (SOGOCI). Le citron, l’ananas ou encore le gingembre “peuvent être utilisés comme tels” par les femmes enceintes, car “aucun fruit n’est contre-indiqué pendant cette période”, affirme-t-il.

Le médecin estime que la désinformation autour de ce genre d'aliments provient des croyances populaires véhiculées par “nos mamans” africaines, qui affirment par exemple que “l'eau de coco ou l’ananas par peut déclencher un avortement”. Ce sont “la culture et les mœurs” qui poussent à interdire ces fruits “et donnent ces restrictions alimentaires”, mais “en réalité, il n'y a pas de contre-indications” médicalesouligne le docteur Okon.

La plupart des aliments, incluant la papaye et l’ananas”, mais aussi “la pêche et le crabe”, “n’augmentent pas le risque de fausse couche”, confirme sur son site internet l’Alima, centre de centre de nutrition sociale périnatale du Québec. Ces croyances “ne sont pas appuyées par la science” et la femme enceinte peut “consommer ces aliments sans crainte”, ajoute le centre.

Beaucoup de femmes enceintes consomment "de l'ananas, de la papaye" dans le cadre de leur grossesse sans aucun problème et le gingembre leur est même souvent prescrit pour limiter les effets des nausées, corrobore le docteur Philippe Deruelle, professeur de gynécologie et chef du service gynécologie-obsétrique au CHU de Montpellier. 

Penser que la consommation de ces fruits ou d'autres aliments pourrait conduire à un avortement n'a "pharmacologiquementaucun sens", martèle le docteur interrogé par l'AFP. Il explique que les "charlatans" qui véhiculent ce genre de mixture s'appuient sur le fait réel que beaucoup de médicaments sont des dérivés de plantes, mais souligne que les aliments cités et les fruits en général "ne contiennent aucune molécule qui pourrait être responsable d'un avortement". 

Et même s'ils en contenaient, les extraits de plantes présents dans les médicaments sont "très concentrés", donc "consommer simplement une décoction à base de fruits ne serait pas efficace pour arrêter une grossesse", explique celui qui est aussi président du CNPGO (Conseil National Professionnel de Gynécologie et Obstétrique). 

"Moi-même pour provoquer une IVG médicamenteuse, j'ai besoin de donner des médicaments qui sont extrêmement puissants", explique le docteur Deruelle: tout d'abord un "anti-progestérone" qui va gêner le développement de la grossesse, puis une "prostaglandine, une molécule inflammatoire très concentrée qui va provoquer l'expulsion" du foetus. 

Concernant le café et ses dérivés, la caféine constitue une molécule qui peut éventuellement avoir à terme des conséquences néfastes sur les grossesses. Mais uniquement en cas de consommation intense (plus trois tasses par jour) et prolongée sur plusieurs mois, explique le praticien. L'AFP avait déjà vérifié en 2022 des affirmations fausses selon lesquelles le Coca-Cola pouvait provoquer un avortement.

Philippe Deruelle rappelle aussi qu'aucun produit, aussi efficace soit-il, ne peut déclencher d'avortement en quelques minutes ou quelques heures. "Même avec les molécules extrêmement puissantes d'un avortement médicamenteux et dédiées pour ca, un avortement prendre entre 36H et 48H", explique-t-il, ces mensonges sur la durée sont "encore une manière d'attirer le client". 

Services payants et comptes de faux praticiens 

Les personnes derrière ce genre de publications se font en général passer pour des soignants : ils revendiquent le titre de "docteur" ou bien s'affichent en tenue médicale. Mais généralement "ce ne sont pas des professionnels de santé", met en garde le docteur Deruelle: ils sont là pour extorquer de l'argent aux femmes les moins fortunées qui ne peuvent se payer un avortement clandestin médicamenté.

Car obtenir la recette détaillée de ces “remèdes miracles” - pourtant inefficaces mais alléchants sur le papier - est en réalité payant. 

Certains comptes affichent dès le début leurs tarifs, comme dans cette publication réclamant entre 10.000 et 12.000 francs CFA (entre 15 et 18,5 euros). D’autres ne demandent de l’argent qu’une fois qu'ils ont échangé quelques messages avec la femme enceinte. 

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Capture d'écran d'une publication Facebook, réalisée le 28 février 2025

Ainsi, la personne derrière le compte "Docteur Christian", contactée sur WhatsApp par AFP Factuel en se faisant passer pour une jeune fille désireuse d'avorter, réclame rapidement dans un message audio 15.000 francs CFA (22,86 euros) pour délivrer la recette exacte de son “astuce naturelle” censée débarrasser “en même pas 30 minutes” de toute grossesse non désirée.

Ces sommes sont conséquentes pour une femme ivoirienne, lorsqu'on sait que le salaire moyen dans le pays s'élève à 97.266 CFA par mois (soit 148,28 euros), selon un rapport de la Banque Mondiale publié en 2015 (détails p.23). 

Cette prise de contact révèle par ailleurs que l'homme tenant le compte n’est pas le praticien qu’il prétend être, mais qu'il gère en réalité différents comptes de ce type sous l'identité de plusieurs soignants. En effet, dès les débuts des échanges, il se présente sous un nom différent de celui évoqué sur la page Facebook initiale. 

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Capture d'écran d'une conversation entre une journaliste et le détenteur du compte Facebook "Docteur Christian", réalisée le 28 février 2025

Dans la description de son compte WhatsApp, on trouve un lien vers une autre page Facebook, intitulée “Docteur roro". Sur cette page, on retrouve des publications similaires à celles présentes sur le compte “Docteur Christian”, avec des images de boissons à base de citrons ou d’ananas. 

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Captures d'écran de publications des comptes Facebook "Docteur Christian" (à gauche) et "Docteur Roro" (à droite), réalisée le 28 février 2025

Dans les pays où l’avortement est interdit ou restreint, la compétence du prestataire lorsqu’une femme cherche à avorter discrètement fait "rarement l’objet de questionnement", car il est souvent "perçu comme une aide", met en garde Médecins du Monde dans un rapport (détails p.10). Ce qui favorise les arnaques de ce type.

Interdiction de l’IVG, terreau fertile aux arnaques

La majorité des femmes en Afrique subsaharienne vivent dans des pays qui restreignent “fortement ou modérément” l’accès à l’avortement, selon l'Institut Guttmacher (archivé ici), organisation américaine de recherche qui fournit des statistiques sur l'avortement dans le monde.

Six pays africains pénalisent encore totalement l’avortement, qu’importent les circonstances de la grossesse : le Sénégal, la République du Congo, l’Égypte, la Sierra Leone, la Mauritanie et Madagascar. D’autres ont légèrement assoupli leur législation, tolérant quelques exceptions. En Côte d’Ivoire par exemple, l’avortement est puni de six mois à deux ans de prisons et d'une amende de 50.000 à 500.000 francs CFA, mais il est désormais possible d'avorter en cas de danger médical pour la vie de la mère (IMG) ou de grossesse résultant d'un viol ou d'un inceste. 

Même si la loi a enfin évolué (...) ça ne prend pas encore en compte le désir de la femme de décider de donner la vie ou pas”, tempère auprès de l’AFP Sylvia Apata, juriste et cofondatrice de la CEPDF, une ONG féministe de lutte contre les violences faites aux femmes et aux filles

C'est d'autant plus problématique que beaucoup de grossesses non désirées interviennent chez de très jeunes filles, notamment à cause du manque d'éducation sexuelle en Côte d'Ivoire, souligne-t-elle. Selon une étude de Médecins du Monde publiée fin 2019, 64% des femmes en Côte d'Ivoire ayant pratiqué un avortement avaient moins de 20 ans (étude archivée ici, p.36). 

Pour les femmes désirant simplement décider du moment de leur grossesse, il ne reste que les voies illégales. “Des cliniques pratiquent l’avortement dans l’illégalité et de manière médicalisée”, indique Sylvia Apata, mais leur coût est très élevé et donc réservée aux femmes les plus aisées. Les autres “se débrouillent entre elles et sont obligées de se partager des recettes” ou des pratiques “très dangereuses”, explique-t-elle.  

Pratiques dangereuses 

Loin de restreindre le recours à l'avortement, son interdiction contribue seulement à l'émergence "d'un marché informel d’interruption volontaire de grossesses, avec tous les risques sanitaires que cela comporte", selon Médecins du Monde.  L’OMS soulignait ainsi en 2017 que dans les pays où les restrictions sont les plus sévères, seul un avortement sur quatre est sécurisé, contre près de neuf sur dix dans les pays où la procédure est largement légalisée.

Les décoctions à base de fruits étudiées ici ne sont pas nocives en soi, mais elles constituent le premier rouage d’un “engrenage” vers un avortement dangereux, met en garde Philippe Deruelle. 

Les charlatans attirent les femmes avec ces méthodes soit disant toutes simples et une fois que ca n’a pas marché, elles reviennent les voir et là ils vont passer à la vitesse supérieure, avec des méthodes beaucoup plus agressives”, explique le soignant. 

Hémorragies, infections, insuffisance rénale : le docteur Okon a assuré à l’AFP être régulièrement confronté à des patientes qui mettent leur vie en danger à la suite d’avortements clandestins.

“On a vu des personnes qui ont eu des insuffisances rénales à cause des mélanges qu’elles ont dû effectuer pour avorter”, explique-t-il, “Nous sommes parfois obligés de retirer l’utérus de femmes qui s’y sont introduit des tiges métalliques pour expulser l’embryon”.  

En 2012, 15% des décès maternels en Côte d’Ivoire étaient le résultat de complications liées à un avortement clandestin, selon l'étude de Médecins du Monde (p.19).  

Près de 47.000 femmes meurent chaque année des suites d’un avortement non sécurisé, dénonce Amnesty internationale, soit une femme toutes les 9 minutes précise le Haut Conseil à l'Egalité entre les femmes et les hommes français. L’avortement non sécurisé constitue ainsi l’une des principales causes de décès maternels et de morbidité au monde, rappelle l’OMS.

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