
Iran: des doutes autour d'une vidéo virale censée montrer une frappe sur la prison d'Evine
- Publié le 25 juin 2025 à 18:48
- Lecture : 7 min
- Par : Dounia MAHIEDDINE, AFP France
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Le 24 juin, après près de deux semaines d'affrontements, un cessez-le-feu a été accepté par les deux parties, après avoir été initié par le président américain Donald Trump.
Les hostilités avaient éclaté le 13 juin, lorsque l'armée israélienne a lancé une attaque aérienne contre des sites en Iran, accusant une nouvelle fois Téhéran de poursuivre un programme nucléaire militaire. L'Iran a riposté par une série de frappes de missiles et de drones visant le territoire israélien.
Selon un bilan officiel publié par les autorités iraniennes — qui ne comptabilise que les victimes civiles — le conflit aurait fait au moins 610 morts et plus de 4700 blessés en Iran. En Israël, les autorités font état de 28 morts causés par les tirs de représailles iraniens.
Lundi, les autorités iraniennes ont fait état de dégâts dans certaines parties de la prison d'Evine, à Téhéran, où sont détenus des Occidentaux, prisonniers politiques et opposants. Israël a confirmé de son côté que ses frappes avaient notamment visé cette prison.
Dans ce contexte, une vidéo de six secondes, présentée comme une séquence de vidéosurveillance, a commencé à circuler lundi sur les réseaux sociaux. Elle montre une explosion à l'entrée de la prison d'Evine, filmée en noir et blanc depuis un angle fixe, avec la mention "CAMERA 07" en haut à gauche.
La vidéo a été reprise par plusieurs médias en France et à l'étranger, dont la BBC, Le Monde, NBC News, The Guardian et BFMTV, qui l'ont ensuite retirée de leurs sites internet ou accompagnée d'un message expliquant qu'il existait des incertitudes sur son authenticité.

Bien qu'il soit avéré que la prison a été touchée, des doutes ont en effet rapidement émergé autour de ces images.
"Les éditeurs vidéo de l'AFP au Moyen-Orient ont vu les images lundi mais, compte tenu de leur nature douteuse, ils ont décidé de ne pas les utiliser", a expliqué Louis Massie, rédacteur en chef central pour la vidéo à l'Agence France-Presse.
Tal Hagin, chercheur en guerre informationnelle pour le groupe israélien FakeReporter, a de con côté publié le 23 juin une série de posts sur la plateforme X, expliquant ses soupçons. Selon lui, la séquence est "probablement générée par intelligence artificielle", tout en s'appuyant sur une image réelle de la prison utilisée comme base visuelle.
"Au début, je croyais que c’était réel", a-t-il expliqué à l'AFP le 25 juin, mais "lorsque j’ai commencé à recevoir plusieurs questions sur l’authenticité de la vidéo, j’ai regardé de plus près. Cela m’a conduit à une photographie qui correspondait exactement à l’image. En combinant cela avec plusieurs erreurs minimes dans la vidéo, et en la comparant aux vraies images de l’attaque sur la prison, j’en ai conclu avec un haut degré de certitude qu’il s’agissait d’un faux".
Des incohérences multiples
L'analyse de cette vidéo suggère en effet un contenu généré artificiellement.
Pour commencer, la grande majorité des caméras de vidéosurveillance professionnelles affichent automatiquement la date et l'heure. Ce n’est pas le cas ici. Bien qu’une configuration erronée soit théoriquement possible, cette absence est peu crédible dans un établissement aussi sécurisé que la prison d’Evin.

A la place, la vidéo en question indique en haut à gauche la mention "CAMERA 07", dans un pays où la langue dominante est le farsi, et non l'anglais. Cette dernière ne présente par ailleurs aucun relief ni aucune ombre. Plus étonnant encore, cette mention disparaît brièvement au moment de l'explosion, comme si elle avait été apposée au montage.

Autre élément à relever : l’image est en noir et blanc, alors que l'explosion présumée aurait eu lieu en plein jour. Or, les caméras basculent en mode monochrome uniquement en faible luminosité ou en infrarouge. Ce traitement pourrait également servir à masquer certaines incohérences graphiques.
Deux captures d’écran, extraites à environ une seconde d’intervalle, montrent la façade d’un bâtiment identifié comme la prison d'Evine. Sur la première image, on observe :
une porte métallique fermée
un panneau en farsi
des arbres sans feuilles et des buissons au premier plan
et la mention "CAMERA 07" en haut à gauche
Sur la seconde image, une explosion semble se produire. Un nuage de fumée se forme devant la porte, et un flash lumineux apparaît. Mais plusieurs éléments interrogent :
Aucune réaction du décor : les arbres et buissons situés à proximité immédiate restent parfaitement figés, sans la moindre secousse ou mouvement perceptible.
Pas de projection visible : aucun débris, ni onde de choc, n'est identifiable dans l’image ou le fond.
Une lumière suspecte : le halo lumineux ne paraît pas réaliste — il semble "collé" à la façade, sans rebond ou reflet sur les éléments alentours.
Un filament blanc apparaît furtivement au ralenti dans le cadre, sans lien visible avec la scène — un artefact typique d’animation ou de synthèse mal finalisée.

De plus, aucune projection visible de débris ou d’onde de choc n’est identifiable entre les deux cadres.
Réutilisation d'une image d'archive
Un autre élément clé renforce les soupçons : l’image utilisée semble provenir d’une photo d’archive.
Une comparaison avec une photographie officielle prise en 2021(ci-dessus à gauche) montre une correspondance quasi parfaite de l’angle de vue, de la végétation, du panneau, des arbres et du mur d’enceinte. Cette forte similarité suggère que cette image a pu être utilisée comme base dans un processus de génération ou de manipulation par intelligence artificielle (archive : ici).
Le fait que les éléments végétaux soient rigoureusement identiques entre une photo vieille de plusieurs années et une prétendue vidéo actuelle affaiblit encore la thèse d’une scène authentique.

Par ailleurs, comme le relève également Tal Hagrin, les arbres sont clairsemés, ce qui suggère que la photo a été prise en hiver. En revanche, des images diffusées par les médias officiels iraniens concernant la frappe sur la prison d'Evine montrent une végétation dense et verdoyante.

Des différences architecturales ont aussi été relevées en comparant la vidéo à des photos plus récentes (prises en 2022).
Un contexte marqué par la désinformation
Néanmoins, cette porte de la prison a bien été touchée par une explosion, comme on peut le voir sur cette vidéo de la radio-télévision iranienne d’Etat Irib. Sauf que sur ces images, c’est tout le corps de bâtiment entourant cette porte qui est à terre, et non pas seulement la porte elle-même comme dans la vidéo virale (archive : ici).
Idem pour la porte nord, comme on peut le voir dans cette autre vidéo, et que CheckNews a pu géolocaliser (archive : ici).
Depuis le début du conflit entre Israël et l’Iran l'AFP a identifié une hausse significative des contenus manipulés ou générés par IA. Elle y a consacré de nombreux articles (1, 2, 3, 4).
L’organisation américaine de lutte contre la désinformation NewsGuard a recensé plus de 50 sites et chaînes Telegram diffusant des contenus trompeurs en lien avec le conflit. Certains d’entre eux seraient liés à des opérations d’influence provenant d’États comme l’Iran, la Russie ou la Chine.