Une femme souffrant de TCA (trouble des conduites alimentaires) pose à l'hôpital de jour Barbara, à Nantes, le 20 mai 2025. (AFP / LOIC VENANCE)

Les réseaux sociaux, accélérateurs des troubles alimentaires et obstacles à la guérison

  • Publié le 02 juin 2025 à 15:07
  • Lecture : 5 min
  • Par : Chloé RABS
Glorification de contenus axés sur la maigreur et promotion de fausses informations en nutrition: les réseaux sociaux contribuent, chez des jeunes déjà fragilisés, au développement de troubles des conduites alimentaires (TCA) et complexifient leur prise en charge.

"On ne traite plus un TCA sans aborder les réseaux sociaux. Ils sont devenus un facteur déclencheur, un accélérateur certain et un obstacle à la guérison", résume Carole Copti, diététicienne-nutritionniste à Paris. 

En France, près d'un million de personnes souffrent d'anorexie mentale, de boulimie nerveuse, ou d'hyperphagie boulimique, particulièrement des femmes âgées de 17 à 25 ans, comme l'explique sur son site la Fédération Française Anorexie Boulimie (FFAB), qui organise du 2 au 8 juin 2025 une semaine de sensibilisation aux TCA.

Si les causes des TCA sont multifactorielles (biologiques, psychologiques, sociales), les acteurs du secteur pointent de plus en plus l'impact "dévastateur" des réseaux sociaux dans ces pathologies.

"Ce n'est pas la cause mais c'est la goutte d'eau qui peut faire déborder le vase", explique à l'AFP Nathalie Godart, psychiatre de l’enfant et de l'adolescent à la Fondation Santé des Etudiants de France.

A travers la promotion de la maigreur, d'une alimentation ultra-contrôlée, et d'une activité physique acharnée, les réseaux sociaux fragilisent les personnes déjà vulnérables et "amplifient les menaces sur la santé des jeunes", ajoute-t-elle.

A l'exemple de la tendance #skinnytok qui regorge d'injonctions violentes, culpabilisantes et dangereuses, incitant à réduire drastiquement son alimentation.

Laxatifs et vomissements

Pour Charlyne Buigues, infirmière spécialisée dans les TCA, les réseaux sociaux sont "une porte d'entrée" vers ces troubles, qui y sont "banalisés".

Elle dénonce la mise en avant de vidéos de jeunes filles souffrant d'anorexie mentale qui exposent leur corps dénutri, ou d'autres souffrant de boulimie nerveuse et qui affichent leurs "purges". "La prise de laxatifs ou les vomissements sont présentés comme un moyen tout à fait légitime de perdre du poids, alors que le risque est de faire un arrêt cardiaque", rappelle Mme Buigues.

Au-delà d'engendrer de graves problèmes, notamment cardiaques et de fertilité, les TCA constituent la deuxième cause de mortalité prématurée chez les 15-24 ans, selon l'Assurance maladie.

Pour Mme Copti, les réseaux sociaux forment même un "engrenage". "Les personnes souffrant de TCA ont souvent une faible auto-estime. Mais en exposant leur maigreur causée par l'anorexie sur les réseaux sociaux, elles vont cumuler des abonnés, des vues, des +likes+... et cela va entretenir leurs troubles et prolonger la phase de déni."

D'autant plus que certains contenus vont être monétisés. Charlyne Buigues raconte ainsi qu'une jeune femme qui se filme régulièrement en +live+ sur TikTok en train de vomir "expliquait être rémunérée par la plateforme, ce qui lui permettait de financer ses courses".

"Je ne fais pas le poids"

Et même lorsque les personnes s'engagent dans un processus de guérison, les réseaux sociaux rendent la prise en charge "plus dure, plus complexe et plus longue", prévient Carole Copti.

En cause: les fausses informations en nutrition qui pullulent sur les plateformes et que les jeunes tiennent pour vraies.

"La consultation, c'est un peu devenu mon procès. Je dois sans cesse me justifier et batailler pour leur faire comprendre que non, il n'est pas possible de tenir en ne mangeant que 1.000 calories par jour - la moitié de leurs besoins - ou que non, ce n'est pas normal de sauter des repas", développe la diététicienne-nutritionniste.

"Les patients sont complètement endoctrinés et je ne fais pas le poids, moi, avec ma consultation de 45 minutes par semaine, face à des heures passées quotidiennement sur TikTok", souffle-t-elle.

Dans le même sens, Nathalie Godart alerte sur la prolifération de "pseudo-coaches" qui partagent des conseils "aberrants", qui pourraient s'apparenter à "de l'exercice illégal de la nutrition". 

"La parole de ces influenceurs pèse beaucoup plus que celle des institutionnels. On rame constamment pour passer des messages simples sur l'alimentation", déplore-t-elle, rappelant qu'une ligne d'écoute Anorexie Boulimie Info est joignable au 09.69.325.900.

Très active sur les réseaux sociaux à travers son compte Instagram @aucoeurdestca, Charlyne Buigues passe son temps à signaler des contenus problématiques même si cela "ne sert à rien".

"Les contenus restent en ligne et les comptes ne sont que rarement suspendus, c'est vraiment fatiguant", confie-t-elle. 

L'infirmière en arrive ainsi à conseiller à ses patients de supprimer certains réseaux, notamment TikTok. "Ça peut paraître radical mais tant que les jeunes ne seront pas mieux informés, l'application est trop dangereuse", soutient-elle.

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Photo d'illustration du 7 mai 2025 montrant le logo de Tik Tok sur un smartphone devant un écran affichant l'image d'une femme très mince, alors que la tendance "skinnytok" promouvant la minceur inquiète les experts (AFP / NICOLAS TUCAT)

Anorexie, boulimie: les pathologies derrière les troubles des conduites alimentaires

  • Anorexie mentale

L'anorexie mentale est un trouble du comportement alimentaire qui se caractérise par une restriction des apports alimentaires, ou parfois un refus complet de s'alimenter, durant plusieurs mois, voire plusieurs années, conduisant à une perte de poids importante.

Les personnes qui souffrent d'anorexie mentale peuvent également avoir recours aux vomissements, aux laxatifs et aux diurétiques.

L'affection concerne principalement des adolescentes âgées de 14 à 17 ans et touche entre 0,9 et 1,5% des femmes, et 0,2 à 0,3% des hommes de cette tranche d'âge en France.

Souvent présente, la dénutrition peut engendrer de graves problèmes, notamment cardiaques, osseux ou de fertilité.

L'anorexie mentale est la pathologie psychiatrique la plus mortelle, avec un taux de mortalité à 10 ans de 5%.

  • Boulimie et hyperphagie boulimique 

La boulimie se caractérise par l'ingestion compulsive de grandes quantités de nourriture dans un temps assez court, à n'importe quelle heure du jour et de la nuit.

Cette crise incontrôlée est généralement suivie de comportements compensatoires pour prévenir la prise de poids (utilisation de laxatifs, de diurétiques, vomissements provoqués, jeûnes, exercice physique excessif).

La boulimie apparaît généralement à l'adolescence et touche environ 1,5% des 11-20 ans, parmi lesquels trois fois plus de filles que de garçons. 

Quand les crises de boulimie ne s'accompagnent pas d'un comportement compensatoire, on parle d'hyperphagie boulimique. En général, elle s'accompagne d'un surpoids ou d'une obésité et est, à cause de cela, probablement sous-estimée.

L'affection est plutôt diagnostiquée à l'âge adulte et concerne 3 à 5% de toute la population. Cela en fait le trouble des conduites alimentaires le plus répandu. 

  • Orthorexie 

Encore méconnue, l'orthorexie se définit comme une obsession de manger sainement. Les personnes qui en souffrent adoptent des régimes alimentaires excessivement stricts, supprimant parfois des catégories entières d'aliments.

Pour l'heure, il n'existe pas de consensus scientifique sur l'orthorexie. Les deux positions les plus souvent soutenues consistent à la classer soit parmi les troubles du comportement alimentaire (TCA), soit parmi les troubles obsessionnels du comportement (TOC).

Dans la vie courante, les personnes orthorexiques peuvent passer plus d'une heure devant les rayons alimentaires pour lire la composition de chaque produit, ou mâcher chaque bouchée à 50 reprises dans le but de donner l'impression à son cerveau qu'il a atteint la satiété.

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