
Contre la désinformation en santé, une action gouvernementale jugée encore limitée
- Publié le 23 juin 2025 à 18:11
- Lecture : 3 min
- Par : Chloé RABS, AFP France
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La lutte contre la désinformation en santé "s'impose comme une priorité stratégique", a clamé Yannick Neuder le 18 avril, lors d'un colloque sur le sujet au ministère de la Santé, à la satisfaction d'acteurs engagés de longue date dans cette bataille.
"Il y a eu une prise de conscience et une volonté de reprise en main", salue auprès de l'AFP Mathieu Molimard, président de la Société française de pharmacologie et de thérapeutique (SFPT).
"Mais derrière, c'est un peu fait dans la précipitation", tempère-t-il, jugeant que, depuis "ce jour 1 de la guerre", rien n'a réellement avancé.
Contacté par l’AFP, le ministère a déclaré être toujours "dans une phase active d'expertise" et à indiqué que "les travaux vont débuter autour de ce qui doit constituer un observatoire de la désinformation en santé", sans donner de calendrier précis.
Toutefois, comme les autres pistes évoquées lors du colloque, cette mesure phare laisse sceptique certains spécialistes en la matière.
"C'est toujours bien d'avoir un observatoire. Le problème, c'est que ces structures ne sont souvent pas très bien dotées, et le ministre n'a d'ailleurs pas promis de budget spécifique sur ces questions-là", pointe Laurent Cordonier, sociologue et directeur de la recherche de la fondation Descartes.
Et "il ne peut y avoir d'intérêt que si cette observation est articulée avec un système de réaction, d'information correcte et possiblement de sanctions", complète Mathieu Molimard.
Risques de "dérives"
Si le ministre a aussi souhaité renforcer l'implication "déterminante" des plateformes, Laurent Cordonnier rappelle que le règlement européen sur les services numériques impose déjà aux réseaux d'avoir "des résultats dans la diffusion de fausses informations".
"C'est un levier d'action important, mais qui nécessite de la volonté politique. On pourrait déjà exiger des plateformes qu'elles mettent en avant des contenus fiables en santé", souligne le sociologue.
Pour mieux "riposter", Yannick Neuder a également évoqué la mise en place d'un "label" pour des personnalités ou des institutions garantissant une information médicale fiable.
Cette mesure peut cependant être "inefficace" dans le contexte de défiance actuel, voire "dangereuse" car elle confère une légitimité "à un contenant et non un contenu", juge le Pr Molimard, alertant sur des risques de "dérives".
Le pharmacologue défend plutôt la création d'un site public d'information médical, validé par les experts et accessible à tous, "interrogeable grâce à un système d'intelligence artificielle".
Pour M. Cordonier aussi, la réponse réside dans la mise en circulation d'informations fiables plutôt que dans "la lutte pied à pied contre chaque fake news", comparée à "un océan impossible à vider".
"Tsunami qui nous submerge"
Assez peu évoquée mi-avril par le ministre, une grosse partie de la lutte contre la désinformation concerne le développement des pratiques de soins non conventionnelles (PSNC), épinglé longuement dans le dernier rapport d'activité de la Mission interministérielle de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), comme expliqué dans cet article de l'AFP.
Souvent considérées comme "douces", "complémentaires" ou "alternatives", ces méthodes non validées scientifiquement se retrouvent parfois dans des hôpitaux ou maisons de santé.
"C'est un tsunami qui nous submerge", alerte Claire Siret, présidente de la section santé publique du conseil national de l'Ordre des médecins, rappelant que le code de déontologique interdit pourtant aux professionnels de santé de travailler dans le même bâtiment que des non-professionnels. "Dans les faits, c'est le cas. Et on le dénonce", insiste-t-elle.
En 2023, le gouvernement avait lancé un comité d'appui pour l'encadrement de ces pratiques de soins non conventionnelles. Depuis le départ de la ministre déléguée de l'époque, Agnès Firmin-Le Bodo, le projet est au point mort.
"Le gouvernement doit fixer un cadre afin de limiter les dérives. Mais aujourd'hui, l'Education nationale propose à ses travailleurs des mutuelles qui remboursent ces pratiques. C'est vraiment problématique", déplore Pierre de Brémond d'Ars, du collectif No FakeMed, qui espère la reprise des groupes de travail dédiés.
"C'est un sujet qui crispe au ministère et on est encore loin d'avoir un discours clair", renchérit M. Cordonier, "alors que ces pseudos-médecines sont de la désinformation en santé, avant d'être des pratiques".