Attention à cette image générée par IA d'un panneau anti-Tesla à la frontière canadienne

Donald Trump a lancé une offensive commerciale contre le Canada, à coups notamment de droits de douane. Dans ce contexte, des messages sur les réseaux sociaux ont assuré que les véhicules Tesla, dont le patron Elon Musk est proche du président américain, ne seraient "plus autorisés" à entrer au Canada, en s'appuyant sur l'image d'un panneau à la frontière entre les deux pays. Mais des indices suggèrent que cette dernière a été créée par intelligence artificielle. L'Agence des services frontaliers du Canada a par ailleurs indiqué à l'AFP que le lieu photographié ne ressemblait pas aux postes de contrôles aux frontières avec les Etats-Unis, et qu'aucune interdiction des véhicules Tesla n'avait été mise en place mi-mars.

"Tesla non admis… au canada bravo (sic)", indique la légende d'une publication Facebook partagée plus de 600 fois depuis le 7 mars, qui relaie une image de ce qui ressemble à un poste-frontière avec le drapeau canadien devant lequel on peut apercevoir un panneau de signalisation sur lequel est indiqué "Tesla not allowed" ("Tesla non autorisées" en français).

"Tension entre le Canada et les Etats-Unis : les Tesla sont interdites", va même jusqu'à assurer un internaute republiant la même image. Cette dernière a été partagée avec des messages similaires dans d'autres publications sur Facebook (ici, ici, ici), et a circulé en d'autres langues comme le roumain, le polonais, le grec, l'espagnol ou l'anglais.

Le co-fondateur et PDG de Tesla est le milliardaire Elon Musk. Selon le site de l'entreprise, c'est aussi lui qui "dirige la conception, l'ingénierie et la production mondiale des véhicules électriques de l'entreprise, des batteries et des produits solaires" (lien archivé ici).

Il a également été récemment nommé par le président américain à la tête du Département de l'efficacité gouvernementale américain (Doge), une équipe chargée de réduire les dépenses fédérales (lien archivé ici).

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Capture d'écran prise sur Facebook, le 18/03/2025

Plusieurs indices sur l'image du panneau visant les Tesla suggèrent qu'elle a été générée par intelligence artificielle (IA), comme nous allons le voir. Par ailleurs, l'Agence des services frontaliers du Canada, en charge de la surveillance de l'application des lois et règlements entourant la circulation des personnes et marchandises dans le pays, a assuré à l'AFP que les véhicules de la marque pouvaient toujours bien entrer et circuler dans le pays. 

Des incohérences typiques de l'IA  

L'AFP a tenté de remonter, par des recherches d'images inversées et avec le moteur de recherche de Google Fact Check Explorer, aux premières occurrences de l'image diffusées sur internet.

La plus ancienne retrouvée de cette manière a été partagée pour la première fois sur Instagram le 11 février 2025. L'AFP a contacté le compte à l'origine de cette publication, mais n'avait reçu aucune réponse au moment de la publication de cet article.

Mais aucun des messages ne précisait si l'image était réelle, l'emplacement où elle aurait pu être prise ou par qui. 

Cependant, il est possible de détecter plusieurs incohérences dans l'image, qui suggèrent qu'elle pourrait avoir été générée par IA. L'AFP a publié plusieurs guides, comme ici, ici ou , comportant des conseils pour éviter de tomber dans les pièges de l'intelligence artificielle.

Par exemple, le mât du drapeau canadien semble planté au beau milieu d'une route, ce qui, en plus d'être inhabituel, serait peu pratique car il bloquerait le passage de voitures. De plus, un panneau bleu à gauche semble flotter dans les airs, tandis qu'un autre panneau à droite semble écrasé au sol.

En outre, les marquages de voies ne sont pas alignés, certains s'arrêtent subitement sans raison, les lieux de passages des douanes semblent trop minces pour laisser passer une voiture, et l'un d'entre eux paraît inutilisable car bloqué par un élément au milieu de la route.

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Capture d'écran de l'image avec plusieurs anomalies typiques de l'IA entourées en vert par l'AFP, prise le 12 mars 2025

Le panneau "Bienvenue au Canada" est un autre élément qui peut mettre sur la piste d'une image générée artificiellement : comme on peut l'observer sur Google Maps, les panneaux semblables à d'autres points de passage de la frontière canadienne sont généralement plus petits, ou présentés dans un format et une police différents, comme on peut le voir par exemple ici (lien archivé ).

Ils emploient aussi une police semblable à celle des communiqués officiels du gouvernement du Canada, qui est par ailleurs mentionné, et le drapeau du Canada est présent, comme on peut le voir ici aux frontières Champlain/Saint-Bernard-de-Lacolle, ici aux frontières Champlain Rouses Point/Lacolle ou là aux frontières Churubusco-Franklin Centre.

Les messages sur les postes-frontières visibles sur Google Maps sont aussi souvent déclinés en anglais et en français (les deux langues officielles au Canada).

Par ailleurs, la route en arrière-plan de l'image partagée sur les réseaux sociaux semble ne mener nulle part, ce qui est commun dans les images générées par IA.

"Tous les panneaux routiers en blanc sur fond bleu ne sont pas lisibles. Les écrits ne ressemblent même pas à un alphabet réel. Les images générées par l'IA ont souvent ce type de détails flous et déroutants en arrière-plan", a aussi souligné Denis Teyssou, du Medialab de l'AFP, qui a participé à la création du plug-in de vérification InVID-WeVerify.

Une analyse de l'image qu'il a réalisée à partir de l'outil de la société de détection de deepfake Get Real Labs a conclu qu'il y avait des preuves "modérées" qu'elle ait été générée par IA.

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Capture d'écran du résultat trouvé avec l'outil de Get Real Labs, pris le 14 mars 2025

Pas de ressemblance avec des postes-frontières réels

La frontière entre les Etats-Unis et le Canada s'étend sur 8.891 kilomètres et constitue la plus longue séparation terrestre entre deux pays, selon la Commission de la frontière internationale, une organisation binationale chargée de la cartographie de ladite frontière (lien archivé ici).

L'AFP s'est penchée sur une liste de 100 d'entre eux à partir d'images de Google Maps, mais n'a retrouvé aucun ressemblant à celui montré dans l'image circulant sur Facebook (lien archivé ici).

De nombreux passages de frontière terrestre entre les Etats-Unis et le Canada sont petits, dans des zones reculées ou sur des ponts, et présentent des images anciennes ou tout simplement inexistantes sur Google Maps. De plus, les images et cartes disponibles tendent à se concentrer davantage sur les passages du Canada vers les Etats-Unis que l'inverse. 

Lorsqu'elles couvrent le côté américain, les images, qui sont pour certaines anciennes, mettent souvent en évidence les magasins, les parkings et les infrastructures environnants plutôt qu'un gros plan des points d'entrée réels au Canada, qui sont parfois flous, ce qui rend plus difficile la vérification de certains détails (comme ici, ici et ici).

Cependant, par exemple, certains des points de passage les plus fréquentés, notamment en raison du trafic commercial comme Sweetgrass/Coutts ou Pembina/Emerson, ne ressemblent pas visuellement à l'image virale circulant sur les réseaux sociaux (liens archivés ici et ici).

"Cette image ne ressemble pas fidèlement à nos points d'entrée", a également expliqué à l'AFP Luke Reimer, l'un des porte-paroles de l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), le 13 mars (lien archivé ici).

Il a également souligné que les panneaux du gouvernement du Canada doivent se conformer à la Loi sur les langues officielles (et donc inclure les deux langues du Canada), ainsi qu'à une norme graphique figurant dans le Programme fédéral de l'image de marque, qui inclut notamment des directives précises pour les panneaux officiels et une palette de couleurs spécifique (liens archivés ici, ici, ici, ici et ici).

Or, les panneaux figurant dans l'image virale sur Facebook ne respectent pas ces règlementations.

Luke Reimer a également fourni à l'AFP des exemples d'infrastructures et de signalisation authentiques à la frontière canadienne, visibles sur des photos des comptes du gouvernement sur les réseaux sociaux (1, 2, 3, 4 - liens archivés ici, ici, ici et ici) et dans des communiqués de presse (1, 2, 3 - liens archivés ici, ici et ici).

Karine Martel, également porte-parole de l'ASFC, a par ailleurs indiqué à l'AFP le 12 mars qu'il n'y avait pas d'interdiction des voitures Tesla au Canada.

Tensions entre les Etats-Unis et le Canada, notamment liées aux droits de douane

Ces affirmations circulent alors que le 12 mars 2025, des droits de douane de 25% annoncés par Donald Trump dès début février sur les importations d'acier et d'aluminium de plusieurs pays, dont le Canada et Mexique, sont entrés en vigueur (liens archivés ici et ici).

Le Canada, premier fournisseur des Etats-Unis pour ces matériaux, a dénoncé des taxes jugées "injustifiées et déraisonnables" et a annoncé en représailles imposer également 25% de droits de douane supplémentaires sur près de 30 milliards de dollars canadiens (18 milliards d'euros) d'importations américaines, concernant notamment les équipements sportifs, les produits en fonte ou les ordinateurs (lien archivé ici).

Les différends économiques ne sont pas la seule source des tensions croissantes entre les deux voisins. Donald Trump a déclaré à plusieurs reprises que le Canada devrait devenir le 51ème Etat américain (lien archivé ici). Des déclarations considérées par les dirigeants canadiens comme une menace de plus en plus sérieuse (lien archivé ici).

Le nouveau Premier ministre canadien Mark Carney a ainsi promis lors de son premier discours officiel que le pays ne serait "jamais" absorbé par les Etats-Unis (lien archivé ici).

En parallèle, des critiques contre Elon Musk et ses entreprises émergent : fin février 2025, en raison de sa proximité avec le président américain, plus de 250.000 citoyens et résidents canadiens ont signé une pétition parlementaire exhortant le Canada à révoquer la citoyenneté et le passeport d'Elon Musk (liens archivés ici et ici).

Ce dernier est citoyen d'Afrique du Sud, où il est né, du Canada, où il a émigré en 1989, et des Etats-Unis, où il est arrivé en tant qu'étudiant en 1992. En réponse à la pétition, il avait écrit sur son réseau social X que "le Canada n'est pas un vrai pays", un message qu'il a ensuite supprimé (lien archivé ici).

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Une manifestation anti-Tesla à Pasadena, en Californie, le 8 mars 2025 (AFP / Frederic J. BROWN)

Les licenciements massifs du Doge d'Elon Musk aux Etats-Unis suscitent par ailleurs de vives critiques. 

Tout cela a contribué à ternir la marque Tesla qui fait face à des ventes en chute libre en Asie et en Europe, et à des actions de vandalisme sur ses voitures.

L'entreprise a vu le 10 mars sa valorisation boursière divisée par deux depuis décembre, alors que cette dernière avait bénéficié d'un "effet Trump" positif fin 2024 (liens archivés ici et ici). 

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26 mars 2025 Ajoute mot-clé

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