Cette étude sur la baisse du taux de natalité pendant la pandémie ne prouve pas que les vaccins causent l'infécondité

Comme d'autres pays développés, la République tchèque connaît une diminution progressive du taux de natalité, tendance qui s'est accélérée pendant l'épidémie de Covid-19. Dans ce contexte, des internautes ont partagé les données d'une étude démographique, en suggérant qu'elles montraient que la vaccination contre le Covid-19 faisait baisser la fécondité des femmes. Mais l'auteure principale de cette étude a expliqué à l'AFP que ces interprétations étaient erronées : les données reflètent des changements d'attitude face à la parentalité plutôt que des problèmes médicaux. De plus, aucune preuve scientifique ne démontre que les vaccins anti-Covid affecteraient la fécondité ou la grossesse.

"Données de la République tchèque : les femmes vaccinées sont 66 % moins susceptibles d'accoucher que les femmes non vaccinées", peut-on lire dans une publication X diffusée le 2 février 2025 et partagée plus de 130 fois.

D'autres messages similaires circulent sur Facebook (1, 2, 3) et X, et dans plusieurs langues comme le tchèque, l'anglais, l'espagnol, le grec et le portugais.

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Captures d'écran prises sur Facebook prises le 10/03/2025. Croix oranges ajoutées par l'AFP.

Certaines publications renvoient vers un article du site "Frontnieuws", publié le 2 février dernier. D'autres citent comme source un article publié la veille sur le blog de Steve Kirsch, un homme d'affaires américain dont des déclarations trompeuses sur la pandémie de Covid-19 et les vaccins ont déjà été vérifiées par l'AFP, comme ici, ici et . Dans son article, Steve Kirsch qualifie les données extrapolées d'une étude démographique tchèque de 2024 de "désastre", affirmant que les vaccins contre le Covid-19 provoquent l'infécondité.

"Le gouvernement ne veut en assumer aucune responsabilité, alors ils n'en parlent pas et s'assurent que les médias ne le couvrent pas. Ils ont affirmé que c'est une tendance normale pour que les taux de natalité diminuent et ils NE MENTIONNENT PAS que les taux entre les vaccinés et les non-vaccinés continuent de diverger", affirme Steve Kirsch à propos du gouvernement tchèque dans son texte. "Pendant ce temps, nos CDC [Centres américains de contrôle et de prévention des maladies, NDLR] continuent de recommander les doses de COVID pour les femmes enceintes ici aux États-Unis", a-t-il ajouté (lien archivé ici).

Mais ces affirmations font une mauvaise interprétation des résultats de l'étude tchèque, a indiqué l'un de ses auteurs à l'AFP.

Le Covid-19 en Tchéquie

L'étude citée par Steve Kirsch relève que le taux de fécondité en République tchèque est passé de 1,83 enfant par femme en 2021 à 1,62 en 2022 (lien archivé ici).

Cette recherche a été menée par des démographes, et non des professionnels de la santé. L'objectif de cette étude était d'analyser l'impact potentiel de la vaccination contre le Covid-19 sur la décision d'avoir des enfants dans un contexte pandémique incertain.

Les vaccins anti-Covid sont arrivés sur le marché tchèque en 2021, et la baisse du taux de fécondité a coïncidé avec la campagne de vaccination contre le Covid-19 dans le pays.

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Le Premier ministre tchèque Andrej Babis (à droite) reçoit la première injection nationale avec une dose du vaccin COVID-19 de Pfizer-BioNTech alors que la vétéran de la Seconde Guerre mondiale Emilie Repikova (à gauche) attend son tour à l'Hôpital universitaire de Prague, le 27/12/2020. (AFP / Michal Cizek)

Pour mettre la baisse en perspective, les auteurs de l'étude soulignent que le taux de fécondité tchèque de 1,83 enfant par femme en 2021 était "l'un des plus élevés d'Europe malgré le développement de la pandémie de Covid-19 en 2020". 

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Capture d'écran d'un graphique sur les "nouvelles doses de vaccin par jour" en République tchèque présent dans l'étude sur la vaccination et la fécondité, prise le 11/03/2025.

Contrairement à d'autres pays, où le début de la pandémie a pu entraîner moins de grossesses par crainte de la maladie, la République tchèque a observé un pic de natalité. Selon l'étude : "Dans le contexte européen, l'impact de la première vague de la pandémie en Tchéquie (printemps 2020) a été très léger". La liberté de mouvement fortement restreinte et la limitation des services "ont affecté le fonctionnement des ménages et ont peut-être conduit les foyers à adopter une approche plus axée sur la famille", ce qui a poussé à une augmentation du taux de fécondité de 1,76 à 1,83 en 2021, rapporte l'étude.

Les chercheurs ont conclu que la République tchèque était donc une exception en termes de taux de fécondité au début de la pandémie. Mais la situation a rapidement changé car, à la fin de l'année 2020, le pays avait l'une des proportions les plus élevées de personnes infectées, non seulement en Europe, mais aussi dans le monde. Par conséquent, la baisse du taux de fécondité en Tchéquie a semblé plus forte que dans d'autres pays comparables (lien archivé ici).

"Une réévaluation des priorités personnelles"

Contrairement à ce qu'affirme Steve Kirsch dans son article qui suggère que les vaccins, ou les "injections génétiques", ont affecté la capacité des femmes à concevoir ou à mener à terme leur grossesse, les auteurs de l'étude estiment que la baisse initiale des grossesses s'est produite parce que les femmes ont choisi de les reporter pendant la campagne de vaccination.

"L'ampleur massive de la vaccination et sa mise en œuvre dans un laps de temps très court étaient sans précédent. Cela, combiné avec un degré important d'incertitude quant à la pertinence du vaccin pour les femmes enceintes, a pu pousser les femmes à décider d'attendre la conception jusqu'à un mois après avoir reçu le vaccin", indique l'étude.

Contactée par l'AFP le 28 février dernier, Jitka Slabá, l'auteure principale de l'étude et chercheuse à la Faculté de démographie et de géodémographie de l'université Charles à Prague, a confirmé que "la différence (en taux de fécondité) entre 2021 et 2022 pourrait s'expliquer par une simple décision rationnelle d'une femme d'éviter une grossesse pendant la période de vaccination. Cela ne dit certainement pas que la vaccination affecte la capacité biologique d'avoir un enfant".

Selon la chercheuse, le fait le taux de fécondité n'a pas repris sa croissance après 2022 pourrait également être le résultat de décisions rationnelles.

"La vaccination a marqué le début de la fin de la pandémie, ce qui a conduit à une réévaluation des priorités personnelles", a expliqué Jikta Slabá à l'AFP. "Depuis l'automne 2021, l'inflation a commencé à augmenter, et au printemps suivant, le conflit russo-ukrainien s'est intensifié. Les deux ont conduit à un sentiment accru d'insécurité, et la perception de cette incertitude a un effet négatif sur les intentions de reproduction, et donc la fécondité elle-même", a-t-elle ajouté.

Selon l'experte, le fait que la fécondité en République tchèque ait continué de diminuer après 2022 peut être attribué à "la reprise de la vie professionnelle et sociale à l'échelle d'avant-pandémie", ce qui "a pu paradoxalement reléguer au second plan les projets de reproduction et entraîner leur report, tout en limitant les relations et les mariages en période de pandémie, ce qui a pu conduire à un nombre réduit de personnes ayant trouvé un partenaire et susceptibles de fonder une famille", pointe Jikta Slabá.

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Une mère pousse un landau à Prague, en Tchéquie, le 09/01/2010. (AFP / Michal CIZEK)

Aucune preuve d'un impact des vaccins sur l'infécondité

Les affirmations selon lesquelles les vaccins contre le Covid-19 provoqueraient l'infécondité ou présenteraient un risque pour la grossesse circulent en ligne depuis la mise sur le marché des premiers vaccins à la fin de 2020. Depuis, l'AFP a vérifié des dizaines de fausses informations sur le sujet, y compris des rumeurs affirmant que les vaccins rendraient les femmes stériles, les personnes infertiles, provoquaient le dysfonctionnement érectile ou des maladies sexuellement transmissibles.

Sur son site, le Portail national d'information sur la santé tchèque recommande la vaccination contre le Covid-19 aux femmes enceintes, à tout stade de grossesse, et aux mères allaitantes, expliquant que "la vaccination protège les femmes enceintes contre les maladies, réduit le risque de complications de la grossesse et assure une protection au bébé pendant les premiers mois après la naissance" (lien archivé ici).

De même, la Société tchèque de vaccinologie affirme que les vaccins contre le Covid ne posent "aucun risque spécifique pour une femme enceinte ou son fœtus" et recommande les injections à toutes les femmes enceintes (lien archivé ici).

"Les données disponibles suggèrent que la vaccination pendant la grossesse est immunogène et efficace. La vaccination offre une protection à la femme enceinte contre la maladie, réduit le risque de complications [liées au fait d'attraper le Covid-19, NDLR] pendant la grossesse et offre une protection au fœtus jusqu'au premier mois postnatal", peut-on lire sur le site de la Société.

Des recherches menées en 2024 montrent que la vaccination n'affecte pas la fécondité, ou que les personnes vaccinées présentaient un risque plus faible de naissances extrêmement prématurées et de fœtus sous-développés (lien archivé ici).

"Nous déclarons, avec précaution, que le vaccin à ARNm contre le Covid-19 n'affecte pas les résultats de fécondité, y compris les taux de fécondation, de grossesse et d'accouchement, les résultats obstétricaux et les paramètres du sperme", a conclu cette étude d'avril 2024, qui a analysé et comparé les femmes vaccinées et non vaccinées sous traitement de fertilisation in vitro (lien archivé ici).

La baisse de natalité : une tendance mondiale

Le recul du taux de fécondité ne concerne pas seulement la République tchèque.

Selon une étude publiée en mars 2024 dans la revue reconnue The Lancet, d'ici 2100, les taux de fécondité ne seront plus suffisamment élevés pour soutenir la croissance démographique à terme dans 97 % des pays et territoires, une tendance causée davantage par des facteurs sociaux que biologiques (liens archivés ici et ici).

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Capture d'écran de l'Indice synthétique de fécondité (1950-2100) selon la Global Burden of Disease (GBD) dans les super-régions et pour l'ensemble du monde, prise le 11/03/2025.

En février 2024, Sarah Brauner-Otto, directrice du Centre sur la dynamique des populations à l'Université McGill, a déclaré à l'AFP qu'il n'existe aucune preuve d'un lien entre la baisse de la natalité et la vaccination contre le Covid-19. En revanche, l'experte souligne que cette tendance est principalement due à des changements dans la planification familiale en raison d'incertitudes économiques.

Des chercheurs en Chine et en Italie n'ont trouvé aucune corrélation entre la vaccination contre le Covid-19 et la diminution de la fécondité, et notent que des recherches supplémentaires sont "nécessaires" (liens archivés ici et ici).

Enfin, d'autres études menées aux États-Unis et à l'international n'ont révélé aucun risque accru de fausse couche chez les femmes enceintes vaccinées (liens archivés ici et ici).

Depuis le début de la pandémie, l'AFP a vérifié de nombreuses fausses affirmations sur le Covid-19 et les effets des vaccins ici.

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