Un rappel généralisé de sel "dangereux pour la santé" ? C'est faux
- Publié le 14 mai 2024 à 11:50
- Lecture : 8 min
- Par : Théo MARIE-COURTOIS, AFP France
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"Urgent, du sel rappelé partout en France ! Si vous avez du sel de La Baleine, arrêtez immédiatement de l'utiliser : ce produit a été identifié comme un danger sérieux pour la santé", assure une vidéo publiée sur TikTok le 29 avril.
"Alerte [...] Le sel de la marque La Baleine a été rappelé, représentant un vrai danger pour la santé", prétend une autre vidéo publiée la veille sur le même réseau social.
Fin avril, des dizaines de vidéos similaires ont été partagées par des comptes se présentant comme diffusant des "actualités", cumulant plus de 40.000 partages et plusieurs millions de vues.
"C’est grave ce qui se passe tout ses [sic] contaminations", "Mon conjoint la jeter [sic] aujourd’hui suite à cela" : dans les commentaires, plusieurs internautes s'inquiètent. D'autres sont toutefois plus circonspects, appelant les profils derrière ces vidéos virales à partager leurs sources.
Nous avons également reçu sur le numéro WhatsApp d'AFP Factuel un message d'un usager s'interrogeant sur la véracité de ces vidéos.
Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), "la consommation moyenne mondiale de sel est estimée à 10,8 grammes par jour, soit plus du double de la recommandation de l’OMS qui est de moins de 5 grammes de sel par jour (une cuillère à café)" (lien archivé ici). En France, l'Anses comptabilisait en 2017 une dose journalière de sel de 7 grammes pour les femmes et 9 grammes pour les hommes (lien archivé ici).
Aucun rappel
Sur le site gouvernemental "Rappel conso", qui liste les produits de consommation rappelés, aucune alerte concernant le sel, quelle qu'en soit la forme ou la marque n'a été émises ces dernières semaines (lien archivé ici).
Le dernier rappel d'un produit de ce type date de septembre 2023 et concernait un seau de gros sel de cuisine de la marque Cerebos susceptible de contenir des morceaux de bois (lien archivé ici).
Selon le moteur de recherche de "Rappel conso", aucune des plus de 11.000 alertes publiées depuis le lancement du site en 2021 n'a ciblé un produit de la marque La Baleine.
Contacté par l'AFP, le ministère de l'Agriculture, qui supervise la Direction générale de l'Alimentation, a confirmé qu'aucun rappel n'a récemment été émis pour des produits de la marque La Baleine.
La Compagnie des Salins, propriétaire de la marque La Baleine, a également infirmé l'existence d'une alerte sur ses sels vendus en France. "Il n'y a pas de rappel", a assuré à l'AFP un représentant de l'entreprise, expliquant avoir pris connaissance des vidéos virales fin avril.
Selon lui, ces vidéos ont occasionné "un certain nombre de questionnements de consommateurs", qui auraient partagé leurs inquiétudes auprès des supermarchés.
Additifs contrôlés
Selon les vidéos virales, le supposé rappel du sel La Baleine serait motivé par la présence d'additifs dangereux.
"Un cardiologue a émis des avertissements sévères concernant la consommation de ce sel qui contient des quantités dangereuses d'antiagglomérant E535, également connu sous le nom de ferrocyanure, et du carbonate de magnésium, qui a un effet laxatif", prétend ainsi l'une d'entre elles.
"Un excès de ferrocyanure peut provoquer des maux d’estomac, nausées, vomissements et des problèmes respiratoires, convulsions ou collapsus circulatoire", continue le narrateur.
Aucune précision n'est donnée sur l'identité du cardiologue mentionné et une recherche avancée sur internet n'a pas permis à l'AFP de retrouver la trace de ce professionnel.
Le ferrocyanure de sodium et le carbonate de magnésium, respectivement E535 et E504 selon la nomenclature européenne des additifs alimentaires, sont utilisés comme antiagglomérants.
Le premier est uniquement autorisé dans le sel et ses substituts par l'Union européenne et ne doit pas dépasser une concentration de 20 mg/kg (lien archivé ici).
Selon les données de l'European Salt Producers' Association, représentant la majorité des producteurs de sel européens, la concentration moyenne dans leurs produits de ferrocyanure de sodium est de 8 mg/kg avec un maximum observé à 15 mg/kg (lien archivé ici).
Le second peut être ajouté à certains fromages et sels sur la base du "quantum satis", c'est-à-dire sans limite officielle ainsi qu'à hauteur de "7% rapporté à la matière sèche dégraissée exprimée en carbonates de potassium" dans certains produits issus du cacao.
Comme le précise le ministère de l'Agriculture, "pour qu’un additif alimentaire soit utilisable dans l’Union européenne, il doit disposer d’une autorisation, systématiquement fondée sur une évaluation préalable des risques liés à son utilisation. Cette évaluation indépendante est réalisée par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa)" (lien archivé ici).
Dans la cadre de cette règle, qui s'applique depuis 2009, il est possible de procéder à des réévaluations en cas de nouvelles recherches scientifiques.
En parallèle, "l'Efsa est tenue de réévaluer tous les additifs alimentaires dont l'utilisation a été autorisée dans l'UE avant le 20 janvier 2009", indique l'autorité sur son site (lien archivé ici).
Si cette tâche "devait être achevée d'ici à 2020 [...] l'Efsa a pour l'instant réévalué plus de 70% des 315 additifs alimentaires" approuvés avant 2009, précise-t-elle.
Les ferrocyanures, dont le ferrocyanure de sodium, ont fait l'objet d'une nouvelle analyse en 2018 (lien archivé ici).
Selon ces chercheurs, l'absorption des ferrocyanures par le corps humain est "faible" et sans effet d'accumulation. "Il n'y a aucune inquiétude concernant la génotoxicité et la cancérogénicité" et il n'y a "aucun problème de sécurité dans les conditions d'utilisation et les niveaux d'utilisation actuellement autorisés", assurent-ils.
Dans leur étude, les scientifiques ont fixé la dose journalière admissible (DJA) de ferrocyanure à 0,3 milligramme par kilogramme de poids corporel, afin notamment de préserver les reins de toute toxicité.
Le carbonate de magnésium est encore, de son côté, en attente d'une nouvelle évaluation.
Selon l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA), "l'effet principal d'un excès de magnésium par voie orale est un effet laxatif. Toutefois le corps humain peut s'adapter à cet effet laxatif avec le temps. [...] L'hypermagnésémie toxique, se manifestant par exemple par une hypotension ou une faiblesse musculaire, n'est observée qu'à des doses orales de magnésium supérieures à 2500 mg de magnésium (équivalent à 8,4 g de carbonate de magnésium)" (lien archivé ici).
Nanomatériaux
Depuis 2020, l'Agence nationale de sécurité sanitaire alimentaire nationale (Anses) suspecte que le ferrocyanure de sodium et le carbonate de magnésium contiennent des nanomatériaux (lien archivé ici). Des soupçons dont il n'est pas fait mention dans les vidéos virales.
"Dans de nombreux domaines comme celui de l’agroalimentaire, les nanomatériaux manufacturés sont utilisés pour leurs propriétés propres à la nano-échelle (propriétés optiques, mécaniques, etc.) ainsi que pour leur surface spécifique importante. Les nanomatériaux manufacturés peuvent être ajoutés volontairement en tant qu’additifs alimentaires ou en tant qu’additifs technologiques dans la formulation des matériaux au contact des denrées alimentaires", explique l'agence.
L'Anses a classé le ferrocyanure de sodium et le carbonate de magnésium comme "substances présentes dans l’alimentation humaine et pour lesquelles la présence de nanomatériaux manufacturés est suspectée et non confirmée après examen de la littérature et des données".
L'utilisation des nanomatériaux n'est pas assez traçable, a regretté l'organisme, appelant les pouvoirs publics à renforcer le suivi de ces produits souvent mal connus et dont les risques possibles inquiètent (lien archivé ici).
Car si la France a rendu obligatoire depuis 2013 la déclaration "substances à l'état nanoparticulaire", dans un registre "R-Nano", géré par l'Anses, le dispositif comporte de nombreuses limites.
"Niveau de renseignement médiocre et validité limitée des données" rendent ainsi difficile leur exploitation, notent les experts de l'agence sanitaire, pointant entre autres les exemptions, l'invocation possible du secret des affaires ou encore "l'absence de vérification de la validité des données déclarées".
Ils soulignent également l'absence d'obligation de déclaration pour les utilisateurs finaux, distributeurs par exemple, qui empêche d'atteindre "complètement" la traçabilité.
En 2022, l'Anses "réitèr[ait] sa recommandation de limiter l’exposition des travailleurs et des consommateurs aux nanomatériaux tant que leur innocuité n’a pu être démontrée, et d’éviter de même la dispersion de ces particules dans l’environnement. Pour cela, l’Agence recommande de favoriser les produits dépourvus de nanomatériaux et équivalents en termes de fonction, d’efficacité et de coût" (lien archivé ici).