Emmanuel Macron qui annonce l'enseignement de l'arabe, à la place de l'anglais, dès la maternelle ? Non : cet audio a été généré par IA

  • Publié le 22 décembre 2023 à 16:27
  • Mis à jour le 06 mai 2024 à 17:40
  • Lecture : 8 min
  • Par : Emilie BERAUD, AFP Afrique
Une allocution indûment attribuée à Emmanuel Macron, dans laquelle il annoncerait le remplacement de l'anglais par l'arabe "dès la maternelle", a suscité de nombreuses interrogations sur les réseaux sociaux depuis début décembre. Mais cet extrait sonore provient d'un compte TikTok parodique habitué à diffuser des contenus satiriques sur le président. La vidéo originale du discours a été tournée lors de l'inauguration de la Cité internationale de la langue française le 30 octobre 2023, et la voix, semblable à celle du président, a été générée par intelligence artificielle avant d'être superposée aux images.

Une vidéo relayée plus de 14.000 fois depuis le 9 décembre sur TikTok (lien archivé ici) suscite de nombreuses interrogations en ligne. On y devine le président français Emmanuel Macron, installé derrière un pupitre, prendre la parole devant une assemblée composée de représentants politiques où l'on aperçoit notamment la ministre de la Culture Rima Abdul Malak et le ministre de l'Education nationale Gabriel Attal. 

"Mes chères concitoyennes, mes chers concitoyens, l'arabe sera enseigné dès la maternelle, remplaçant l'anglais", annonce la voix sur l'enregistrement, semblable, à s'y méprendre, à celle du président français.

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Capture d'écran prise sur TikTok le 20 décembre 2023

"Pour ceux qui se demandent si je suis sérieux, permettez-moi de vous le prouver en vous adressant quelques mots en arabe, une langue que je parle couramment", poursuit la prétendue voix d'Emmanuel Macron, avant de prononcer une phrase en arabe littéraire qui signifie : "bonjour à tous, je suis heureux de présenter ces nouvelles réformes éducatives".

Ces images sont partiellement masquées par un texte en arabe, apposé noir sur blanc en filigrane, indiquant : "il faut intégrer la langue arabe car la France est pleine d’arabes. Apprendre l’arabe dès l’âge de trois ans".

En commentaire, certains internautes doutent de l'authenticité de ce discours. D'autres, au contraire, semblent y croire. 

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Capture d'écran prise sur TikTok le 20 décembre 2023
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Capture d'écran prise sur TikTok le 20 décembre 2023

Egalement relayé sur Facebook par des comptes basés en Afrique de l'ouest, l'audio  a en fait été créé de toutes pièces, généré à partir d'un logiciel de synthèse vocale.

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Capture d'écran prise sur Facebook le 22 décembre 2023

Une vidéo parodique

La première occurrence de cette vidéo retrouvée par l'AFP a été publiée le 7 décembre sur le compte TikTok "Elyseeparodies" (lien archivé ici), qui diffuse régulièrement des montages à caractère humoristique du président français. L'AFP a d'ailleurs déjà vérifié d'autres clips mis en ligne sur ce compte dans cet article ou encore celui-ci

En légende, le mot dièse "#humour" laisse entendre qu'il s'agit d'une parodie et non d'une allocution authentique du président français. Aucune indication de ce type n'est cependant apposée sur la vidéo elle-même, partagée près de 20.000 fois depuis sa publication, et reprise par d'autres comptes qui ne mentionnent pas sa visée satirique. 

Pour retrouver l'origine des images utilisées pour réaliser ce montage, l'AFP a effectué une recherche d'image inversée avec l'extension de navigateur InVid-WeVerify, menant à une vidéo YouTube d'une durée de 57 minutes (lien archivé ici), mise en ligne par BFMTV, le 30 octobre dernier.

"Le discours d'Emmanuel Macron pour l'inauguration de la Cité internationale de la langue française", est-il écrit en légende. Sur ces images, on peut effectivement lire que le président français s'exprimait ce jour-là depuis Villers-Cotterêts, dans la région Hauts-de-France. C'est dans cette ville qu'il a inauguré la Cité internationale de la langue française. 

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Captures d'écran prises sur YouTube (à gauche) et sur TikTok (à droite) le 20 décembre 2023

"La langue française bâtit l'unité de la nation", c'est "une langue de liberté et d'universalisme", avait alors déclaré le président de la République lors d'un discours dans la cour du château, qui abritera ce "lieu de culture vivante" dédiée à la langue française.

En 1539, François Ier y avait déjà signé l'ordonnance imposant le français dans les textes juridiques, prémices de son usage comme langue officielle (lien archivé ici).

Les images de cette allocution ont été utilisées à plusieurs reprises par l'auteur du compte TikTok "Elyseeparodies" pour réaliser des montages, comme en témoignent les différents clips parodiques ci-dessous :

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Capture d'écran de vidéos parodiques prise sur TikTok le 21 décembre 2023

Audio généré par IA

En ce qui concerne le son de la vidéo que nous vérifions, tout laisse à croire que le compte "Elyseeparodie" a généré une voix ressemblant à celle d'Emmanuel Macron, comme le permettent plusieurs logiciels.

Selon le détecteur d'ElevenLabs, cet audio a 98% de chance d'avoir été créé par ce logiciel de synthèse vocale.

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Capture d'écran prise sur le site ElevenLabs le 20 décembre 2023

En se basant sur des extraits sonores réels, ElevenLabs propose de cloner des voix et de leur faire prononcer le texte choisi. "Cette technologie s'appelle le 'voice cloning'", explique Manel Terraza, fondateur de Loccus.ai, un outil d'identification de voix générées par intelligence artificielle.

Pour reproduire une voix, il suffit de "se procurer un extrait audio de la personne et de le télécharger sur un logiciel. On rédige ensuite le texte souhaité, que le système va lire avec une intonation se rapprochant le plus possible de la voix de la personne. Et vous pouvez écrire dans différentes langues."

Sur le même logiciel, l'AFP a par exemple pu aisément générer la phrase prononcée en arabe par la prétendue voix d'Emmanuel Macron dans le clip que nous vérifions, à savoir : "Bonjour à tous, je suis heureux de présenter ces nouvelles réformes éducatives."

Langue arabe : 0,28% de l'offre linguistique dans le secondaire

Le gouvernement français n'a lancé aucune réforme récente de l'enseignement de la langue arabe. Celui-ci est d'ailleurs peu développé en France.

Dans un article publié sur le sujet en novembre 2022, Libération écrivait ainsi : "L’arabe, deuxième langue la plus pratiquée en France, n’arrive qu’en septième position des langues enseignées à l’école. Trois à quatre millions de personnes la parlent, soit 4% à 6% de la population, mais seulement 0,28% de l’offre linguistique lui est dédiée" (lien archivé ici).

Au collège et au lycée, "sur près de 5,7 millions d'élèves concernés, ils n'étaient que 16.021 à avoir choisi l'arabe à la rentrée 2021", a également déclaré à l'AFP le ministère de l'Education nationale, le 19 décembre, précisant que "les élèves peuvent (...) choisir l'arabe en 1re, 2e ou même 3e langue vivante." Mais tous les établissements ne proposent pas cette option et les professeurs de langue arabe sont peu nombreux à pouvoir exercer dans l'enseignement public français. 

À la rentrée 2021, les établissements du secondaire comptaient "190 enseignants d’arabe", poursuit le ministère, ajoutant que "pour la session 2022, 6 postes étaient proposés à l’agrégation externe et 10 postes au CAPES" dans cette discipline.

"L'Institution (chef d'établissement, professeurs, syndicats...) ne s'engage pas pour l'arabe par crainte de voir l'établissement stigmatisé" par des clichés tel que "l'établissement proposant l'arabe attire une populations immigrée", note Ghalib Al-Hakkak, professeur agrégé d'arabe à la retraite, interrogé par l'AFP le 19 décembre.

"Une création de cours d'arabe (...) s'opère alors quand il y a une volonté forte d'un décideur : recteur, chef d'établissement, surtout", ajoute-t-il. 

"Il y a plein de freins à l’apprentissage de la langue arabe en France", observe également Nabil Wakim, journaliste au Monde et auteur de l'essai "L'Arabe pour tous : pourquoi ma langue est taboue en France".

"Ce qui chapeaute ces freins, qu’ils se forment au niveau des familles ou dans l’Education nationale, ce sont tous les stéréotypes associés à la langue arabe. Aujourd’hui, il y a beaucoup d’amalgames entre la langue arabe et l’islam, entre l’islam et le terrorisme…", estime le journaliste, qui se souvient d'une "campagne de désinformation menée par l’extrême droite et par une partie de la droite" en 2016.

Cette année-là, la ministre de l'Education nationale Najat Vallaud-Belkacem annonçait un projet de réforme visant à supprimer les Enseignements Optionnels de Langues Vivantes étrangères (ELCO), un vieux dispositif assuré en dehors du temps scolaire obligatoire par des enseignants étrangers formés en arabe, croate, italien, portugais, serbe ou turc. 

En parallèle, la ministre évoquait la possibilité d'apprendre ces langues dans le cadre d'un parcours scolaire classique dès le CP, au même titre que l'anglais, l'allemand ou encore l'espagnol.

A l'époque, de "faux communiqués du ministère de l'Education nationale, annonçant l'enseignement obligatoire de l'arabe à l'école primaire, circulaient sur internet", note Nabil Wakim. Une idée erronée reprise par plusieurs représentants politiques, à l'image de Xavier Bertrand, qui disait sur France Inter s'opposer à "l'arabe obligatoire dès le primaire" arguant "qu'il faut faire attention qu'on n'ait rien qui nous mène d'avantage vers la voie du communautarisme" (lien archivé ici).

"Il y a un peu 'deux arabe' : l’arabe 'des élites' qui est perçu comme un passe pour le multiculturalisme, l’ouverture sur le monde, les opportunités professionnelles, et puis l’arabe 'des immigrés' qui, lui, est perçu comme une langue à caractère communautaire", pointe encore Nabil Wakim. 

"Si on pense à la place qu’avait l’italien au XXe siècle en France, elle était aussi perçue comme une langue 'dangereuse' parce que c’était la langue des immigrés et des plus pauvres. On pourrait dire la même chose d’un certain nombre de langues régionales que la IIIe République a voulu mettre de côté. La question c’est : quelle place on fait à ces langues-là ?", interroge le journaliste. 

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22 décembre 2023 Corrige coquille au dernier paragraphe

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