Vue générale d'une base militaire à Niamey, le 10 septembre 2023 ( AFP / -)

Attention à ce document présenté comme un ordre d'opération de l’armée française

  • Cet article date de plus d'un an
  • Publié le 15 septembre 2023 à 13:33
  • Lecture : 5 min
  • Par : Théo MARIE-COURTOIS
Depuis fin août, des internautes partagent un document présenté comme un ordre d’opération de l’armée française. Selon eux, ce texte d'une dizaine de pages fixe le cadre d'une intervention de l'armée française et de ses alliés au Niger suite au coup d'Etat du 26 juillet qui a renversé le président Mohamed Bazoum. Mais l'authenticité de ce document qui comporte de nombreuses failles et incohérences, est contestée par l'armée française et les experts interrogés par l'AFP.

"!! ALERTE !! VOICI LE PLAN DE GUERRE PRÉSUMÉ DE L’ARMÉE FRANÇAISE CONTRE LE NIGER", écrit Nathalie Dasilva, une influenceuse ivoirienne, dans un post Facebook en date du 28 août (lien archivé ici). Plusieurs captures d’écran d’un document présenté comme un “ordre d’opération NMR1 de la task force Phoenix” accompagnent la publication qui comptabilise 172 partages.

Un peu plus tôt, la page Facebook “PEDRO HEBDO TV” postait une publication similaire (lien archivé ici), assurant publier “une partie tirée du document de 12 pages du secret défense (sic) sur l’intervention militaire que la France veut imposer au Niger”. Ce post a récolté une cinquantaine de partages.

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Captures d'écran réalisées sur Facebook le 15 septembre 2023

Ce prétendu ordre de mission est supposé présenter le cadre d'une opération militaire baptisée Phoenix, “déclenchée pour protéger les intérêts vitaux de la France” au Sahel après le coup d’Etat au Niger du 26 juillet.

Il a largement circulé sur les réseaux sociaux, relayées par des pages et personnalités très suivies, comme la panafricaniste suisso-camerounaise Nathalie Yamb (dont nous avons vérifié les affirmations à plusieurs reprises comme ici et ici) qui a publié le document complet de 12 pages sur son canal Télégram sans commentaire ni contexte.

A plusieurs reprises, la mention “Chris Yapi” apparaît en filigrane sur les photos partagées. Dans sa publication Facebook, Nathalie Dasilva assure d’ailleurs que “Chris Yapi ne ment pas”. Il s’agit d’une référence à un internaute ivoirien très suivi qui se présente comme “l'un des enquêteurs les plus persécutés de Côte d'Ivoire” dont plusieurs publications ont également été vérifiées par l’AFP Factuel (1 et 2).

Nombreuses incohérences

Ce n’est évidemment pas un ordre d’opération de l’armée française”, réagit auprès de l’AFP Pierre Gaudillière, porte-parole du chef d’état-major des armées. En cause : de “grossières erreurs”, selon lui.

Interrogé par l’AFP le 13 septembre, Elie Tenenbaum, directeur du Centre des Études de Sécurité de l'Institut français des relations internationales (Ifri) abonde. "Au premier regard, on voit bien que c’est un faux grossier", assure-t-il, notamment grâce aux nombreuses fautes d’orthographe et approximations dans les termes utilisés.

"Dès la première ligne il y a une aberration: la mention ‘secret défense’ à gauche et ‘diffusion restreinte’ à droite alors que ce sont deux niveaux de classifications mutuellement exclusifs", explique le chercheur.

Par ailleurs, depuis 2021, la classification des documents sensibles a évolué, la mention “Secret Défense” disparaissant au profit des catégories “Secret” et “Très Secret” comme l’indique ce document du gouvernement (lien archivé ici).

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Extrait du nouveau système de classification des documents sensibles

Plusieurs incohérences sont également à souligner dans le tableau intitulé “Articulation des forces en présence”. Bien que mentionné sur ce document, le 1er REI, pour Régiment étranger d’infanterie, n’existe pas.

Les deux seuls régiments étrangers d’infanterie sont les 2e REI et 3e REI, comme l'indique la Légion étrangère sur son site (lien archivé ici). Une confusion a pu être faite avec le 1er régiment étranger (RE), “une unité de formation qui n’est pas amenée à être déployée” sur les théâtres opérationnels, relève Elie Tenenbaum.

Selon l’expert, l’auteur de ce document a visiblement "pris des unités célèbres des parachutistes et de la légion” pour asseoir sa légitimité auprès du public.

Mais cela ne suffit pas à faire illusion, d’autant qu’habituellement “on ne réfléchit pas en régiment mais en groupements tactiques interarmes (GTIA), composés d’éléments issus de plusieurs régiments”, ajoute-t-il.

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Capture d'écran du document viral avec une partie des unités armées supposément mobilisées

Localisations fausses

Les localisations des unités indiquées dans le document sont également imprécises, voire complètement fausses, a pu constater l’AFP.

Le pré-positionnement, ce sont des unités stationnées en permanence à l’étranger mais aucune ne l’est au Tchad”, relève Elie Tenenbaum. Sur le site du ministère des armées (lien archivé ici), on peut constater que “près de 10.000 militaires sont engagés au sein des forces prépositionnées outremer et à l'étranger.” Si des forces sont bien prépositionnées au Gabon et à Djibouti, le ministère ne mentionne en revanche pas le Tchad.

Le 2e régiment étranger de parachutistes (REP) mentionné dans le document est d’ailleurs établi en Corse.

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Cartographie des unités de l'armée françaises positionnées en Outre-mer et à l'étranger selon le site du ministère des Armées

Quant à la zone des trois frontières, “on ne sait pas dans quel pays on est” pointe M. Tenenbaum, ajoutant que “ce n’est pas précis, puisqu’il existe plusieurs zones dites des trois frontières” et qu'un document officiel préciserait forcément le ou les pays concernés.

A la lecture du document, le terme “mercenaires” peut également paraître étrange. Depuis 2003, cette activité est en effet interdite par la loi (lien archivé ici) et son utilisation dans un document officiel paraît hautement improbable.

Enfin, sur les douze pages, "il n’y a pas de signature alors qu’un document comme cela est normalement signé par une autorité", explique Elie Tenenbaum.

La diffusion de ce document intervient dans un contexte tendu entre la France et le nouveau pouvoir nigérien.

Après le coup d'Etat, la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cedeao) a brandi la menace d'une intervention militaire au Niger, dont elle avait annoncé la préparation, pour rétablir l'ordre constitutionnel, libérer Mohamed Bazoum et le restaurer dans ses fonctions présidentielles. Une décision soutenue par la France, qui compte environ 1.500 soldats dans ce pays sahélien, dans le cadre de la lutte antidjihadiste.

Dimanche, le régime militaire nigérien a accusé la France de préparer une “agression” en pointant "une centaine de rotations d'avions militaires cargo ayant permis de débarquer d'importantes quantités de matériel et d'équipement de guerre au Sénégal, en Côte d'Ivoire et au Bénin, pour ne citer que ceux-là". "Ces manoeuvres" ont pour but de "réussir une intervention militaire contre notre pays", selon les généraux.

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