Cette scène a été filmée en 2021 en Afghanistan et non au Niger
- Publié le 15 septembre 2023 à 16:37
- Lecture : 7 min
- Par : Monique NGO MAYAG
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Des milliers de personnes ont manifesté une nouvelle fois le 2 septembre à Niamey pour réclamer le départ des troupes françaises du Niger, tel qu’exigé par le régime militaire arrivé au pouvoir par un coup d’Etat fin juillet (dépêche archivée ici). Une publication qui cumule près de 3.000 partages et 600.000 vues sur Facebook depuis le 4 septembre est censée montrer les manifestants "prenant d'assaut" la base militaire qui abrite les soldats français dans la capitale nigérienne, "obligeant ses habitants à se cloîtrer pour se sauver”.
Sur la séquence virale, qui circule aussi sur Tik Tok, on voit des milliers de personnes rassemblées en plein air devant un haut mur surmonté de fils barbelés derrière lequel se trouvent des hommes en uniformes militaires, équipés de casques et de gilets pare-balles. Certains d'entre eux récupèrent de très jeunes enfants que leur confie la foule, avant de les soulever pour les faire passer de l'autre côté de l'enceinte.
"Nous sommes sur place (à Niamey, ndlr), il n’y a pas eu de scène de ce genre", commente un internaute sous le post viral.
Pour vérifier ces assertions, nous avons effectué une recherche d’image inversée grâce à l’outil InVid-WeVerify (voir ici comment procéder) sans pouvoir retrouver l'origine exacte de cette vidéo. Les résultats nous renvoient à chaque fois à des publications montrant des scènes évoquant l’évacuation en août 2021, de citoyens afghans à l’aéroport de Kaboul, en Afghanistan.
Nous avons suivi cette piste par ailleurs mentionnée par certains internautes en commentaires pour procéder à une nouvelle recherche avec les mots-clés "enfants afghans aéroport Kaboul". Ce qui a permis de trouver une vidéo (archivée ici) publiée 21 août 2021 sur X (ex-Twitter) très similaire à la séquence virale. Selon la description de l'auteur de ce post, elle montre "les soldats d’Azerbaïdjan qui sont déployés en Afghanistan, [qui] sauvent des enfants Afghans des risques d’écrasement de la foule qui s’est tassée autour de l’aéroport de Kaboul".
Cette seconde vidéo a été largement relayée le 21 août 2021 par plusieurs médias azerbaïdjanais dont la chaîne de télévision publique ITV (dès la 15ème seconde, archivé ici), qui félicite dans son journal "les soldats de maintien de la paix défendant l'aéroport de Kaboul" pour cette initiative.
En comparant la vidéo virale à celle publiée par la chaîne Itv, on retrouve la foule compacte massée devant la même enceinte surmontée de fils barbelés. On aperçoit également en arrière-plan (à gauche) le même paysage de végétation qui ressemble à un champ agricole, séparé de la cour surpeuplée par des murs en béton d'où s'élève un grand lampadaire gris. A chaque fois, on remarque également des soldats debout derrière les barbelés (à gauche). Ils prennent des enfants que des gens dans la foule leur tendent, afin de les mettre à l'abris de l'autre côté de l'enceinte.
Selon un correspondant de l’AFP en Afghanistan, tous ces éléments permettent de supposer que les deux scènes ont été filmées sur le même site, précisément sur le flanc est de l’aéroport de Kaboul, autour du camp Baran, peu après l'arrivée à Kaboul des talibans. Autre indice, on peut voir dans la vidéo virale des personnes tenir des dossiers entre leurs mains. Or à l'été 2021, de nombreux Afgans espérant quitter le pays se rendaient à l'aéroport avec des papiers devant permettre de les identifier ou d'attester qu'ils avaient travaillé avec les alliés de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN).
Des dizaines de milliers de personnes ont ainsi tenté de fuir le pays à la suite de la prise de pouvoir le 15 août du mouvement islamiste radical, qui après une expédition militaire en dix jours est entré dans la capitale semant des scènes de panique, comme le rapportait une dépêche de l’AFP (archivée ici).
Cette opération d’évacuation à Kaboul, qualifiée par le président américain Joe Biden de "l’une des plus difficiles de l’histoire", a mobilisé pendant une semaine dans des conditions chaotiques, des avions du monde entier, pour évacuer par l’aéroport des diplomates, d’autres étrangers et des Afghans.
Les soldats de plusieurs pays ont assuré la sécurité de l’aéroport international de Kaboul pour permettre les évacuations. Une photo du service d'information du département américain de la Défense (archivée ici), prise le 20 août 2021, montre des soldats américains postés à un checkpoint dans le cadre cette opération. On trouvait par ailleurs des troupes d'autres pays comme la France, le Royaume-Uni, l'Azerbaïdjan et la Turquie.
A cette époque, des images de militaires étrangers acceptant de mettre à l'abris des enfants et des bébés tendus par leurs parents bloqués dans la foule ont fait le tour du monde, comme cette photo d’un soldat américain soulevant un bébé par-dessus les fils barbelés d'un mur surplombant de l'aéroport. Une scène qui là aussi, ressemble beaucoup à celle de la vidéo virale sur Facebook.
La scène virale n'a donc rien à voir avec la crise politique actuelle au Niger.
Tensions entre Niamey et Paris
Après le coup d'Etat du 26 juillet au Niger, l'organisation régionale ouest-africaine Cedeao a brandi la menace d'une intervention militaire pour rétablir l'ordre constitutionnel, libérer le président déchu Mohamed Bazoum et le restaurer dans ses fonctions (dépêche archivée ici).
Une décision soutenue par la France qui compte 1.500 soldats stationnés au Niger pour participer à la lutte antijihadiste dans le cadre d'accords militaires bilatéraux - que le nouveau régime nigérien a dénoncés, estimant que la présence des militaires français sur son territoire est désormais illégale.
En soutien aux nouveaux maîtres du pays, des milliers de personnes ont manifesté à Niamey pour réclamer le départ des forces françaises (dépêche archivée ici) pendant plus d'une semaine début septembre. Les rassemblements se tenaient près d'une base nigérienne abritant les soldats français, à l'appel de plusieurs coalitions de la société civile.
De son côté, Paris considère toujours Mohamed Bazoum, retenu captif par la junte, comme le chef de l'Etat légitime, et refuse jusqu'à présent de répondre aux revendications des militaires (dépêche archivée ici). Ces derniers réclament aussi le départ de l'ambassadeur de France à Niamey.
Avant le coup d'Etat, le Niger était un de ses derniers alliés au Sahel et pays clé dans le dispositif français de lutte contre le terrorisme.
