
Elles prennent des anti-allergiques pour grossir, attention à cette mode dangereuse
- Cet article date de plus d'un an
- Publié le 26 avril 2023 à 17:05
- Mis à jour le 28 juin 2024 à 11:10
- Lecture : 9 min
- Par : Julie PACOREL, AFP France
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Sur Instagram, TikTok ou YouTube, elles forment une communauté: les "skinny", les "maigres" en français. Ces femmes se désespèrent de leurs poitrines et fesses menues, racontent avoir "tout essayé" pour prendre quelques kilos, en vain.
Jusqu'à la découverte du "produit miracle", disent-elles, qui leur aurait fait prendre de 50 à 65 kilos en quelques semaines à peine.

Elles se transmettent le secret: il suffirait de prendre un anti-allergique, la Periactine, pour ouvrir son appétit et parvenir à grossir.
"Je suis passée de 57 kilos à 65 en 10 jours, je trouve que ça se voit un peu", décrit une tiktokeuse en se tournant pour laisser voir son postérieur face à la caméra. "J'ai pris le médicament avec une bouchée de miel et ça m'a donné grave faim", continue-t-elle en montrant une boite de Periactine à l'écran.
Sur TikTok, le hashtag #periactin cumule 135.000 vues au 20 avril.

Une autre tiktokeuse explique s'être trouvée dans "une situation critique", où elle "ne mangeait plus du tout", mais ne trouvant pas d'aide auprès de son médecin traitant qui ne lui aurait proposé que du fenugrec (une plante riche en fibres), elle est "tombée sur un forum avec des filles" parlant de Periactine.
"J'ai fait confiance aux filles je suis même pas allée voir mon médecin traitant, je l’ai essayé", explique-t-elle, ajoutant: "Moi qui mangeais plus, maintenant j'ai tout le temps faim, même dans mon lit je mange".
Periactine, un anti-allergique très ancien...
La Periactine (archive) est un très vieux médicament, commercialisé dès les années 60, à base de cyproheptadine, une molécule aux effets orexigènes (qui font prendre du poids). Mais son indication a changé au fil du temps...
Marie Tardieu, cheffe du pole médicaments en allergologie de l'ANSM (agence française du médicament, lien archivé ici), a expliqué à l'AFP le 31 mars que la cyproheptadine, un anti-histaminique utilisé pour soigner les symptômes allergiques comme le rhume des foins, avait obtenu en 1961 un "visa", donc une autorisation de vente, dans l'anorexie.
"Il y a eu une indication pour la ‘stimulation de l’appétit chez les malades présentant une diminution de l’appétit accompagnée d’une perte de poids’ jusqu’en 1994, qui a été retirée", abonde lors d'un entretien à l'AFP le 31 mars le docteur Laurent Chouchana, en charge de la pharmacovigilance du produit. Cette indication de l'anti-allergique visait à traiter "des signes associés à une maladie et pas chez des personnes en bonne santé", insiste le Dr Chouchana.
Des études cliniques "pas très robustes" dans cette indication pour démontrer l'effet de la prise de poids et prouver une bonne balance bénéfice/risques ont conduit les autorités sanitaires à cesser de recommander la cyproheptadine pour cet usage, en France, puis au Canada et aux Etats-Unis, explique M. Chouchana.
Dans le Vidal, la notion de "prise de poids" retirée en 1994 comme indication thérapeutique, apparaît depuis 2000 comme un effet indésirable du médicament.

...détourné de son usage pour prendre du poids
Alors que la Periactine n'est presque plus prescrit comme anti-histaminique, car dépassé par des molécules bien plus performantes, le pharmacologiste qui travaille aussi au sein de la Société française de pharmacologie et de thérapeutique (archive)a vu apparaître, sur Twitter, "des gens qui nous signalaient l’utilisation de cette molécule par d’autres internautes pour prendre du poids".
En faisant quelques recherches sur les réseaux sociaux, le Dr Chouchana découvre "tout l’iceberg : TikTok, YouTube, avec des apprentis sorciers qui faisaient des prescriptions médicales incroyables, dans le but de ressembler à Kim Kardashian, à la limite de l’exercice illégal de la médecine".
Les Centres de pharmacovigilance (archive), explique-t-il, qui veillent à l'innocuité des produits de santé, sont aussi habitués à surveiller de près le mésusage des médicaments, et particulièrement de ceux ayant une incidence sur le poids, comme l'Ozempic, un antidiabétique utilisé par des personnes non-diabétiques pour perdre des kilos rapidement.
Fin mars, la SFPT a publié un communiqué (archive) pour alerter sur cette tendance dangereuse avec la Periactine.
Une somnolence parfois intense
Dans le cas de la Periactine, les effets secondaires sont particulièrement inquiétants. La notice Vidal du médicament met par exemple en garde contre des risques de "glaucome aigu", mais aussi contre "une somnolence, parfois intense chez certaines personnes" qui peut "être augmentée par la prise d'alcool ou d'autres médicaments sédatifs".
"C’est une vieille molécule donc ses effets indésirables sont bien connus", résume le Dr Chouchana, énumérant "des convulsions, des hallucinations, et la plupart du temps des somnolences qui peuvent entraîner des chutes, mais il y a aussi des effets plus graves comme des problèmes hépatiques, sanguins, cardiaques, notamment s’il y a du surdosage".
"Le problème avec le mésusage", relève M. Chouchana, "c’est que le médecin ne va pas forcément pouvoir faire le lien entre ces effets indésirables et le médicament, car sa prise est souvent cachée".
Le médecin s'inquiète notamment des "doses proposées dans les vidéos sur internet", souvent bien supérieures à la posologie conseillée pour l'anti-histaminique.
Les effets secondaires sont d'ailleurs bien observés et rapportés par les internautes: "vous verrez ça marche vite et ça fait dormir de fou", écrit une tiktokeuse en légende de sa vidéo. Une autre écrit: "grâce à ce médicament j’ai pris 15 kilos mais j’ai fais [sic] que dormir".
Les commentaires copiés dans l'image ci-dessous témoignent d'effets très lourds sur le sommeil.

Pour le Dr Chouchana, "ce n’est jamais bon de médicaliser une prise ou une perte de poids, sauf dans quelques cas liés à une obésité sévère etc". "Tous les médicaments comportent des risques et ne doivent pas être pris en dehors de leur indication de tout cadre médical", rappelle-t-il.
D'autant que, comme en témoignent des internautes, les effets sur la prise de poids stoppent dès l'arrêt du médicament. Et, plus fâcheux selon les "testeuses": les kilos ne vont pas forcément se loger aux endroits voulus...
Un mésusage apparu en Afrique plusieurs décennies auparavant
Parmi les vidéos vantant la Periactine pour prendre du poids, beaucoup viennent d'influenceuses ou internautes africaines, notamment sur YouTube.
En Afrique effectivement, le mésusage de la cyproheptadine date de bien avant l'avènement des réseaux sociaux, et est documenté depuis les années 2000.
Une étude (archive) sur la population de Kinshasa (République Démocratique du Congo) en 2011 a montré un taux de mésusage de ce médicament pour prendre du poids de plus de 70%, en grande majorité des jeunes femmes, dans un pays où les canons de beauté mettent en avant les femmes voluptueuses.
En plus des effets secondaires mentionnés plus haut, l'étude a montré un autre risque encouru par les amateurs de cyproheptadine: l'obésité, d'autant que la moitié des participants prenait la molécule pendant plus d'un an et déclarait la compléter avec de la dexaméthasone, un corticoïde également pris pour prendre du poids.
Sur les réseaux, les femmes africaines vantent aussi souvent un autre produit, illégal en France mais qu'on trouve en quelques clics sur internet, l'apétamine. "Ayez le corps dont vous rêvez avec APETAMIN", promet ainsi un site de vente en ligne, assurant que "l’Apétamin est un moyen simple et éfficace pour augmenter sa masse corporelle ainsi que ses rondeurs de façon graduelle et mesurée".
Dans leur profil sur YouTube notamment, certaines internautes glissent des liens promotionnels pour des produits comme l'Apétamine.

L'Apétamine, vendue comme un complément alimentaire, contient un certain nombre de vitamines mais aussi de la cyproheptadine, le principe actif de Periactine.
Pour le docteur Chouchana c'est un produit particulièrement dangereux "car il contient un médicament mais n'est pas vendu, donc contrôlé comme tel, on ne sait pas ce qu'il y a dedans".
En avril 2021, le NHS britannique (le système de santé) a mis en garde contre ce produit également interdit au Royaume-Uni et demandé dans une lettre à Instagram (archive) de veiller à interdire sa publicité.
Dans des pays comme le Royaume-Uni ou les Etats-Unis où la Periactine n'est disponible que sur ordonnance, l'Apétamine constitue une alternative illégale mais facile d'accès.
Le laboratoire italien Teofarma, qui commercialise la Periactine, n'a quant à lui pas répondu aux sollicitations de l'AFP.
En France, un phénomène sous surveillance
En France jusqu'en juin 2024, la Periactine était accessible très facilement, sans ordonnance et pour un prix très modique, à moins de 10 euros la boîte, même si elle n'était pas remboursée par la sécurité sociale du fait de son faible bénéfice thérapeutique.
En 2023 déjà, la Société de pharmacologie avait estimé que "le rapport bénéfices risques de la cyproheptadine devrait être réévalué en vue du retrait de son autorisation de mise sur le marché ou au minimum de son inscription sur une liste à prescription obligatoire".
Elle a été entendue, puisqu'à compter du 10 juillet, "tout médicament contenant de la cyproheptadine ne pourra être dispensé que sur prescription médicale", a annoncé l'ANSM dans un communiqué (archive) le 27 juin.
L'ANSM a pris sa décision "sur la base de ce qu'on voit sur les réseaux sociaux où il y a toujours une promotion importante de l'usage 'cosmétique'" de ce traitement, a expliqué à l'AFP Isabelle Yoldjian, directrice médicale à l'agence.
Difficile toutefois de se faire une idée de l'ampleur réelle de l'usage détourné de Periactine car, au-delà des pharmacies, ce traitement est largement vendu en ligne, de manière difficilement contrôlable, a-t-elle ajouté: "On ne peut pas avoir une estimation chiffrée du mésusage", estimant que les quelques cas d'effets indésirables recensés ces dernières années sont probablement en-dessous de la réalité.
Sans ordonnance donc, il sera désormais impossible de s'en procurer en pharmacie, et les ordonnances devraient très rares puisque d'autres antiallergiques ont depuis fait leurs preuves avec une meilleure efficacité et moins d'effets secondaires.
Pour autant, les ventes en ligne devraient diminuer mais pas cesser: "Nous ne sommes pas la police de l'internet", a reconnu Mme Yoldjian, qui juge toutefois que les actions entreprises par l'ANSM ont d'ores et déjà contribué à une meilleure prise de conscience des risques associés à un usage détourné de ce traitement.
Mise à jour avec la fin de la vente libre de la cyproheptadineCorrige coquille dans une citation27 juin 2024 Mise à jour avec la fin de la vente libre de la cyproheptadine
28 avril 2023 Corrige coquille dans une citation