Les affirmations erronées de Philippe de Villiers sur les "400.000" terroristes potentiels en France
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- Publié le 27 avril 2021 à 17:42
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- Par : Jérémy TORDJMAN, AFP France
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"On ne peut plus dire qu’il n’y a pas de lien entre l’insécurité et l’immigration": fidèle à sa ligne politique très droitière, Philippe de Villiers a livré mardi 27 avril sur RTL sa grille de lecture de l'attentat de Rambouillet du 23 avril qui a couté la vie à Stéphanie Monfermé, une fonctionnaire de police de 49 ans.
Plusieurs dirigeants à droite et à l'extrême droite ont creusé le même sillon mais l'ancien eurodéputé, un temps soutien d'Emmanuel Macron, a ajouté sa propre touche en affirmant que la France compterait des centaines de milliers de personnes présentant le même profil que l'assaillant jihadiste de Rambouillet, un Tunisien radicalisé de 36 ans, tué après avoir perpétré son attaque au couteau.
"On est en train d’installer en France un damier (d'identités, ndlr), un côte à côte, (…) un camaïeu, et ce damier, il produit ce que nous avons sous les yeux", a déclaré M. De Villiers sur la matinale de RTL, la plus suivie de France après France Inter. "Aujourd’hui, selon El Karoui qui a fait un livre récemment, de l’Institut Montaigne, il parle de 400.000 personnes comme le tueur de Rambouillet. C’est-à-dire, ça peut nous arriver à tous, tous les jours", conclut M. De Villiers, en se référant aux travaux d'Hakim El Karoui, spécialiste de l'islam et chercheur associé à l'institut Montaigne, un centre de réflexion libéral.
? Immigration : "La France se défrancise", estime @PhdeVilliers dans #RTLMatin avec @VenturaAlba pic.twitter.com/2lG7pUehL0
— RTL France (@RTLFrance) April 27, 2021
"400.000" terroristes en puissance présents en France? Le chiffre fait bondir M. El Karoui qui récuse une telle interprétation de ses travaux, compilés dans l'ouvrage "Les militants du djihad: Portrait d'une génération" (Ed. Fayard), sorti en janvier 2021 et co-écrit avec Benjamin Hodayé.
"C'est intéressant comme manipulation de l’information", résume même M. El Karoui, contacté mardi 27 avril par l'AFP.
Dans cet ouvrage, les deux auteurs suivent le parcours de 700 jihadistes français et concluent qu'ils viennent tous d'un groupe "très homogène": "des jeunes qui vivent dans les quartiers populaires, aux trois quarts d’origine maghrébine, avec un niveau de formation pas catastrophique", explique M. El Karoui.
C'est ce groupe "très homogène" qui réunit, selon le chercheur, entre 300.000 à 400.000 personnes. "Sur ces 300 à 400.000 personnes, on estime qu’il y a 10.000 jihadistes qui sont passés à l’acte ou pourraient le faire", explique M. El Karoui, pointant le contresens de M. De Villiers sur RTL.
"Il n’y a pas 300.000 à 400.000 jihadistes, il y en a 10.000", martèle le chercheur, disant se fonder sur le nombre de personnes inscrites au Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT).
Créé en mars 2015, ce fichier a pour "finalité principale de recenser et de centraliser les informations relatives aux personnes qui, engagées dans un processus de radicalisation, sont susceptibles de vouloir se rendre à l’étranger sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes ou de vouloir prendre part à des activités à caractère terroriste", indiquait un rapport d'information de l'Assemblée nationale publié en octobre 2018.
En août 2020, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin avait indiqué que 8.132 personnes étaient alors inscrites dans ce fichier. Quelques semaines plus tard, le 13 octobre, il avait précisé que plus de la moitié d'entre eux --4.111-- étaient des étrangers, dont 851 étaient des immigrés clandestins. L'assaillant de Rambouillet était inconnu des services de renseignement et ne figurait pas dans le FSPRT.
L'ordre de grandeur est donc bien éloigné du chiffre de "400.000" personnes évoqué par M. De Villiers.
M. El Karoui relève par ailleurs un autre contresens commis sur RTL par l'ancien secrétaire d'Etat à la Culture (1986-1987) et fondateur du Puy du Fou : le tueur de Rambouillet présente ainsi un profil totalement différent du groupe de 300.000 à 400.000 jeunes identifié dans ses travaux. "Il est Tunisien alors qu’on parle de jeunes Français, il est plus âgé (36 ans, ndlr) et il n’habite pas dans un quartier populaire", résume M. Karoui, dénonçant le "raisonnement nul" de M. de Villiers, qui avait fondé au milieu des années 90 Le Mouvement pour la France, un parti souverainiste de droite aujourd'hui disparu.
"Ce qu’il veut c’est agiter la peur la plus extrême et organiser un conflit à l’intérieur de la société française", assure le chercheur.
Dans un entretien accordé le 17 avril à Valeurs Actuelles, M. De Villiers appelle à "l'insurrection". Dans son dernier ouvrage "Le Monde d'après" (Ed. Albin Michel), il accuse par ailleurs les géants d'internet de profiter de la pandémie et recycle, selon le service de fact-checking du Monde, une théorie du complot.
Des chiffres lacunaires sur l'asile
Appelant à restreindre les flux migratoires, M. De Villiers a également évoqué sur RTL les chiffres "astronomiques" de l'immigration en France: "175.000" demandeurs d’asile en France et "274.000" cartes de séjour.
Cette affirmation est en partie trompeuse: M. De Villiers indique ainsi que ces chiffres datent de 2019 en assurant qu'il s'agit "de la dernière année comptabilisée" par les autorités -- ce qui est faux.
Le 21 janvier 2021, le ministère de l'Intérieur a ainsi publié les chiffres de l'immigration en 2020 qui font apparaître une chute de 41% en un an des premières demandes d'asile, tombées à 81.669 sous l'effet des restrictions de déplacement liées au Covid.
Selon ce même document, les autorités ont par ailleurs délivré 220.535 premiers titres de séjour l'an dernier, en baisse de 20,5% par rapport à 2019.
Même rapporté à 2019, le chiffre de 174.000 demandes d'asile évoqué par M. De Villiers est par ailleurs inexact: selon les autorités, 138.420 premières demandes avaient alors été déposées et 12.863 renouvellements enregistrés, soit un total de 151.283.