Le code de Nuremberg ne rend pas la vaccination obligatoire "impossible" en France
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- Publié le 30 juillet 2021 à 16:01
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- Par : AFP France
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"N'en déplaisent aux personnes sous emprise psychologique", écrit l'auteur de l'une des publications diffusant ce visuel, qui appelait à manifester "dans toute la France" le 24 juillet contre l'extension du pass sanitaire et la vaccination obligatoire des soignants.
"Une obligation vaccinale est juridiquement impossible pour un médicament en phase de tests. Nul ne peut être soumis sans son consentement éclairé à une expérience médicale", peut-on lire sur l'image, qui contient également une référence au "Code de Nuremberg", un lien hypertexte et un QR code menant au lien en question quand on le scanne.
Le document en lien est une "traduction et adaptation en français", hébergée sur le site de l'Inserm, d'un jugement pénal daté de 1947 par le Tribunal militaire américain à Nuremberg en Allemagne.
Il est devenu au fil des années le "code de Nuremberg", une série de principes listés par le tribunal, dans son verdict rendu en août 1947 contre 23 médecins et personnels administratifs jugés pour des expériences sur des détenus dans les camps nazis.
Des messages convoquant à la fois le spectre des crimes nazis et la notion "d'expérience médicale" pour faire référence aux vaccins contre le Covid-19 avaient déjà circulé en France en début d'année. L'AFP y avait consacré un article.
Ce raisonnement est erroné, selon deux experts en santé publique interrogés par l'AFP.
Essais médicaux et code de Nuremberg
"C’est très fort : on compare des scientifiques avec des médecins nazis qui mettaient de l’acide dans les plaies des pauvres détenus qui se faisaient torturer dans les camps", a expliqué à l'AFP lundi 15 février Xavier Bioy, professeur d'université à Toulouse-1 et spécialiste de la bioéthique.
General view of Nuremberg International Military Tribunal (IMT) court taken in September 1946, during the war crimes trial of nazi leaders during the world war II. The trial started in November 1945 and ended on October 01, 1946, but evidences generated other trials until 1949. AFP PHOTO ( AFP / -)
Les dix recommandations du "code de Nuremberg" -- recueillir le "consentement éclairé" du patient ou s'assurer que l'expérience évite les "souffrances" et les "atteintes, physiques et mentales, non nécessaires" -- ont infusé dans la pratique médicale mais n'ont jamais eu force de loi en France.
"C'est un document historique mais ce n’est pas du tout par rapport à ce code qu’on se situe pour décider si une expérimentation est licite ou illicite", a expliqué à l'AFP vendredi 15 février Philippe Amiel, sociologue, juriste de la santé à l'université Paris-Diderot et auteur de travaux sur le code de Nuremberg.
Le "code de Nuremberg" n'empêcherait donc pas la vaccination obligatoire en France, qui a été étendue en octobre 2017 avec l'aval du Parlement. Onze vaccins sont ainsi, depuis janvier 2018, obligatoires pour les enfants, contre 3 auparavant, comme l'expliquait l'AFP ici.
En France, c'est la loi Huriet-Sérusclat de 1988 qui va, pour la première fois, encadrer formellement les recherches biomédicales sur l'homme dans l'espoir de mettre fin aux expérimentations sauvages.
Des "verrous de contrôles" pour les vaccins
Contacté par l'AFP, l'ancien député (Nouveau Centre) Olivier Jardé, qui a donné son nom à une loi de 2012 complétant ce dispositif, rappelle que la vaccination contre le Covid-19 n'a rien d'une "expérience médicale".
"On n’est plus dans l’expérimentation, on est dans la phase où on recherche des effets secondaires", explique ce chirurgien de profession, décrivant un processus d'homologation strictement encadré par la loi.
Les vaccins contre le Covid-19 autorisés en France ont, de fait, tous suivi les étapes imposées à chaque traitement avant une mise sur le marché européen et hexagonal: une première phase pour évaluer l'éventuelle nocivité du produit, une deuxième pour le tester sur un nombre limité de malades et une troisième pour juger de l'intérêt thérapeutique auprès d'un échantillon plus étendu.
Les résultats de la phase 3 des essais cliniques, qui se déroule sur des milliers de volontaires, ont été communiqués (par exemple ici pour Moderna et ici pour Pfizer en décembre) mais peuvent être mis à jour et complétés ensuite, au terme de l'autorisation de mise sur le marché (AMM) conditionnelle accordée à ces vaccins.
Une AMM conditionnelle permet aux développeurs du vaccin de soumettre des données supplémentaires (études nouvelles ou en cours) après le feu vert des autorités, contrairement à une AMM classique où la totalité des données doit être préalablement soumise. Dans le cadre de cette procédure d'urgence, qui a permis d'accélérer considérablement la mise à disposition des vaccins contre le Covid, l'Agence européenne des médicaments (AEM) a accordé des autorisations pour un an, renouvelables.
Mais cela ne veut pas dire pour autant que les vaccins mis sur le marché n'ont pas été testés correctement. "L'AMM conditionnelle rassemble tous les verrous de contrôles d’une autorisation de mise sur le marché standard pour garantir un niveau élevé de sécurité pour les patients", précise l'Agence nationale du médicament (ANSM) sur son site.
En délivrant une AMM conditionnelle, l'Agence européenne des médicaments estime que la balance "bénéfice-risque" est respectée, c'est-à-dire que la protection offerte globalement contre le Covid-19 est beaucoup plus importante que les potentiels effets secondaires ou risques induits par le vaccin.
L'AEM souligne ainsi que les vaccins contre le Covid-19 ne peuvent être autorisés en Europe que s'ils "satisfont à toutes les exigences de qualité, de sécurité et d'efficacité définies dans la législation pharmaceutique de l'Union européenne". Une fois toutes les données complémentaires fournies, l'AMM conditionnelle peut être transformée en AMM standard.
Aujourd’hui, les vaccins autorisés font, comme tout nouveau produit médical, l'objet d'une phase de pharmacovigilance pour suivre les effets secondaires des vaccins aussi bien en France, par l'ANSM, qu'à l'échelle européenne, par l'AEM.
Malgré des suspicions liées notamment à l'apparition de rares caillots sanguins après la vaccination à l'AstraZeneca, les autorités sanitaires répètent, à ce stade, que "le rapport bénéfice-risque du vaccin reste globalement positif".
"L’administration d’un médicament ou d’un vaccin par un médecin ou par une infirmière dans les conditions autorisées légalement ne constituent pas un empoisonnement", expliquait le 15 février M. Bioy, écartant toute responsabilité pénale des professionnels de santé quand leurs actes ont "un but thérapeutique" et qu'ils sont menés dans un cadre défini par la loi.
Hors de ce cadre, la réalité est tout autre. Un professionnel de santé qui mènerait des expérimentations sur des êtres humains sans avoir reçu l'aval des autorités sanitaires et respecté les conditions légales s'exposerait à des poursuites judiciaires