Attention à cet ancien canular sur une prétendue distribution de "Strawberry quick" dans les écoles
- Publié le 19 novembre 2025 à 17:42
- Lecture : 8 min
- Par : Rossen BOSSEV, AFP Bulgarie
- Traduction et adaptation : Cintia NABI CABRAL , AFP France
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Fin septembre 2025, l'ancien canular "Strawberry Quick", apparu pour la première fois en France en 2010, a resurgi sur les réseaux sociaux. Des publications virales mettent en garde les parents contre une prétendue drogue, à l'arôme de fraise, qui serait distribuée dans les écoles, illustrée par une photo de pilules en forme d'oursons roses. Mais c'est faux : ni l'Agence européenne des drogues ni le ministère de l'Éducation nationale n'ont signalé le moindre cas récent d'une substance appelée "Strawberry Quick". L'image relayée en ligne remonte en réalité à 2016.
En novembre 2010, la préfecture de la Haute-Garonne indiquait faire face, par la faute d'un canular informatique, à un afflux d'appels et de courriels de personnes alarmées. La raison ? Des enfants consommeraient une nouvelle forme de drogue : une méthamphétamine appelée "strawberry met" ou "strawberry quick" (lien archivé ici). A l'époque, des individus avaient usurpé l'entête de la préfecture et diffusé un faux document portant le logo officiel du ministère de l'Intérieur, prétendant alerter sur la circulation d'une "nouvelle drogue" dans les établissements scolaires.
Quinze ans plus tard, ce canular refait surface sous une nouvelle forme et se propage massivement sur les réseaux sociaux.
"Nouvelle drogue dans les écoles... Merci de faire passer ce message même si vous n'avez pas d'enfants à l'école. Les parents devraient être informés de cette drogue. Il s'agit d'une nouvelle drogue connue sous le nom de 'Strawberry Quick'", affirme un post Facebook daté du 28 septembre 2025. Depuis sa mise en ligne, la publication a cumulé plus de 48.000 partages et des centaines de réactions. Si le post est illustré d'une photo montrant une main tenant un sachet transparent, rempli de comprimés roses en forme d'oursons roses, il ne fournit aucune information sur le lieu ou les établissements où cette prétendue drogue serait distribuée.
Selon cette publication virale, le "Strawberry Quick" serait "un type de méthamphétamine en cristaux qui ressemble à des sucettes glacées à la fraise (des bonbons qui grésillent et 'éclatent' dans la bouche). Elle sent aussi la fraise et est distribuée aux enfants dans les cours d'école. On l'appelle méthamphétamine à la fraise ou 'Strawberry Quick'. Les enfants l'ingèrent en pensant que c'est un bonbon et sont emmenés d'urgence à l'hôpital dans un état critique. Il existe également au chocolat, au beurre de cacahuète, au cola, à la cerise, au raisin et à l'orange".
Des messages similaires circulent sur Facebook (1, 2, 3), Instagram (1, 2), TikTok et LinkedIn, et dans plusieurs langues, notamment en allemand, anglais, azerbaïdjanais, bulgare, cingalais, chinois, espagnol, malais,néerlandais et russe.
Mais attention : l'affirmation selon laquelle une drogue nommée "Strawberry Quick" serait distribuée aux enfants dans les écoles est, une nouvelle fois, infondée.
Contacté le 14 novembre par l'AFP, le ministère de l'Education nationale indique n'avoir relevé "aucun signalement" ni reçu "aucune alerte sur cette prétendue nouvelle drogue" dans les établissements scolaires.
Dès lors, se pose la question : quelles sont les origines de cette rumeur ?
Saisie de "Strawberry Quick" lors de perquisitions en 2007
En réalité, cette rumeur infondée circule depuis près de vingt ans, et est apparue à la même période que les premières informations médiatiques faisant état de la saisie d'une méthamphétamine aromatisée à la fraise dans le Nevada, aux États-Unis, lors d'une perquisition en 2007.
En effectuant une recherche par mots-clés, l'AFP a retrouvé un article publié le 28 janvier 2007 sur le site d'un média régional du Nevada relatant une opération policière : "Une nouvelle sorte de méthamphétamine, à la saveur de fraise et à la coloration rose vif, a été saisie pour la première fois à Carson City, lors d'une perquisition dans un appartement de la rue Como", indique l'article. Selon ce média, une personne avait été arrêtée, accusée de "vendre la méthamphétamine aromatisée, connue dans la région de Sacramento, et désormais à Carson City, sous le nom de 'Strawberry Quick'" (lien archivé ici).
L'article cite également un officier de police affirmant que "la méthamphétamine 'Strawberry Quick' est populaire parmi les nouveaux consommateurs, notamment ceux qui la sniffent, car l'aromatisation peut atténuer le goût" du produit. Il ajoutait que "les adolescents, conscients de la dangerosité de la méthamphétamine, pourraient percevoir cette version aromatisée comme moins nocive".
Dans un reportage d'ABC News daté du 29 mars 2007, le shérif adjoint de Carson City, Steve Albertson, expliquait par ailleurs que "les trafiquants de drogue et les laboratoires clandestins donnent à la méthamphétamine des noms comme fraise rapide, méthamphétamine au beurre de cacahuète, ruban bleu, voire méthamphétamine au chocolat" (lien archivé ici).
Le rapport "National Methamphetamine Threat Assessment 2008" du National Drug Intelligence Centre - un organisme du ministère de la Justice des Etats-Unis, depuis intégré à l'agence antidrogue américaine (DEA) - mentionne également la saisie d'une "méthamphétamine aromatisée à la fraise" appelée "Strawberry Quick", décrite comme prenant l'apparence de petits fragments roses (lien archivé ici).
Cependant, l'AFP n'a trouvé aucune trace de saisies récentes de méthamphétamine à la fraise. Une nouvelle recherche par mots-clés sur le site de la DEA fait bien apparaître des listes de saisies de cannabinoïdes synthétiques ou de méthamphétamine et de cocaïne teintes en rose, mais ne contient aucune mention de "Strawberry Quick" (liens archivés ici et ici).
Une photo de pilules d'ecstasy datant de 2016
Le média américain Snopes avait déjà démenti cette affirmation il y a dix ans, en s'appuyant sur un article archivé du site web "mdmateam.com", présentant la même photo des pilules en forme d'oursons roses, avec la description suivante : "Purple Bears w/ 180mg MDMA". La MDMA est une drogue récréative illicite, plus connue sous le nom d'ecstasy (liens archivés ici et ici).
Si le site "mdmateam" n'est plus accessible aujourd'hui, sa description d'origine indiquait : "Enfants : Nous ne vendons PAS de MDMA, LSD ou autres drogues. Nous les publions simplement ici !".
La page avait également été archivée le 4 mai 2016. Bien que la photo ne soit plus visible, l'horodatage de la publication indique qu'elle avait été mise en ligne "il y a une semaine" ("1 week ago" en anglais), ce qui situe sa diffusion initiale vers la fin avril 2016.
Une alerte récente aux bonbons suspects en Guadeloupe
L'AFP a constaté que le canular a refait surface sur les réseaux sociaux à partir de février 2025. Le 12 février, la municipalité de Capesterre Belle-Eau, en Guadeloupe, a en effet diffusé une alerte concernant des bonbons suspects. Dans le communiqué, on aperçoit la photo virale associée au "Strawberry Quick" (lien archivé ici).
Selon la presse locale - Guadeloupe la 1ère, France-Antilles et RCI -, un collégien aurait raconté à sa mère qu'un homme l'avait abordé pour lui proposer un bonbon. L'enfant aurait refusé. "Après un signalement en mairie, une main courante a été déposée au commissariat de la commune, selon Annick Choisi, maire adjointe en charge de la réglementation et de la sécurité de Capesterre Belle-Eau", peut-on lire dans l'article du 13 février de Guadeloupe la 1ère (liens archivés ici, ici et ici).
Selon ce média, une enquête aurait été ouverte afin de faire la lumière sur cette affaire.
Contactée le 17 novembre par l'AFP, la police locale affirme toutefois qu'"aucune procédure [n'est] en cours", et que, dans ses services, "personne n'est au courant" d'une quelconque distribution de bonbons suspects.
Si la police confirme qu'un communiqué communal a bien été publié le 12 février 2025, évoquant une alerte transmise par un parent d'élève, ce témoignage reste fragile : aucune analyse n'a été menée, aucun bonbon n'a été conservé, et l'ouverture d'une enquête n'est aujourd'hui pas confirmée par les autorités. À l'époque des faits, l'AFP avait interrogé le parquet, qui n'avait rien à signaler, faute de dépôt de plainte.
Aucune preuve de "Strawberry Quick" sur le territoire français
Contactée le 17 novembre, la Fédération des conseils des parents d'élèves (FCPE) a affirmé à l'AFP n'avoir "jamais" entendu parler du "Strawberry Quick", et n'avoir trouvé aucun message de parents signalant ce type de situation (lien archivé ici).
"Notre premier conseil est de mettre en doute ces circulations d'informations, qui prennent d'ailleurs plusieurs formes : cela peut concerner des médicaments supposés être distribués aux enfants, ou des rumeurs d'enlèvement aux abords des écoles", affirme Grégoire Ensel, vice-président national de la FCPE, à l'AFP (lien archivé ici). Selon lui, en l'absence, dans les premières heures, d'une prise de parole officielle de la gendarmerie, de la police ou du procureur de la République, "tout porte à croire qu'il s'agit d'une rumeur". Il recommande ainsi de vérifier d'abord ce qu'en disent "des journaux locaux fiables et reconnus, en dehors des réseaux sociaux".
Dans un second temps, le vice-président de la FCPE invite les parents à "échanger immédiatement avec le chef d'établissement" — directeur ou directrice d'école, principal de collège, proviseur de lycée —, la FCPE ou les autorités.
"Dernier conseil : ne pas relayer ces contenus. Même s'ils sont émotionnellement chargés et anxiogènes, et même si l'on souhaite protéger les autres en les partageant, il ne faut surtout pas leur donner d'écho", insiste-t-il, rappelant que leur diffusion contribue à renforcer un "sentiment d'insécurité".
L'AFP a également sollicité l'Agence européenne des drogues (EUDA), organisation indépendante basée à Lisbonne et chargée de collecter et d'analyser les données européennes sur les drogues et la toxicomanie (lien archivé ici).
Cette agence collabore notamment avec Europol et le Système d'alerte précoce (SAP) pour "détecter, évaluer et répondre rapidement aux menaces sanitaires et sociales causées par de nouvelles substances psychoactives (NPS)". La méthamphétamine n'est pas considérée comme une NPS, également appelée "nouveau produit de synthèse" (lien archivé ici).
"Après vérifications supplémentaires, mes collègues disent qu'ils n'ont aucune information concernant un produit de ce type à ce jour", a répondu Kathryn Robertson, directrice principale des relations médias et de la communication d'entreprise de l'EUDA, dans un courriel adressé le 4 novembre 2025 à l'AFP (lien archivé ici).
L'EUDA précise qu'entre 2020 et 2025, l'Espagne a signalé au SAP de l'Union européenne "des échantillons saisis contenant de la méthamphétamine en combinaison avec d'autres nouvelles substances psychoactives - principalement de la kétamine, du 2C-B, de la MDMA, mais aussi des cathinones synthétiques -, principalement sous forme de poudre rose". Cependant, le SAP "n'a trouvé aucune référence à un produit appelé 'Strawberry Quick'".
Selon le dernier rapport du Projet européen d'enquête en milieu scolaire sur l'alcool et les autres drogues (ESPAD), publié en octobre 2025, la consommation à vie (entre 1995 et 2024) de drogues illicites - autres que le cannabis - a diminué au cours des 10 dernières années (lien archivé ici). L'ESPAD mène des enquêtes tous les quatre à cinq ans depuis 1995, ciblant les élèves âgés de 15 à 16 ans dans 37 pays.
L'AFP Factuel a déjà vérifié une autre fausse affirmation concernant une distribution de drogues sous formes de bonbons dans des écoles sud-africaines, dans un article à lire ici.
