Le logo de la Caisse d'allocations familiales (CAF) à Tourcoing, le 30 septembre 2014. (AFP / PHILIPPE HUGUEN)

Non, les "étrangers" ne représentent pas "42%" des allocataires de la CAF

Les députés ont entamé début novembre 2025 l'examen du projet de budget de la Sécurité sociale, prévoyant plusieurs mesures d'économies. Dans ce contexte, des internautes prétendent, vidéo d'un débat politique à l'appui, que "42%" des allocataires de la Caisse d'allocations familiales (CAF) sont "des étrangers". Mais cette affirmation, qui circule depuis plusieurs mois, est fausse : elle repose sur un calcul non pertinent, qui rapporte un nombre d'individus allocataires de la CAF nés à l'étranger au nombre de foyers allocataires, lesquels peuvent comptabiliser plusieurs bénéficiaires.

"42% [des allocataires] de la CAF sont des étrangers" : sur TikTok, Facebook et X, ce chiffre apparaît en titre d'une vidéo partagée depuis plusieurs mois par des internautes.

Dans cette séquence d'environ une minute, Thaïs d'Escufon, ancienne porte-parole du groupe d'ultradroite Génération identitaire (dissous en 2021), avance ce fameux pourcentage, à propos de supposés allocataires de la Caisse d'allocations familiales (CAF) nés à l'étranger : "42% des allocataires de la CAF sont nés à l'étranger. C'est déjà énorme."

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Capture d'écran TikTok et croix rouge réalisées par l'AFP le 5 novembre 2025.

"C'est insupportable de toujours demander aux Français 'c'est à vous de faire des efforts'. Mais en fait les Français ils sont chez eux, c'est à ceux qui viennent de faire des efforts pour venir habiter en France, enfin c'est quand même fou quoi !", poursuit-elle dans cet extrait tiré d'une émission de débat de mars 2022 du média numérique Le Crayon - qui a bénéficié d'un investissement du milliardaire conservateur Pierre-Edouard Stérin.

Mais ce chiffre est faux et résulte d'un calcul erroné qui interprète à tort le nombre d'allocataires de la CAF comme un nombre d'individus alors qu'il désigne en réalité des foyers.

Comme l'explique un lexique disponible sur le site de la CAF, (lien archivé ici), "la notion d’allocataire" est en effet "une notion de foyer [...] et non d’individu. Ainsi, compter des allocataires signifie compter des foyers constitués de personnes seules ou de plusieurs personnes (familles)."

De fait, les 12,7 millions d’allocataires (foyers) de la caisse nationale des allocations familiales (CNAF) percevant "au moins une prestation" en 2018 - peu avant que le chiffre de 42% ne commence à circuler dans le débat public - représentaient ainsi "près de 32 millions de personnes couvertes, dont près de 14 millions d’enfants"(lien archivé ici). 

Comme l'a expliqué la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) à l'AFP le 28 octobre 2025, selon les dernières données disponibles en date de fin 2022 et "toutes prestations confondues" (allocations familiales, RSA, aide au logement...), "11% [des] 13,5 millions de foyers allocataires sont de nationalité étrangère."

Pour rappel, en 2024, selon l'Insee, la France comptabilisait 9,3 millions de personnes nées à l'étranger : 7,7 millions d'immigrés (soit une personne "née étrangère à l'étranger et résidant en France") et 1,6 million de personnes "nées de nationalité française à l'étranger"  (lien archivé ici).

Un chiffre issu d'un mauvais calcul 

D'où provient le chiffre avancé dans la vidéo virale relayée ces derniers mois ? 

Eric Zemmour l'avait avancé en mai 2020 lors d'un débat avec Michel Onfray sur CNews.

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Capture d'écran Dailymotion réalisée le 6 novembre 2025 par l'AFP.

"42% des versements de la CAF sont versés à des étrangers", affirmait le polémiste dans cette séquence (à partir de 27:17 ; lien archivé ici).

En réponse à la précision de l'animatrice Christine Kelly sur le fait qu'il s'agisse de "personnes nées à l'étranger", il ajoutait :  "Je n'ai pas dit 'd'origine étrangère', je n'ai pas dit que leurs parents étaient étrangers. Je n'ai pas dit 'Français d'origine étrangère', je dis 'étrangers'."

Eric Zemmour indiquait tenir ce chiffre de Charles Prats, ancien magistrat au sein de la Délégation nationale à la lutte contre la fraude (dont l'AFP avait déjà vérifié des chiffres relatifs à la fraude sociale).

Ce dernier affirmait pour sa part la même année sur Twitter se baser sur des données publiées au Journal officiel du 7 novembre 2019 (lien archivé ici) pour chiffrer le nombre supposé d'allocataires nés à l'étranger - et pas d'étrangers, comme l'avançait Eric Zemmour.

En 2019, selon l'Insee, la France comptait 8,4 millions de personnes nées à l'étranger, dont 6,7 millions d'immigrés et 1,7 million "de personnes françaises nées à l'étranger" (lien archivé ici). 

Dans le Journal officiel du 7 novembre 2019, en réponse à une question de la sénatrice centriste Nathalie Goulet portant sur le nombre de numéros de Sécurité sociale (ou NIR) attribués à "des étrangers séjournant en France et à des Français nés à l'étranger", la ministre des Solidarités et de la santé Agnès Buzyn indiquait que "depuis sa création en 1988, un total de 21.200.975 numéros d'inscription au répertoire des personnes physiques (NIR) a été attribué par le service administratif national d'immatriculation des assurés (SANDIA)."

Sur ce total incluant "l'ensemble des personnes nées à l’étranger", c'est-à-dire à la fois les personnes étrangères séjournant en France et les Français nés à l'étranger, "qui ont été amenées à percevoir ou à solliciter à un moment donné le bénéfice d'une prestation de sécurité sociale", on dénombrait au 1er juin 2019 selon la ministre "17.268.782 personnes encore en vie et 3.932.193 personnes décédées", et, "parmi celles toujours en vie, 12.392.865 personnes disposant d'un droit 'ouvert' à recevoir au moins une prestation sociale".

La réponse indiquait également que "43% des personnes" disposaient d'un droit "ouvert" pour des prestations familiales - tout en précisant que ce droit ouvert ne signifie pas forcément "qu'un paiement de prestations ait d'ores et déjà été versé à l'ensemble de ces personnes".

C'est sur ce pourcentage que Charles Prats avait fondé ses calculs. 

Il a ainsi comptabilisé 5,3 millions de "NIR de personnes prétendument nées à l'étranger qui sont allocataires de la branche famille" (soit 43% des 12.392.865) et l'a rapporté aux 12,7 millions d'allocataires de la CNAF en 2018 (lien archivé ici), pour aboutir au total de 42% d'allocataires nés à l'étranger. 

Sauf que, comme l'avaient expliqué Libération et Arte Désintox dans une vidéo de juillet 2020 (lien archivé ici), les 5,3 millions se rapportent à des individus et les 12,7 millions à des foyers allocataires, qui peuvent, eux, comptabiliser plusieurs bénéficiaires - ce qui fausse les calculs et les proportions en jeu. 

En rapportant ces 5,3 millions d'individus aux près de 32 millions de personnes couvertes en 2018, le pourcentage serait en effet d'environ 16% - loin des 42% avancés.  

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Un livret de la Caisse d'allocations familiales (CAF), le 8 octobre 2014. (AFP / PHILIPPE HUGUEN)

Un NIR qui concerne également les foyers allocataires

Comme l'a précisé depuis la CNAF à l'AFP, l'exigence d'un NIR est "valable aussi bien pour l'allocataire responsable du dossier que pour les autres membres du foyer (conjoint et personnes à charge)."

Il n'est donc "pas possible d'établir un lien [...] entre le nombre de NIR de personnes nées à l’étranger issus du SANDIA [Service administratif national d'identification des assurés, NDLR] et le nombre d'allocataires déterminé par la Cnaf".

La CNAF pointe également l'impossibilité "d'établir une juste proportion en faisant un ratio entre ce nombre de NIR et le nombre de bénéficiaires total, le statut de bénéficiaire pouvant être variable dans le temps - par exemple, un bénéficiaire du RSA ou de la prime d'activité ne l'est pas forcément de manière continue d'un trimestre sur l’autre.

Concrètement, comme l'a expliqué le 31 octobre 2025 à l'AFP l'avocate Elise Debiès (lien archivé ici), ancienne directrice des relations internationales de la Caisse d'assurance vieillesse (CNAV) et co-autrice en 2024 d'un article sur l'évolution du NIR (lien archivé ici), "un NIR égale un assuré social".

Attribué dès la naissance aux personnes nées en France, il l'est en revanche, pour les personnes nées à l'étranger, à leur premier contact avec un organisme de Sécurité sociale, comme la CAF. 

Ainsi, les enfants mineurs d'un foyer possèdent un NIR avant même leur acquisition de droits : jusqu'à leurs 18 ans, ils sont donc ayant-droits de leurs parents (ou de l'un des deux), comme l'explique le site Vie publique (lien archivé ici). 

"En tant qu'enfant, vous ne cotisez pas donc votre ouvrant droit, celui qui vous ouvre des droits, c'est votre père et votre mère, [...] mais vous avez un NIR", résume Elise Debiès.

"Un foyer, c'est une entité qui est prise en compte par les allocations familiales", développe l'experte, en prenant un exemple : "S'il y a six enfants dans le foyer, avec un père et une mère, il y a huit personnes dans le foyer. S'il y a une mère et un enfant, il y a deux personnes.

"La Sécurité sociale ne gère pas du tout la nationalité. Ce n'est pas une donnée dont on a besoin. Elle gère la résidence stable en France pour ce qui est des prestations de subsistance, de solidarité nationale, qui ne sont pas liées à des cotisations. Il faut résider de manière régulière et stable en France [...] et elle traite tous les assurés sociaux de la même manière", souligne Elise Debiès, en rappelant que toute personne née à l'étranger voit le numéro 99 indiqué à la place du numéro de département sur son NIR. 

Les aides versées par les caisses d'allocations familiales sont les cibles récurrentes d'infox, dont plusieurs ont été vérifiées par l'AFP - telles qu'une prétendue fin de versement aux personnes nées à l'étranger à partir de 2026, ou encore la fausse annonce de suppression de l'allocation logement en 2025.

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