Non, cette photo ne montre pas la présidente de Tanzanie fuyant les manifestations post-électorales
- Publié le 7 novembre 2025 à 18:01
- Lecture : 7 min
- Par : Monique NGO MAYAG, AFP Sénégal
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Les Tanzaniens se sont rendus aux urnes le 29 octobre 2025 pour les élections législatives et présidentielle. De larges manifestations anti-régime ont éclaté dès le jour du scrutin, dont les modalités et l’intégrité sont contestées par l’opposition. Ces manifestations, qui ont duré trois jours, ont été réprimées dans le sang. Sur les réseaux sociaux, l’image d’une femme montant dans un hélicoptère est vastement partagée en affirmant qu’il s'agirait de la présidente Samia Suluhu Hassan, reconduite à l’issue du scrutin, qui fuirait la Tanzanie devant l’ampleur de la mobilisation. Mais c’est faux : l’image est antérieure aux élections et ne montre pas Samia Suluhu Hassan, mais une gouverneure du nord du pays en visite pour le lancement d’une opération de transfert d’éléphants.
La présidente tanzanienne sortante Samia Suluhu Hassan, promue à la tête de la Tanzanie à la mort de son prédécesseur en 2021, a officiellement remporté l’élection présidentielle du 29 octobre 2025 avec presque 98% des voix, a annoncé lundi la commission électorale (dépêche AFP archivée ici).
Mais dès le jour du vote, la population est descendue dans la rue pour dénoncer le régime au pouvoir et contester un scrutin sans véritable opposition. Pendant trois jours, ces manifestations ont été violemment réprimées par le régime.
Le principal parti d'opposition, Chadema, avance qu'il y aurait eu au moins 800 morts. L'AFP n'a pas pu vérifier ce bilan de manière indépendante, mais des sources diplomatiques et sécuritaires ont cependant corroboré l'idée que des centaines, voire des milliers de personnes, avaient été tuées en marge des élections.
Dans ce contexte, de nombreuses publications relayent depuis le 1er novembre l’image d’une femme qui monte dans un hélicoptère, affirmant qu’il s’agirait de Samia Suluhu Hassan fuyant la colère des citoyens tanzaniens.
"Il paraît que c'est l'image de la dame de fer Samia Suluhu Hassan, Présidente de la Tanzanie, en train de fuir le pouvoir à l'aide d'un hélicoptère de l'armée vers une destination inconnue pour le moment", peut-on lire sur la page Facebook d'une organisation basée au Burkina Faso, dans une publication "aimée" plus de 2.500 fois (lien archivé ici).
L'image en question montre une femme de dos, vêtue d'un ensemble jaune et noir et coiffée d'un foulard noir. Elle se tient debout sur le marchepied d’un l'hélicoptère aux couleurs d'un camouflage, tandis que deux hommes semblant appartenir aux forces de l'ordre la regardent prendre place à bord de l'appareil. D’autres posts, comme ici en Côte d’Ivoire, présentent une version vidéo de la même scène.
Des internautes basés au Cameroun (1, 2), en République démocratique du Congo (lien archivé ici) ou encore au Nigeria (liens en anglais archivés ici et ici) affirment eux aussi que ces images montreraient Samia Suluhu Hassan fuyant la Tanzanie, devant l’ampleur de la contestation civile.
Mais c’est faux : l’image en question est antérieure aux élections et ne montre pas de Samia Suluhu Hassan. La présidente fraîchement élue n’a pas fui le pays, et a au contraire été investie lundi 3 novembre.
Photo d’une autre femme datant d’avant les élections
Nous avons d'abord procédé à une recherche d'images inversées pour retrouver des indices pouvant nous guider vers le contexte réel de cette scène.
Celle-ci nous conduit rapidement vers la page Instagram de l'organisme tanzanien chargé de la gestion des parcs nationaux du pays, la Tanapa.
Dans une publication datant du 3 septembre 2025, soit plusieurs semaines avant le scrutin présidentiel, on trouve une série de 11 photos dont certaines sont très similaires à l’image censée montrer la fuite de la présidente tanzanienne (lien archivé ici).
On reconnait la femme qui porte exactement les mêmes vêtements, quelques militaires et aussi l’hélicoptère, même si certains numéros de son immatriculation apparaissent légèrement effacés dans la photo de mauvaise qualité reprise récemment sur les réseaux sociaux.
Selon la légende en swahili, ces clichés montrent le lancement d'une opération de transfert de plus de 500 éléphants depuis la vallée de Kitengule vers la Réserve nationale de Burigi-Chato, deux endroits situés dans le nord-ouest du pays.
Ce lancement s’est fait en présence de "Fatma Mwassa, la gouverneure de la région de Kagera", précise la publication.
Une recherche sur internet nous permet de retrouver l’ancien compte Instagram de la gouverneure, inactif depuis mars 2025, et de confirmer grâce aux photos que la femme portant l’ensemble jaune sur les photos de Tanapa est bien Fatma Mwassa, et non Samia Suluhu Hassan, qui a notamment les sourcils plus épais (lien archivé ici)
de la présidente Samia Suluhu Hassan lors d’une conférence de presse le 28 octobre 2025 (à droite) (AFP / Michael JAMSON)
AFP Factuel a cherché à contacter ses services ainsi que ceux du parc pour se faire confirmer l’origine de la photo utilisée pour faire croire à la fuite de la présidente en hélicoptère. Aucun des deux n’avait répondu à date de publication de cet article.
En revanche, d’autres contenus présents sur internet confirment le contexte dans lequel ont été prises ces images.
Grâce à une recherche par mots clefs ("Transfert + éléphants + Tanzanie + 2025" en swahili, soit "kuhamishwa kwa tembo Tanzania 2025"), on retrouve sur Facebook une vidéo de six minutes qui montre la même femme dans le même décor que dans les photos de la Tanapa et dans l’image vastement republiée ces derniers jours pour faire croire au départ de Samia Suluhu Hassan (lien archivé ici).
La publication précise en swahili que ces images montrent en effet le lancement dans la région de Kagera d'une opération de déplacement de plus de 500 éléphants survenue "le 2 septembre 2025", soit presque deux mois avant les élections.
Elle confirme aussi que la femme visible sur les images est bien "la gouverneure de la région de Kagera, Fatma A. Mwassa”, venue assurer dans son discours les "citoyens que le temps est venu pour eux de ne plus vivre dans la peur des dommages causés par ces éléphants qui envahissent leurs champs et habitations et mettent leur vie en danger".
Sur ce même compte Facebook au nom de Jamal Kalumuna, on retrouve d'autres contenus concernant cette intervention de Fatma Mwassa, dont une photo où elle se tient debout près d'un hélicoptère, face au photographe, vêtue comme sur l’image devenue virale (archivée ici).
Le nom de l’auteur de ce post, "Jamal Kalumuna", semble associé au logo Jamco, le studio qui a réalisé les photos et vidéos de l'événement du 2 septembre avec Mme Fatma Mwassa. Contacté par l'AFP, il n'a pas pour le moment répondu à nos sollicitations.
Les images vastement partagées fin octobre ne montrent donc pas la présidente tanzanienne tentant de fuir le pays après les élections et les troubles civils qui ont suivi. Ces clichés ont en réalité été pris environ deux mois plus tôt et montrent la gouverneure de la région de Kagera.
Pas de fuite de la présidente
Par ailleurs, la présidente de Tanzanie n’a pas quitté le pays à la suite des manifestations, comme l’affirmaient certaines publications.
Samia Suluhu Hassan a en effet été vue le lundi 3 novembre, lors de sa cérémonie d’investiture (lien archivé ici). En raison des manifestations et de leur répression sanglante, la cérémonie s’est tenue en présence des seules autorités administratives, contrairement aux précédentes éditions qui étaient ouvertes au public.
Le lendemain de cette investiture, le gouvernement tanzanien a partiellement levé les restrictions imposées dans le pays, notamment le couvre-feu et la coupure d'Internet qui ont duré cinq jours (lien archivé ici).
Malgré la fin des manifestations, des civils ont depuis été tués chez eux en "représailles", ont dénoncé vendredi 7 novembre des ONG tanzaniennes qui ont condamné les "violations généralisées des droits de l'Homme avant, pendant et après" les élections du 29 octobre.
Les autorités tanzaniennes refusent de communiquer tout bilan humain, se bornant à regretter du bout des lèvres des "vies perdues".
dans le district de Nyamagana, tué lors des violences postélectorales, à Mwanza, le 6 novembre 2025. (AFP)
Le régime de la présidente Hassan était déjà critiqué pour son caractère répressif avant les élections, sur fond de multiplication des arrestations et des enlèvements de voix critiques. Amnesty international avait alors dénoncé une "vague de terreur".
Les observateurs électoraux de l'Union africaine (UA) ont estimé mercredi que l'intégrité des élections en Tanzanie a été "compromise", citant des "bourrages d'urnes dans plusieurs bureaux de vote". Ces observateurs n'ont par ailleurs pas été autorisés à surveiller le dépouillement et, que dans certains bureaux de vote, "ont été priés de ne surveiller le scrutin que pendant cinq minutes" .
