Un portrait de la présidente tanzanienne Samia Suluhu Hassan affiché sur scène, lors du rassemblement de sa clôture de campagne à Stone Town, le 26 octobre 2025 (AFP / Marco LONGARI)

Non, ces images ne montrent pas la récente contestation des élections en Tanzanie

Samia Suluhu Hassan a été investie présidente de Tanzanie lundi 3 novembre, au cours d'une cérémonie fermée au public. Les résultats du scrutin et ses modalités, contestés par l'opposition, ont entraîné des manifestations qui ont été réprimées dans le sang pendant trois jours. Sur internet, de nombreux contenus montrent ces manifestations et leur répression brutale. Mais parmi eux se trouvent des photos trafiquées et des vidéos décontextualisées, qui n'ont aucun lien avec les récentes manifestations en Tanzanie. En réalité, ces images ont été prises au Kenya, en Afrique du Sud ou bien lors des funérailles du précédent président tanzanien en 2021.

Les Tanzaniens se sont rendus aux urnes fin octobre 2025 pour les élections législatives et présidentielle. Selon les résultats officiels, Samia Suluhu Hassan, promue à la tête de la Tanzanie à la mort de John Magufuli en 2021, a remporté la présidentielle avec 97,66% des voix (dépêche AFP archivée ici).

L'opposition, elle, dénonce d'importantes tricheries et qualifie le scrutin de "parodie de démocratie". Des observateurs électoraux régionaux ont également contesté sa légitimité dans un rapport publié lundi (dépêche AFP archivée ici).

Le scrutin a été marqué par un fort niveau de violence : pendant trois jours, des manifestations anti-régime ont été réprimées dans le sang. Les autorités ont imposé un confinement à la population et bloqué durant cinq jours l'accès à internet. 

L'opposition avance qu'il y aurait eu au moins 800 morts. L'AFP n'a pas pu vérifier ce bilan de manière indépendante, mais des sources diplomatiques et sécuritaires ont cependant corroboré l'idée que des centaines, voire des milliers de personnes, avaient été tuées en marge des élections. 

Des photos et vidéos de cadavres, parfois empilés les uns sur les autres, mais aussi d'hommes en uniforme usant de leur arme à feu, ont commencé à circuler lundi lors de la réouverture partielle de l'accès à internet. Le service de fact-checking de l'AFP a pu vérifier que certains clichés n'avaient jamais été postés auparavant, et qu'il ne s'agissait donc pas d'anciennes photos réutilisées pour illustrer des événements récents, comme cela arrive souvent sur les réseaux sociaux . Plusieurs éléments montrent par ailleurs que ces images ont bien été prises en Tanzanie. 

A l'inverse, de nombreux contenus affirment eux à tort montrer les manifestations survenues ces derniers jours en Tanzanie, et en particulier à Dar es Salaam, la capitale économique du pays. Mais ces images ont en réalité été prises au Kenya et en Afrique du Sud, ou bien ont été filmées lors des funérailles du précédent président tanzanien en 2021. 

Une photo trafiquée du Kenya en 2024

Une image d'un manifestant donnant un coup de pied dans une grenade lacrymogène et d'un autre portant un drapeau de la Tanzanie a largement été diffusée sur les réseaux sociaux le jour du scrutin. Sur X, plusieurs publications d'internautes anglophones reprenant ce cliché, où l'on voit en arrière plan des manifestants enveloppés dans de la fumée, recueillent plus de 2.000 mentions "j'aime" (liens archivés ici et ici). 

En français, des publications diffusées sur Facebook, dont certaines ayant suscité plus de 5.000 réactions, lient aussi ce cliché au contexte tanzanien (liens archivés ici, ici et ici). 

"Tanzanie : La présidente Samia Suluhu Hassan a été réélu avec 97,66% des voix, selon les résultats définitifs annoncés samedi par la commission électorale. Sauf que la population l'attend en vain pour des humbles félicitations", commente ironiquement en légende de la photo un internaute basé au Burkina Faso, dans une autre publication "aimée" près de 1.000 fois (lien archivé ici). 

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Captures d'écran de publication Facebook liant la photo d'un homme tapant dans une grenade lacrymogène aux manifestations actuelles en Tanzanie,
prises le 4 novembre 2025 / Croix rouges ajoutées par la rédaction de l'AFP.

Plusieurs sites d'informations locaux, comme TRT Afrika, Seneweb ou encore Réveil Congo ont repris le cliché comme image d'illustration des manifestations du peuple tanzanien (liens archivés ici, ici et ici). 

Mais c'est faux : la photo n'est pas du tout liée à ces récentes événements; elle montre en réalité des manifestations survenues au Kenya en 2024 et a été sciemment modifiée pour changer le drapeau tenu par l'homme à gauche. 

Une série de recherches d'images inversées nous permet en effet de retrouver le cliché presque à l'identique dans plusieurs articles écrits entre juin et juillet 2024 sur des manifestations antigouvernementales survenues au Kenya. Celles-ci avaient été déclenchées par la présentation d'un budget prévoyant l'instauration de nouvelles taxes (liens archivés ici et ici). L'article du site 20 Minutes précise que le cliché est une photo AFP, prise le 25 juin 2024 dans le centre ville de Nairobi (lien archivé ici). 

Grâce à ces informations, on retrouve l'image dans les archives de l'AFP. Elle a effectivement été prise le 25 juin 2024 à Nairobi par le photographe Luis Tato, lors des manifestations anti-gouvernementales kényanes. L'image est bien la même que celle désormais devenue virale, sauf qu'elle montre un manifestant portant un drapeau du Kenya (lien archivé ici). 

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Capture d'écran d'AFP Forum, le site regroupant les photos prises par l'AFP / Encadrés verts ajoutés par la rédaction de l'AFP

L'image a ensuite été modifiée pour faire croire que l'homme de gauche portait un drapeau tanzanien.

Elle a aussi été légèrement recadrée, si bien qu'on ne voit plus dans la version diffusée actuellement l'enseigne du restaurant "Azuri", qui était initialement visible en arrière plan. Celui-ci nous permet de localiser encore plus précisément l'endroit où la photo a été prise, c'est-à-dire sur l'avenue Moi, à Nairobi, selon Google Maps. 

Elle n'a donc aucun rapport avec les manifestations actuelles en Tanzanie. 

Une vidéo tournée en Afrique du Sud 

Une vidéo de milliers de personnes qui trottinent dans une large rue de centre ville est aussi vastement diffusée par des internautes affirmant qu'elle montre les manifestations en Tanzanie.  

"Les Camerounais, les Ougandais, les Congolais, les Rwandais, les Ivoiriens, les Guinéens et les Togolais devraient s'inspirer des TANZANIENS d'aujourd'hui", affirme ainsi une publication la reprenant sur X, qui a recueilli plus de 2.000 "likes" (lien archivé ici). 

La séquence est aussi utilisée avec les hashtags "#tanzanie #manifestation" dans plusieurs publications d'une page Facebook martiniquaise, dont certaines cumulent plus de 15.000 réactions (liens archivés ici et ici). 

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Captures d'écran montrant des publications sur X et Facebook affirmant que cette vidéo montrerait les récentes manifestations en Tanzanie,
réalisées le 4 novembre 2025 / Croix rouges ajoutées par la rédaction de l'AFP.

Mais c'est faux : cette vidéo n'a pas été filmée en Tanzanie. Elle a été tournée en Afrique du Sud, deux jours avant la tenue des élections tanzaniennes et le début des violences.

Une recherche d'image inversée nous conduit en effet vers la publication le 27 octobre 2025 d'un média sud-africain nommé Izindaba Zethu (lien archivé ici). 

"Une foule de personnes a défilé devant le bâtiment Homii, dans le centre-ville de Durban pour exiger que les images de vidéosurveillance montrant ce qui s'est passé le jour où les jumeaux Dlamini ont été blessés soient rendues publiques", peut-on lire dans le post en zoulou.

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Captures d'écran d'une publication en anglais affirmant que la vidéo montre les manifestation en Tanzanie (à gauche) et la vidéo originale prise en Afrique du Sud
par le média Izindaba Zethu (à droite), réalisées le 30 octobre 2025 / Encadrés de couleurs ajoutés par la rédaction de l'AFP.

C'est bien la même vidéo que celle qui prétend montrer les manifestations en Tanzanie, constate-t-on grâce à plusieurs indices visuels, même si sa version virale a été légèrement recadrée pour tenir dans un format vertical. 

Plusieurs enseignes de magasins - Ackermans, Pioneer Place, Debonairs Pizza et Steers - nous permettent de confirmer que ces images ont bien été tournées en Afrique du Sud, en retrouvant grâce à Google Maps l'endroit précis où la vidéo a été tournée, à savoir le 328 West Street à Durban, ville portuaire située sur la côte est du pays.

Les manifestants visibles dans la vidéo réclamaient justice après un accident mortel survenu le 18 octobre dans un immeuble du coin, indique la presse locale. Des jumeaux de sept ans, nommés Aphelele et Aphile Dlamini, sont tombés dans une cage d'ascenseur dans le complexe résidentiel, entraînant la mort de l'un des enfants (article en anglais archivé ici).

Funérailles du président tanzanien en 2021

Dans une autre vidéo partagée sur X, TikTok et Facebook, on aperçoit de nombreuses personnes courir sur ce qui semble être le tarmac d'un aéroport (liens archivés iciici et ici). 

"Ça chauffe en Tanzanie  ! Les manifestants ont officiellement pris possession de l’aéroport pour protester contre la dérive autoritaire de la présidente, qui se représente pour un nouveau mandat en empêchant la participation de l’opposant le plus populaire du pays", indique ainsi un post sur X qui a recueilli plus de 4.000 likes et 1.000 partages (lien archivé ici).

Une autre publication sur TikTok précise que la séquence de 30 secondes montrerait "des foules immenses" à "l'assaut de l'aéroport international de Dar es Salaam en Tanzanie pour empêcher les membres de l'élite politique de fuir le pays" (lien archivé ici). "C'est le deuxième jour de manifestations de masse suite aux élections générales tumultueuses d'hier", précise le post. 

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Capture d'écran d'une publication sur X prétendant montrer des images des manifestations survenues fin octobre 2025 en Tanzanie,
réalisée le 5 novembre 2025 / Croix rouge ajoutée par la rédaction de l'AFP.

Mais ces affirmations sont fausses : cette vidéo a bien été tournée en Tanzanie, mais elle est bien plus ancienne que les manifestations liées à l'élection présidentielle du 29 octobre 2025.

Une recherche d'images inversée sur des images clés de la vidéo a permis de retrouver de précédentes occurrences de cette séquence, déjà présente sur internet depuis 2021.  

Une version plus longue de la vidéo a été publiée  le 21 mars 2021 sur Instagram par le média local tanzanien HopNews (lien archivé ici). 

"Voici comment les citoyens sont entrés dans l'aéroport international Mwalimu Nyerere pour faire leurs adieux au défunt président John Pombe Magufuli, alors que son corps était transporté à Dodoma", indique la légende en swahili.

On reconnait bien la foule qui court, l'arrière-plan avec quelques arbres, le camion rouge près de la soute et l'avion bleu et blanc d'Air Tanzania, qui transportait la dépouille de John Pombe Magufuli.

Celui-ci est décédé le 17 mars 2021 d'un problème cardiaque, en plein exercice de ses fonctions (lien archivé ici). C'est par son décès que Samia Suluhu Hassan, qui était alors sa vice-présidente, est arrivée au pouvoir. 

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Comparaison entre la vidéo virale censée montrer les manifestations post-élection 2025 (à gauche) et la vidéo publiée par le média local HopNews en 2021 (à droite),
captures d'écran réalisées le 5 novembre 2025 / Croix rouge ajoutée par la rédaction de l'AFP.

A l'époque, la BBC avait aussi utilisé des images du mouvement de foule survenu à l'aéroport pour illustrer plusieurs papiers sur les funérailles du défunt président. Sur l'une d'entre elles, on aperçoit notamment l'escalier d'où est filmé la vidéo qui nous intéresse, ainsi que l'homme en gilet jaune et celui en costume et sacoche noire qui sont visibles à partir de 14 secondes (lien archivé ici). 

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Comparaison entre des individus visibles dans la vidéo virale fin octobre 2025 (à gauche) et une photo reprise sur le site de la BBC en 2021 (à droite),
captures d'écran réalisées le 5 novembre 2025 / Croix rouge et encadré vert ajoutés par la rédaction de l'AFP.

Nous n'avons trouvé aucune source crédible indiquant que des manifestants auraient envahi l'aéroport à la suite des récentes élections en Tanzanie.

Vers un retour au calme

Malgré les violences, Samia Suluhu Hassan a été investie lundi 3 novembre présidente de la Tanzanie, lors d'une cérémonie qui n'était pas ouverte au public, contrairement aux précédentes. 

Les autorités tanzaniennes ont levé mardi 4 novembre le confinement imposé à la population, qui avaient eu un impact dévastateur sur l'économie du pays, mais elles tentent toujours de bloquer la diffusion d'images en ligne (dépêche AFP archivée ici).

A Dar es Salaam, la capitale économique de ce pays de 68 millions d'habitants, de longues files se sont formées mardi matin devant les stations essence rouvertes. La présence des forces de sécurité reste néanmoins visible, selon un journaliste de l'AFP.

Une figure-clé de l'opposition tanzanienne, John Heche, a été inculpée de terrorisme, a dénoncé mardi soir son parti, Chadema. L'information semble attester d'une poursuite de la répression des voix dissidentes par le régime de la présidente Samia Suluhu Hassan, laquelle avait pourtant appelé à "l'unité et la solidarité" lors de son investiture le 1er novembre.

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