
Soigner une dépression grâce au safran ? Attention aux raccourcis
- Publié le 12 septembre 2025 à 12:46
- Lecture : 7 min
- Par : Chloé RABS, AFP France
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Sur les réseaux sociaux, de nombreux naturopathes font la promotion de compléments alimentaires au safran, présentant l'épice comme un antidépresseur naturel et aussi efficace que les médicaments.
"Le safran n'est pas seulement une épice, c'est aussi un antidépresseur naturel. Il a été cliniquement prouvé qu'il améliore l'humeur, aiguise la mémoire et rivalise avec les antidépresseurs, sans effets secondaires", affirme par exemple cet utilisateur sur TikTok.
L'idée que le safran pourrait remplacer les antidépresseurs dans le traitement de la dépression a également été reprise par le médecin Jimmy Mohamed, lors d'une chronique en août 2025 sur RTL (lien archivé ici).
"Dans un épisode de dépression léger à modéré, lorsqu'on fait safran VS antidépresseur, donc versus des médicaments, le safran fait aussi bien qu'un antidépresseur", explique-t-il, précisant un peu plus loin qu'il "n'y a pas besoin d'antidépresseurs" dans tous les cas pour traiter la dépression légère à modérée.
Attention cependant aux raccourcis : les études s'intéressant aux propriétés anxiolytiques du safran comportent de nombreuses limites, pointent des experts interrogés par l'AFP, et les recherches actuelles ne permettent pas de conclure que le safran permet de traiter la dépression - dans les cas où les antidépresseurs ont fait leurs preuves.
"Pas d'antidépresseur naturel"
La dépression se caractérise par "une succession d'épisodes dépressifs caractérisés, se traduisant par de nombreux symptômes - parmi lesquels la tristesse pathologique, la perte de plaisir et les symptômes cognitifs -, avec un retentissement majeur sur la vie du patient et de son entourage", détaille l'Inserm sur son site internet (lien archivé ici).
Sur la vie entière, le trouble dépressif caractérisé concerne "environ 15 à 20% de la population générale".
"L'association de traitements biologiques (les médicaments antidépresseurs en première intention) et de traitements psychothérapiques bien conduits permet de soigner efficacement le trouble dépressif caractérisé et d'éviter la survenue de nouveaux épisodes dépressifs", ajoute l'Institut.
Pour les dépressions légères, "on considère que l'indication d'antidépresseur n'est pas complètement validée, parce qu'il y a d'autres solutions qui marchent aussi bien, voire mieux, comme les psychothérapies", explique Antoine Pélissolo, psychiatre et chef de service à l’hôpital Henri-Mondor à Créteil. "Mais dans les dépressions sévères, quand il y a une douleur morale très importante et les risques qui vont avec comme le suicide évidemment, les antidépresseurs sont nécessaires", ajoute le professionnel.
Cependant, de nombreuses idées reçues circulent sur les médicaments antidépresseurs, entraînant peur et défiance de ceux qui pourraient en avoir besoin. En parallèle, de nombreux naturopathes font la promotion de ce qu'ils qualifient d'antidépresseur naturel, comme le safran.
Toutefois, "il n'existe pas d'antidépresseur naturel qui serait vraiment efficace pour soigner des dépressions", clarifie Antoine Pélissolo, à l'hôpital Henri-Mondor à Créteil.
"Pour le safran, il y a des recherches avec des résultats positifs, pour certains relativement intéressants, mais on est loin de pouvoir dire que ça valide son efficacité en comparaison à celle d'un médicament", résume M. Pélissolo.
"Rien ne peut remplacer un médicament antidépresseur pour soigner une dépression", répond également le site de référence sur les médicaments Vidal à la question "Existe-t-il des antidépresseurs naturels ?" (lien archivé ici).
Le site précise également que "certaines plantes sont prescrites pour soulager les épisodes de dépression légère à modérée" - sans suffire à traiter une dépression sévère ou prolongée - mais n'évoque pas le safran (lien archivé ici).
L'idée que cette épice pourrait soigner la dépression vient des différents composés chimiques que contient le safran, comme la crocine ou le safranal, qui ont des propriétés qui contribueraient à préserver le bien-être mental.
"On parle d'effets antioxydants, anti-inflammatoires... Ce qui est sûr, c'est qu'il a des petites propriétés neuropharmacologiques qui stimulent les neurotransmetteurs, que sont la sérotonine et la noradrénaline, qui seraient impliqués dans la dépression", décrit à l'AFP le Dr François Montastruc, médecin pharmacologue au Centre régional de pharmacovigilance (CRPV) de Toulouse. "Mais on ne peut pas dire que le safran est recommandé pour traiter la dépression", souligne-t-il.

Des études limitées
Que montrent les études sur l'effet du safran dans le traitement de la dépression ? "Il existe de très petites études qui rapportent des résultats prometteurs, mais ces études ont des limites importantes", détaille à l'AFP Jonathan Jarry, communicateur scientifique pour l'Organisation pour la science et la société de l'Université McGill, au Canada.
Les études ne portent que sur "trop peu de participants" - environ 20 participants - et comportent "un biais potentiel considérable", alerte M. Jarry. En effet, le safran est majoritairement produit par l'Iran et "presque toutes les études qui examinent son potentiel contre l'anxiété et la dépression proviennent de ce pays, la majorité même d'un seul laboratoire", détaille-il, citant par exemple ces études : 1, 2.
"L'équipe de recherche iranienne qui a pour la première fois étudié le safran pour traiter la dépression a admis qu'un essai clinique à grande échelle est justifié, mais elle s'est contentée plutôt, au fil des ans, de mener plusieurs petites études-pilotes qui ne nous éclairent pas plus", ajoute-t-il, soulignant ainsi : pour l'instant, "il n'est pas justifié selon moi de dire que le safran a été démontré comme ayant des bénéfices sur la dépression".
Dans un article sur le sujet publié en mai 2023, le vulgarisateur scientifique expliquait également qu'une méta-analyse datant de 2019 faisait état "de preuves de biais de publication dans cette littérature", c'est-à-dire "lorsque des études qui donnent des résultats négatifs ne voient pas le jour parce qu'elles sont considérées comme sans importance ou non publiables".
"Le safran pourrait être un traitement efficace contre les symptômes de dépression et d'anxiété ; cependant, en raison de preuves de biais de publication et d'un manque de diversité régionale, des essais supplémentaires sont nécessaires", concluait cette méta-analyse.
"Les essais cliniques réalisés comportent des limites", juge également le pharmacologue François Montastruc. "Ils sont tous d'un niveau de preuve faible : ce sont de petits effectifs, ils ne reprennent pas les échelles de mesure standard de la dépression, et ils ne sont réalisés que sur de courtes périodes de six semaines", pointe-t-il.
En moyenne, un traitement pour une dépression dure "au moins six mois", souligne Antoine Pélissolo, de l'hôpital Henri-Mondor à Créteil. "Il faudrait donc pouvoir prouver qu'un traitement antidépresseur va rester efficace sur le long terme, et pas simplement améliorer les symptômes pendant 15 jours, avec ensuite une rechute", commente le psychiatre.
Autre limite : la plupart des essais cliniques ont en réalité testé le bénéfice clinique du safran dans la dépression légère à modérée, "alors que les recommandations pour ces situations, c'est la psychothérapie, et non les antidépresseurs", rappelle M. Montastruc.
Et pour ceux qui voudraient se laisser tenter, le pharmacologue tient à rappeler qu'il "n'est pas anodin de prendre du safran". "Il y a quand même des effets indésirables, majoritairement des effets indésirables bénins, digestifs, des maux de tête, des nausées, des diarrhées, mais à forte dose [au-delà de 5grammes, ndlr], on peut avoir des contractions utérines et des saignements", détaille-t-il.
Compléments alimentaires
Dans le service de M. Pélissolo, plusieurs patients lui ont confié "prendre" ou "vouloir prendre" des compléments alimentaires à base de safran. "C'est toujours délicat. Ce qui est important c'est d'une part vérifier qu'il n'y a pas de dangerosité dans le produit [...] et voir si cela ne va pas remplacer un traitement nécessaire et efficace", développe-t-il.
Pour rappel, à la différence des médicaments, les compléments alimentaires ne sont pas soumis à une autorisation de mise sur le marché. Aucune étude d'efficacité ou d'innocuité n'est requise avant leur commercialisation. Ils ne peuvent revendiquer d'effets thérapeutiques, et les effets positifs sur la santé qu'ils peuvent afficher sont encadrés par l'Union européenne.
Concernant le safran, aucune allégation de santé n'a été autorisée. En revanche, la Commission européenne a interdit au produit "Affron®" - avec une concentration totale en crocines et safranal supérieure à 3,5% - de revendiquer "contribuer à maintenir une humeur saine en réduisant les traits négatifs des sentiments dépressifs et anxieux" (lien archivé ici).
Il existe également différentes qualités de safran, ce qui peut influer sur les bénéfices promis. "Le safran que l'on achète au supermarché en France n'a pas les mêmes vertus que celui qui est consommé en Iran", présente ainsi Haleh Bagheri, directrice du CRPV de Toulouse.
"Le safran coûte très cher, de l'ordre de 40 euros le gramme, donc quand on voit le prix des compléments alimentaires sur le marché, ça ne doit pas être du bon safran, ou alors du synthétisé", relève-t-elle.
L'AFP Factuel a déjà consacré plusieurs articles aux compléments alimentaires, comme ici sur la vitamine D ou ici sur ceux à base de shiitaké.