
Ces images ne montrent pas une récente attaque terroriste en Côte d’Ivoire
- Publié le 25 avril 2025 à 15:29
- Lecture : 7 min
- Par : SUY Kahofi, AFP Côte d'Ivoire
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La Côte d'Ivoire est régulièrement visée par de la désinformation venant de comptes basés dans les pays membres de l'Alliance des Etats du Sahel (AES). Récemment, des publications sur les réseaux sociaux soutiennent – images à l’appui – qu’une attaque terroriste a fait 10 morts à Abidjan et que le régime ivoirien essaye de la camoufler. Mais les photos invoquées pour le prouver sont très anciennes et ne relèvent pas d'une attaque terroriste à Abidjan. Elles montrent de vieilles opérations militaires en Côte d’Ivoire ou bien les obsèques de paysans tués au Nigeria. Aucune trace d'une quelconque attaque terroriste dans la capitale ivoirienne n'a par ailleurs été retrouvée par l'AFP, qui dispose de bureaux sur place.
"Attaque terroriste hier jeudi sur Abidjan et cela a fait 10 morts mais le régime actuel cache l’information", affirme une vidéo publiée sur TikTok le 28 mars 2025.
Selon cette publication agrémentée du hashtag “#burkina”, la prétendue attaque terroriste aurait donc eu lieu le jeudi 27 mars 2025.
La vidéo avance comme preuve trois images, montrant des corps ensevelis sous des draps blancs et des chars militaires ou paramilitaires. Y figure aussi au titre de simple illustration une photo du ministre ivoirien de la Défense, Téné Birahima Ouattara.

Mais ces trois images ne montrent pas une quelconque attaque terroriste en Côte d’Ivoire. Il s’agit en réalité d’images décontextualisées, montrant soit d’anciennes opérations militaires en Côte d’Ivoire soit les obsèques de paysans tués par un groupe terroriste, mais au Nigeria.
De vieilles photos décontextualisées
Pour retrouver l’origine exacte de ces photos, nous procédons à des recherches d’images inversées sur divers moteurs de recherche.
Grâce à l’outil Bing Image de Microsoft, on retrouve l’origine de la première image, qui montre une arme à double canon de type DCA (Armement léger de Défense contre avions). Elle figure ainsi dès avril 2011 sur le site d’actualités Abidjan.net. Selon la légende, elle a été prise par un photographe de Soir Info et montre une offensive des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) sur le fief d’un ancien baron de la rébellion ivoirienne, Ibrahim Coulibaly.
On retrouve la trace de la deuxième photo, qui montre un attroupement d'hommes en uniforme et de véhicules militaires, grâce à une recherche d'images inversée effectuée sur Google Images. Elle est reprise elle aussi sur le site de Abidjan.net et la légende précise qu'il s'agit d'un cliché pris par le photographe de l'AFP Issouf Sanogo, le 6 avril 2013 dans la zone de Lomo Sud, au centre de la Côte d’Ivoire.
Avec le nom du photographe et la date, on retrouve aisément l'image dans les archives de l'agence disponibles sur le site AFP Forum. La légende confirme qu'elle a bien été prise en 2013 dans le Lomo Sud et précise qu'elle montre des exercices militaires franco-ivoiriens "à 180km d'Abidjan", visant à préparer des soldats de Côte d’Ivoire à rejoindre la force africaine déployée au Mali (Misma).

On procède de même pour découvrir l'origine de la troisième image, celle montrant une série de corps enveloppés dans des linceuls blancs. On la retrouve dans un article par la BBC traitant des problèmes sécuritaires au Nigeria. La légende précise qu’il s’agit encore d’une photo AFP, prise cette fois-ci par Audu Marte en 2020 au Nigeria.
En recherchant la photographie sur AFP Forum, on obtient confirmation de son origine et plus de détails : elle montre les obsèques le 29 novembre 2020 de dizaines de paysans à Zabarmari, dans le nord-est du Nigeria. Ces 43 victimes avaient été tuées la veille par Boko Haram, dans les champs de riz du village voisin de Koshobe.

Ces trois photos ne présentent donc aucun lien avec une potentielle attaque terroriste récente en Côte d’Ivoire.
Pas de trace d'une attaque à Abidjan
Aucune preuve matérielle n’accrédite l’existence d’une attaque terroriste en Côte d’Ivoire.
La presse locale et internationale ne fait aucune mention d’une quelconque attaque terroriste survenue à Abidjan aux alentours du 27 mars 2025. Le bureau de l’AFP en Côte d’Ivoire, basé justement à Abidjan, n’a constaté aucune attaque dans la ville et n’a eu aucun écho en ce sens.
Même en dehors de la presse, cette prétendue attaque n’est relayée nulle part. Une recherche par mots-clés dans la catégorie actualité de Google Search, avec le groupe de mots "attaque terroriste Abidjan 2025" puis "attaque terroriste Côte d’Ivoire 2025", ne conduit pas à un résultat crédible en lien avec la date du 27 mars 2025. En lieu et place, les résultats affichés évoquent plutôt l’attaque terroriste de Grand Bassam survenue en 2016 (1, 2, 3).
Il est très peu probable que les autorités aient réussi à cacher une prétendue attaque terroriste ayant fait dix morts en plein cœur d’Abidjan, dense capitale de la Côte d’Ivoire où habitent environ 6 millions de personnes.
Par ailleurs, la source citée comme étant à l’origine de cette affirmation n’est autre que Souleymane Gbagbo Koné, un activiste proche de l’opposition ivoirienne, connu pour avoir déjà véhiculé de fausses informations.
Cet internaute, qui poste régulièrement des contenus vantant les mérites des dirigeants maliens ou burkinabè, avait ainsi relayé en mars la fausse information selon laquelle les soldats français de la base d’Abidjan récemment rétrocédée à la Côte d’Ivoire avaient été redéployés à Bouaké, dans le sud du pays.
Cependant, en remontant sa page Facebook et les fils de ses autres réseaux sociaux, on ne trouve aucune publication autour du 27 ou du 28 mars 2025 faisant référence à une prétendue attaque terroriste à Abidjan.
Désinformation made in AES
La Côte d’Ivoire fait face à un "lot important de fausses informations" véhiculées par des acteurs étrangers, en particulier des pages et comptes soutenant activement les pays membres de l’Alliance des Etats du Sahel (AES), explique à l'AFP Alain Patrice Ahimou, journaliste indépendant spécialiste des médias en Côte d'Ivoire.
Pour lui, “la position de la Côte d’Ivoire après les coups d’Etat au Mali, au Burkina Faso et surtout au Niger fait de ce pays le bouc émissaire des juntes militaires".
Les liens entre la Côte d'Ivoire et ses voisins, réunis depuis le 16 septembre 2023 au sein de l'AES, se sont en effet distendus après l’arrivée au pouvoir de juntes militaires lors de plusieurs coups d'Etat. Le président ivoirien Alassane Ouattara a notamment plaidé auprès de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) pour l'adoption de sanctions économiques et politiques à l'encontre de ces trois régimes militaires.
Ceci a généré au sein des états de l'AES un "ressentiment" qui depuis "alimente le narratif anti-gouvernement ivoirien”, explique M. Ahimou, auteur d'un ouvrage intitulé "Code91", sur le pluralisme des médias. Le Niger, le Burkina Faso et le Mali accusent régulièrement la Côte d’Ivoire d’être la base arrière de manœuvres de déstabilisation visant les juntes et les dirigeants de l’AES, avec le soutien de la France.
Le régime militaire au pouvoir au Burkina Faso affirmait ainsi le 22 avril avoir déjoué un "grand complot en préparation" visant à "semer le chaos total" et dont les cerveaux seraient localisés en Côte d'Ivoire, régulièrement accusée par la junte au pouvoir d'héberger ses opposants (dépêche AFP archivée ici).
Ce genre de narratifs se déploie aussi via les partisans des régimes de l'AES sur les réseaux sociaux. Certains comptes affirment par exemple que les autorités ivoiriennes tentent d’étouffer des défections au sein de sa propre armée ou des attaques terroristes sur son sol, comme c’est le cas ici.
“Par le passé, les accusations de déstabilisation étaient portées essentiellement contre la France", rappelle M. Ahimou, mais "aujourd’hui, des pays comme la Côte d’Ivoire et le Bénin font les frais des pays membres de l’AES”.