Non, les ressortissants algériens ne sont pas "prioritaires" pour le logement social en France

Près de la moitié des immigrés d'origine algérienne en France résident dans le parc social, selon l'Insee. Dans ce contexte, et sur fond de tensions franco-algériennes, le député Rassemblement national (RN) Julien Odoul, affirme que "les ressortissants algériens sont prioritaires sur le logement social en France". Mais la surreprésentation dans le parc social des immigrés, notamment d'origine algérienne, n'est pas la conséquence d'un prétendu traitement préférentiel. Les critères d'attribution d'un logement social ne dépendent pas de la nationalité et se basent sur des critères comme les revenus du ménage, sa composition familiale, le nombre d'enfants et la localisation du logement demandé.

"Les ressortissants algériens sont prioritaires sur le logement social", a déclaré le mercredi 26 février Julien Odoul, porte-parole du RN, au micro de France Info (archive : ici). 

Le député s'exprimait le jour de la réunion d'un comité interministériel sur l'immigration par le Premier ministre François Bayrou, sur fond de tensions croissantes avec Alger.

Annoncé fin janvier puis reporté, ce comité s'est tenu quatre jours après une attaque au couteau à Mulhouse (Haut-Rhin), perpétrée par un Algérien en situation irrégulière et sous le coup d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Une personne a été tuée et six autres blessées.

Les relations entre Paris et Alger se sont détériorées depuis l'été 2024 avec l'annonce de l'appui de la France au plan d'autonomie marocain pour le territoire disputé du Sahara occidental. Et les rapports se sont encore tendus ces dernières semaines avec la détention de l'écrivain Boualem Sansal et l'arrestation en France de plusieurs influenceurs algériens pour apologie de la violence.

"En 132 ans de colonisation, qui nous est reprochée, c'est le seul axe politique du gouvernement algérien. Nous avons construit ce pays, nous avons payé, nous versons chaque année énormément. Je rappelle que les ressortissants algériens sont prioritaires pour le logement social plutôt que nos compatriotes français. Donc, à un moment donné, stop. Stop. Il faut couper les vivres et couper le cordon avec l'Algérie",  martèle Julien Odoul.

Ces propos ont également été relayés sur son compte X le 28 février, deux jours après ses déclarations sur France Info, et ont été partagés plus d'une centaine de fois. 

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Capture d'écran réalisée sur X le 03 mars 2025

Une surreprésentation, mais pas une priorité

Une analyse de l'Insee de 2024 indique que 49% des immigrés d'origine algérienne (nés en Algérie et résidant en France, qu'ils aient acquis ou non la nationalité française, l’Insee définissant un immigré comme une personne née étrangère à l'étranger) vivent en HLM. Quant aux personnes "sans ascendance migratoire", 11% d'entre elles sont locataires dans le secteur social (archive : ici). 

Si la part des immigrés algériens en HLM est importante, le pourcentage d'immigrés de certaines autres origines résidant en HLM est parfois plus élevé (57% des immigrés d'Afrique sahélienne, 52%  des immigrés Afrique guinéenne ou centrale). 

Mais ces chiffres ne sont pas la conséquence de préférences dans les critères d'obtention des logements sociaux, qui n'incluent pas la nationalité des demandeurs. Et contrairement aux affirmations de M. Odoul, les Algériens ne bénéficient d'aucun traitement de faveur.

Les logements sont attribués sous conditions de revenu (les ressources annuelles imposables ne doivent pas dépasser un montant maximum). Le demandeur de logement doit avoir plus de 18 ans (ou être émancipé) et être en condition de séjour régulier sur le territoire français. Certaines personnes, compte tenu de leur situation, sont prioritaires pour avoir un logement social, explique le site du ministère chargé du Logement.

Agnès Bertrand, maire adjointe en charge de l’urbanisme et du logement et de la qualité de vie dans le parc social dans le 14e arrondissement de Paris, précise : "Tous les demandeurs de logement ont une cotation en fonction de plusieurs critères, comme le fait d'être sans domicile fixe ou en grande précarité. Mais la nationalité n’est pas un critère. La seule exigence, c'est d'être soit Français, soit titulaire d'un titre de séjour valide".

Une préférence étrangère serait donc "illégale", assure-t-elle, car l’attribution des logements est encadrée par la loi ELAN (Évolution du Logement, de l’Aménagement et du Numérique), qui impose des critères précis aux bailleurs sociaux, dont la nationalité ne fait pas partie.

Adoptée en 2018, cette loi vise à faciliter l'accès au logement tout en renforçant la transparence et l'efficacité de son attribution. Elle encadre les bailleurs sociaux en imposant des critères objectifs pour attribuer les logements HLM. Parmi les principales mesures, la loi a instauré un système de cotation des demandes, qui classe les dossiers selon des critères précis, tels que le revenu du ménage, la situation familiale, l'ancienneté de la demande, ou encore les conditions de logement actuelles (insalubrité, suroccupation, etc.) (archive : ici).

Pour obtenir un logement social (ou logement HLM), il faut en faire la demande et ne pas dépasser un revenu maximum, qui dépend notamment du nombre de personnes à loger et de la localisation du logement.

Comme le rappelle le site internet du ministère de l'Intérieur, la surreprésentation des immigrés dans le parc social peut être liée à leurs revenus ou encore à la taille de leur ménage (archive : ici).

Ils ont notamment des revenus plus faibles : selon un rapport de l'Insee, les personnes immigrées sont davantage exposées à la pauvreté, avec un de 30,6 %, soit 17,9 points de plus que celui des personnes non immigrées. Si les immigrés représentent 10 % de la population française, ils représentent ainsi 21 % des personnes pauvres. Et au sein de la population immigrée, le taux de pauvreté des personnes d'origine africaine est 1,6 fois plus élevé que celui des personnes d'origine européenne : 35,9 % contre 22,7 % (archive : ici).

" La part des personnes vivant en logement social est à considérer conjointement avec les différences de niveaux de vie (...) Ces plus faibles revenus des immigrés dégradent leur situation sur le marché du logement ", explique l'Insee dans un courriel à l'AFP le 5 mars. 

Leur surreprésentation dans le logement social est aussi liée à une taille de ménage plus grande : les immigrés ont souvent des familles plus nombreuses, ce qui augmente leur besoin d'accéder à des logements sociaux adaptés.

 "Finalement, quelle que soit l’année, la surreprésentation des ménages immigrés parmi les locataires du secteur social s’explique au moins aux trois quarts par des différences socio-économiques", poursuit l'Insee dans son e-mail. 

D'après des données de l'Insee datant de 2023, 47,7% des immigrés vivant en France sont nés en Afrique et 32,3 % sont nés en Europe. Les pays de naissance les plus fréquents des immigrés sont l'Algérie, le Maroc et le Portugal (archive : ici).

Une lecture biaisée des statistiques

Selon une enquête du Défenseur des droits de 2017, certaines personnes rencontrent des obstacles majeurs pour accéder au logement privé en raison de critères de sélection stricts imposés par les propriétaires ou les agences immobilières. Ces difficultés touchent particulièrement les personnes exposées à des discriminations, comme celles issues de l’immigration, pour qui le logement social peut constituer une alternative plus accessible.

L'affirmation selon laquelle "les ressortissants algériens sont prioritaires" repose donc sur une lecture biaisée des statistiques. Les chiffres montrent une plus forte représentation des immigrés dans les logements sociaux, mais celle-ci s'explique par des critères économiques et historiques, et non par une politique d'attribution préférentielle.

Ce n'est pas la première fois que l'AFP dément des affirmations concernant les logements sociaux en France.

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