La porte-parole rwandaise critique le président congolais sur la BBC ? C'est faux

Le groupe armé M23 et ses alliés rwandais ont pris dimanche 16 février le contrôle de Bukavu, capitale de la province congolaise du Sud-Kivu. Les dirigeants d'Afrique australe et d'Afrique de l'est avaient pourtant appelé à un "cessez-le-feu immédiat" dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC), lors d'un sommet extraordinaire réuni le 8 février en Tanzanie. Au lendemain de cette réunion, des publications sur les réseaux sociaux assurent que la porte-parole du gouvernement rwandais, Yolande Makolo, aurait tenu des propos insultants à l'égard du président congolais Félix Tshisekedi dans un entretien accordé à la BBC. Mais c'est faux : la dirigeante rwandaise tout comme le média britannique ont assuré à l'AFP que cet échange n'avait jamais eu lieu. 

Après la percée du groupe armé M23 ("Mouvement du 23 mars") et de ses alliés rwandais dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC) fin janvier, les dirigeants d'Afrique de l'Est et d'Afrique australe ont appelé à un "cessez-le-feu immédiat et inconditionnel" dans la région de cet immense pays, ravagée par plusieurs décennies de conflit.

Sa mise en œuvre a été confiée aux chefs d'état-major de la Communauté des Etats d'Afrique de l'Est (EAC) et de la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC), réunies en sommet en Tanzanie, le 8 février dernier (lien archivé ici). 

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La présidente tanzanienne Samia Suluhu (à droite) et la première ministre de la République démocratique du Congo (RDC) Judith Suminwa (à gauche) assistent au sommet régional extraordinaire entre les chefs d'État d'Afrique de l'est et d'Afrique australe, à Dar es Salaam (Tanzanie), le 8 février 2025 (AFP / ERICKY BONIPHACE)

Après ce sommet, les affrontements ont baissé en intensité pendant deux jours, avant de reprendre à une trentaine de kilomètres de l'aéroport stratégique de Kavumu, alors encore tenu par les forces congolaises.

Depuis, cet aéroport et la capitale provinciale de la région congolaise du Sud-Kivu, Bukavu, sont tombés aux mains du M23 et des forces rwandaises. 

Dans ce contexte d'exacerbation des violences, des publications diffusées sur Facebook depuis le 9 février prétendent retranscrire des morceaux d'une interview que la porte-parole du Rwanda, Yolande Makolo, aurait accordée à la chaîne britannique BBC (1,2,...)

"Yolande Makolo la porte parole du gouvernement rwandais ce soir sur BBC Afrique", avance par exemple un post relayé au lendemain du sommet réunissant les dirigeants des pays d'Afrique Australe et de l'est, par une page administrée depuis la RDC (lien archivé ici).

Lors de cet échange, elle aurait tenu des propos particulièrement virulents à l'égard du chef de l'Etat congolais, Félix Tshisekedi.

"Félix tshisekedi qui promettait dire [sic]" au président rwandais "Paul kagamé des vérités en face a eu peur de venir au sommet de la SADEC et l'EAC", aurait ainsi accusé Mme Makolo selon les internautes, faisant référence au fait que le président congolais a suivi le sommet en vidéoconférence. 

"J'ai vu Félix tshisekedi en visio conférence, il ne ressemble même plus à un homme qui a toutes les facultés mentales !", aurait prononcé, entre autres adresses insultantes, la porte-parole rwandaise. 

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Captures d'écran prises sur Facebook le 17 février 2025

Mais c'est faux : contactée par l'AFP, Yolande Makolo a réfuté avoir tenu ces propos, tandis que la BBC a démenti avoir récemment interviewé la dirigeante. 

Pas d'entretien accordé à la BBC

La BBC Afrique, service en langue française du média britannique, a démenti sur X avoir accordé un récent entretien à la porte-parole du gouvernement rwandais.

"Des informations fausses circulent sur les réseaux sociaux faisant état d’un entretien accordé par la porte-parole du gouvernement rwandais à BBC Afrique. Cet entretien n’a jamais existé et BBC Afrique n’a jamais publié les propos prêtés à la porte-parole du gouvernement rwandais", peut-on lire dans ce message publié le 12 février (lien archivé ici). 

L'AFP a directement pris contact avec la rédaction de la BBC, qui nous a assuré le 17 février que Yolande Makolo "n'a pas tenu de tels propos auprès de la BBC".

Par ailleurs, un correspondant de l'AFP au Rwanda a également contacté Mme Makolo pour lui demander si elle avait, oui ou non, porté ce message à l'antenne de la BBC. "C'est totalement faux", lui a-t-elle répondu, le 12 février. 

AFP Factuel a recherché les déclarations prétendument prononcées par la porte-parole rwandaise via un moteur de recherche, dans l'optique de les retrouver sur un site gouvernemental ou bien dans la presse, sans résultats probants.

Yolande Makolo ne semble donc pas avoir tenu de tels propos en public et il est certain qu'elle ne les a pas récemment portés à l'antenne de la BBC. 

Crainte d'une guerre régionale

Ces publications, largement relayées sur les réseaux sociaux, exacerbent les tensions qui secouent déjà le quotidien des civils résidant dans l'est de la RDC. 

Le 16 janvier, le groupe armé M23 et ses alliés rwandais se sont emparés de Bukavu, capitale provinciale du Sud-Kivu, après une progression éclair qui les a vus prendre fin janvier Goma, grande ville et nœud économique de la province voisine du Nord-Kivu. 

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Des membres du groupe armé M23 patrouillent le 18 février 2025 devant un marché à Bukavu, à la suite de la prise de la ville (AFP / Luis TATO)

Kinshasa accuse son voisin d'"ambitions expansionnistes" et de vouloir piller les ressources de ces deux provinces riches en minerais. Kigali dément, ne confirmant pas même sa présence en RDC, mais affirme que sa sécurité est menacée par certains groupes armés présents dans la région, notamment les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), créées par d'anciens responsables hutu du génocide des Tutsi au Rwanda. 

Les appels de la communauté internationale à une désescalade se sont en vain multipliés, sur fond de crainte d'une guerre régionale.

Les premières victimes de ces violences sont les civils, fuyant par milliers, certains ayant perdu la vie lors d'affrontements. Le 18 février, le Haut-Commissariat de l'ONU aux droits de l'homme a même "confirmé des cas d'exécutions sommaires d'enfants par le M23 après son entrée dans la ville de Bukavu la semaine dernière".

Le conflit en RDC génère énormément de désinformation en ligne. L'AFP a déjà épinglé plusieurs fausses informations sur le sujet, comme ici ou

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