Une vidéo montrant "200 mercenaires français" arrêtés par l'armée rwandaise ? C'est faux

Goma, cœur économique de l'est de la République démocratique du Congo (RDC), est désormais aux mains des troupes rwandaises et du groupe armé antigouvernemental M23. Après la chute de la ville, "200 mercenaires français" combattant auprès des forces congolaises auraient été arrêtés, prétendent plusieurs publications sur Facebook, vidéo à l'appui. Si des paramilitaires français sont bien présents en RDC, ces images montrent des hommes de nationalité roumaine, a assuré à l'AFP le porte-parole de l'armée rwandaise. Une déclaration confirmée par un correspondant de l'AFP présent lors de l'opération.

Le groupe armé antigouvernemental M23 et les troupes rwandaises ont pris le 29 janvier 2025 le contrôle de Goma, grande ville de l'est de la République démocratique du Congo (RDC) et cœur économique d'une région riche en minerais.

 

Le même jour, une dizaine de comptes et pages Facebook ont publié une vidéo montrant un groupe d'hommes blancs, alignés les uns derrière les autres sur une esplanade en béton. 

"200 mercenaires français, embauchés par le Gouvernement Congolais pour défendre le Congo RDC, ONT DÉPOSÉ LES ARMES ET SE SONT RENDUS AUX REBELLES RWANDAIS DU M23 ET À L’ARMÉE RWANDAISE [sic]", prétendent en légende les auteurs de ces publications (1,2,...), basés pour certains en Côte d'Ivoire, pour d'autres en Mauritanie. 

Image
Capture d'écran prise sur Facebook le 31 janvier 2025

Mais ces images, d'abord filmées et diffusées par la télévision rwandaise, ne montrent pas des mercenaires français. En réalité, ces paramilitaires sont de nationalité roumaine, a assuré à l'AFP le porte-parole des forces armées rwandaises. 

Images de mercenaires roumains 

Sur la vidéo diffusée sur Facebook, on aperçoit un logo, apposé en filigrane en haut à droite: "RBA DIGITAL", est-il écrit. 

Image
Capture d'écran prise sur Facebook le 31 janvier 2025

Ces initiales sont celles de la Rwanda Broadcasting Agency (RBA), média d'Etat rwandais, évoqué d'ailleurs comme source dans la publication.

En effectuant une recherche d'image inversée, nous avons retrouvé une occurrence de cette même vidéo sur le compte X de la RBA, publiée le 29 janvier à 11h59 (lien archivé ici). 

 

"Plus de 200 mercenaires européens qui ont soutenu la RDC dans la lutte contre les rebelles du M23 sont arrivés au Rwanda. Ils devraient quitter l'aéroport international de Kigali pour retourner dans leur pays d'origine", peut-on y lire, en anglais. 

Les forces armées rwandaises ont également publié un message sur X à ce sujet, le même jour, précisant la nationalité de ces mercenaires.

"Cet après-midi, les Forces de défense du Rwanda (RDF) ont reçu et escorté plus de 280 mercenaires roumains qui combattaient aux côtés des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) dans l'est de la RDC. Ces mercenaires se sont rendus au M23 après la prise de la ville stratégique de Goma. Ils sont actuellement transportés vers Kigali", est-il écrit (lien archivé ici). 

Sur l'une des photos accompagnant ce post, on reconnaît l'esplanade en béton ainsi que plusieurs hommes visibles sur la vidéo relayée sur Facebook, comme encadré ci-dessous. 

Image
Capture d'écran prise sur Facebook le 31 janvier 2025 (à gauche) et photo publiée sur le compte X des forces armées rwandaises le 29 janvier 2025 (à droite)
Encadrés ajoutés par la rédaction de l'AFP

Plusieurs journalistes de l'AFP étaient sur place lorsque ce groupe de combattants s'est rendu à l'armée rwandaise. 

Dans un reportage publié le 29 janvier (lien archivé ici), ils décrivent une longue file indienne d'hommes habillés en civil ou d'un simple pantalon treillis et comment, encadrés de soldats rwandais en armes, ils ont pénétré à pied et dans le calme en territoire rwandais via le poste-frontière de Gisenyi. 

A l'aide de chiens renifleurs, les soldats rwandais ont inspecté leurs affaires, sacs à dos ouverts au sol, puis les paramilitaires se sont présentés un par un aux autorités de Kigali pour une fouille au corps avant de se faire enregistrer. 

Ces hommes "sont des Roumains, même s'il peut y avoir d'autres nationalités parmi eux", a indiqué l'un des correspondants de l'AFP basé à Goma. 

Image
Des hommes appartenant à une milice roumaine sont fouillés avant de franchir la frontière avec le Rwanda le 29 janvier 2025 (AFP / TONY KARUMBA)

Ces combattants font partie des soldats qui avaient été engagés pour combattre aux côtés de l'armée congolaise dans le conflit qui l'oppose depuis des années dans la région de Goma au groupe armé M23, soutenu par le Rwanda.

Pour confirmer leur nationalité, l'AFP a pris contact le 31 janvier avec le porte-parole des forces armées rwandaises.

Les hommes sur ces photos sont "tous Roumains", a assuré le porte-parole à l'AFP. "N'oubliez pas qu'ils ont tous des passeports et qu'ils sont tous passés par l'immigration" entre la RDC et le Rwanda, a-t-il ajouté. S'il y avait eu des Français parmi eux, "l'ambassade serait venue les réclamer", affirme-t-il, et "ils seraient restés" en RDC.

En parallèle, le ministère des Affaires étrangères de Roumanie a fait état de "l'évacuation en cours" de ses ressortissants, promettant de prendre toutes les mesures pour "les mettre hors de danger". 

La veille, les autorités avaient convoqué une cellule de crise au sujet de "la détérioration de la situation" dans l'est de la RDC, "où sont présents des citoyens roumains travaillant à titre privé pour le gouvernement, dans le cadre d'une mission de formation de l'armée". 

Quatre d'entre eux ont été blessés dans les combats, a déclaré leur chef Constantin Timofte sur la télévision publique roumaine. "L'armée nationale a abandonné le combat et nous avons dû battre en retraite", a-t-il dit. 

Présence de paramilitaires français en RDC 

Si cette vidéo ne montre pas 200 mercenaires français déposant les armes, des paramilitaires français sont bien présents en République démocratique du Congo. 

Depuis fin 2022, environ un millier d'anciens militaires européens sont arrivés à Goma. Ces hommes sont intégrés dans le dispositif des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) contre le M23 et repartis dans deux sociétés, selon des sources internes.

La première, Congo Protection, dont sont issus les hommes qui se sont rendus mercredi, est gérée à Goma par le Roumain Horatiu Potra, ancien membre de la Légion étrangère française. Ses soldats, venus principalement d'Europe de l'Est, formaient des unités des FARDC, participaient à la sécurisation de Goma et, selon les mêmes sources, ont combattu au sol contre le M23.

L'autre, Agemira, est dirigée par des Français, dont des retraités de l'armée. Ils assuraient initialement la maintenance de la Force aérienne congolaise. Ils ont ensuite été intégrés au commandement des opérations et ont pris part à des bombardements sur des positions du M23 (lien archivé ici).

Selon un des correspondants de l'AFP basé à Goma, "la société militaire privée française a été évacuée avant la chute de la ville".

Image
Des personnes déplacées par la guerre quittent les camps situés à la périphérie de Goma, le 2 février 2025. (AFP / ALEXIS HUGUET)

Après avoir conquis Goma, chef-lieu du Nord-Kivu, le groupe armé antigouvernemental M23 et l'armée rwandaise progressent dans la province voisine du Sud-Kivu, alors que les dirigeants des pays d'Afrique australe (SADC), réunis vendredi en sommet, ont exprimé leur "soutien indéfectible" à Kinshasa.

Le président rwandais Paul Kagame et son homologue congolais Félix Tshisekedi participeront samedi 8 février à un sommet régional extraordinaire en Tanzanie, afin de d'essayer de résoudre ce conflit qui dure depuis plus de trois ans.

Dans ce dossier, la RDC accuse le Rwanda de vouloir piller les nombreuses richesses naturelles de sa région du Nord-Kivu. Le Rwanda affirme, lui, vouloir éradiquer des groupes armés, notamment créés par d'ex-responsables hutu du génocide des Tutsi au Rwanda en 1994, qui menacent selon lui sa sécurité. 

Vous souhaitez que l'AFP vérifie une information?

Nous contacter