Non, ces vidéos ne montrent pas des "Kulunas" qui auraient été exécutés en RDC

Entre novembre et décembre 2024, la police congolaise a démantelé plusieurs gangs de délinquants présumés, connus sous le nom de "Kulunas". Près d’un millier de jeunes ont été arrêtés et plusieurs d’entre eux ont été condamnés à la peine de mort, rétablie en mars 2024. Les autorités ont menacé d’appliquer cette peine et certains médias ont, à tort, annoncé que des exécutions avaient déjà eu lieu. Sur les réseaux sociaux, un flot de publications prétend montrer les corps de ces Kulunas exécutés. Plusieurs vidéos montrant des rangées de cercueils blancs sont en particulier brandies comme preuves, mais elles n’ont en réalité aucun lien avec les Kulunas et sont toutes antérieures à la vague d'arrestations. Le gouvernement de la République démocratique du Congo (RDC) a par ailleurs assuré n’avoir procédé à aucune exécution pour le moment.

Depuis décembre, les autorités congolaises ont arrêté et jugé des centaines de jeunes criminels redoutés, dans le cadre d’une vaste opération anti-gang. Ces bandits, qui opèrent principalement dans de grands centres urbains comme Kinshasa, sont connus pour mener de violentes attaques de jour comme de nuit, pendant lesquelles ils volent, tuent ou coupent les membres de leurs victimes à la machette. 

Certains de ces délinquants présumés, appelés "Kulunas", ont été condamnés à la peine de mort. Ces condamnations, qui divisent la République Démocratique du Congo (RDC) par leur sévérité et leur irréversibilité, ont généré énormément de contenus sur les réseaux sociaux, dont beaucoup de désinformation. 

Plusieurs vidéos, reprises dans divers posts sur FacebookTikTokX et dans des médias en ligne, assurent que 200 à 250 personnes auraient déjà été exécutées par les autorités locales. Certaines montrent des hommes attachés à un poteau, sur le point d’être exécutés. La plupart montrent des rangées de cercueils blancs, supposés témoigner de l’exécution effective des jeunes condamnés à mort. 

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Captures d'écran de publications sur Facebook, prise le 30 janvier 2025

"RIP", regrettent des internautes jugeant la peine trop sévère, à grand renfort de smileys en pleurs. D’autres estiment à l’opposé que "tous les pays africains doivent prendre exemple sur la RDC pour mettre leurs enfants droits dans les rangs", y voyant un bon moyen de réduire l’insécurité et la violence dans le pays. 

Mais les vidéos au coeur de ces publications n'ont aucun lien avec les Kulunas : elles montrent pour l'une d'entre elle l’exécution de djihadistes en Somalie, et pour les autres des commémorations antérieures aux vagues d’arrestations de ces jeunes bandits.  

Vidéo 1 : une cérémonie d’enterrement datant de 2023

Une vidéo partagée fin décembre par plusieurs comptes sur les réseaux sociaux montre des dizaines de cercueils blancs exposés dans un vaste hangar. "Premier lot de Kuluna qui vient d’être exécuté en RDC", affirme la vidéo (archivée ici). Pourtant, il n’en est rien.

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Capture d'écran d'une publication sur Facebook, prise le 30 janvier 2025

Après avoir effectué une capture d’écran du passage avec les cercueils blancs, une recherche d'image inversée via l'outil Google Lens nous conduit vers une scène similaire dans un extrait de ce reportage diffusé le 19 septembre 2023 sur Africanews (lien archivé ici), soit bien avant la vaste vague d’arrestations et les condamnations à mort des Kulunas. 

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Comparaison entre la capture d'écran d'un post Facebook (à gauche) et celles d'une vidéo diffusée sur la chaîne YouTube d'Africanews, prises le 30 janvier 2025

L’article d’Africanews explique qu’il s’agit d’une cérémonie d'enterrement de 50 civils tués le 30 août 2023 à Goma par des militaires congolais, alors qu’ils manifestaient contre la présence d’émissaires de l’ONU en RDC (archivé ici). Amnesty International a publié une vidéo sur le déroulement de ce drame (archivée ici. Attention, images choquantes).

L’AFP était présente à la cérémonie d’enterrement du 19 septembre 2023 et plusieurs images utilisées par Africanews proviennent d’une vidéo tournée par le journaliste de l’AFP basé à Kinshasa, Glody Murhabazi

On trouve ces mêmes images de cercueils blancs dans des publications sur Facebook qui datent elles aussi du 19 septembre 2023 (12 …). Elles évoquent toutes l’enterrement des victimes de la marche du 30 août à Goma. 

Vidéo 2 : exécution de djihadistes en Somalie

"Rip rip rip. Ils ont tous été exécutés par l’ordre de la ministre de la justice de congo" [sic], affirme une vidéo partagée 14.500 fois sur TikTok, avec le hashtag "kuluna". On y voit une dizaine d'hommes vêtus de tuniques bleues, debout dans un lieu désert, les bras attachés à des piquets deux fois plus grands qu'eux.

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Capture d'écran d'une publication sur Facebook, prise le 30 janvier 2025

Ces images sont souvent reprises dans des montages les montrant en parallèle de vidéos décontextualisées de cercueils blancs, comme archivé ici.

Une recherche inversée permet de retrouver sur Youtube une vidéo plus large et plus nette de cette scène, également utilisée pour montrer des personnes prétendumment exécutées au Congo (lien archivé ici). Avec cette image de meilleure qualité, on retrouve via l’outil Tineye un article en anglais du 17 août 2024 (lien archivé ici) d’un média privé somalien expliquant que cette scène, tournée donc avant l'arrestation des Kulunas, montre l’exécution de 10 djihadistes en Somalie. 

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Comparaison d'une image publiée sur Dhacdo.com (à gauche) et celle utilisée dans un post Facebook (à droite)

Une dépêche de l'agence Reuters datant du même jour confirme que l'État semi-autonome somalien du Puntland a procédé le 17 août 2024 à l'exécution de dix combattants d'Al-Shabab (lien archivé ici), "condamnés à mort pour leur implication dans des assassinats et des attentats à la bombe".

Vidéo 3: une cérémonie commémorative en septembre 2024

"200 Kulunas exécutés", peut-on lire sur une troisième vidéo publiée le 9 janvier sur Facebook et provenant visiblement de TikTok (archivée ici). Ce montage, qui associe plusieurs vidéos dont la précédente montrant l’exécution des djihadistes en Somalie, s’ouvre sur plusieurs dizaines de cercueils blancs, soigneusement alignés sur une esplanade immaculée, face à un public debout dans des gradins à ciel ouvert.

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Capture d'écran d'une publication sur Facebook, prise le 30 janvier 2025

Une recherche d’image inversée avec une capture d’écran des cercueils blancs nous mène à plusieurs articles contenant ces mêmes images, mais qui traitent d’une cérémonie d'inhumation collective survenue le 2 septembre 2024 à Goma, dans l’est du pays. 

Cette cérémonie rendait hommage aux dépouilles de 200 réfugiés morts de faim ou décédés après des attaques, alors qu'ils fuyaient la guerre dans la région du Nord-Kivu (est de la RDC), précise le reportage vidéo d’un média local (archivé ici). 

La radio Okapi, le média de l’ONU en RDC, a consacré un article à cette commémoration (archivé ici), accompagné d'une photo où l’on reconnaît les cercueils, les bouquets de fleurs et des personnes en blouses blanches. La légende précise que la cérémonie a eu lieu le matin au “stade de l’Unité” de Goma, inscription qu’on retrouve sur la vidéo reprise sur les réseaux sociaux. Les corps ont ensuite été inhumés l’après-midi au cimetière du Genocost, dans la ville de Kitabi.

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Lors de nos recherches, nous trouvons une vidéo de cette même cérémonie d'hommage prise sous un autre angle - reconnaissable notamment aux tentes pointues recouvrant les tribunes en arrière-plan - et publiée par un internaute dont le profil indique qu'il est journaliste indépendant. Contacté par l'AFP, Daniel Michombero Batubenga confirme que la vidéo virale sur TikTok montre la même cérémonie d’enterrement de civils que celle qu’il avait filmée le 2 septembre (archivée ici), et non les cercueils de Kulunas.

"Elle a été tournée au stade de l'Unité. Le gouvernement congolais a décidé d'enterrer plusieurs victimes de la guerre en cours dans l'est du pays, dont des civils tués par des bombes le 3 mai 2024, dans un camp de déplacés à Mugunga.", détaille-t-il dans sa réponse adressée à l’AFP le 21 janvier 2024.

Vidéo 4:  Ces mêmes cercueils en route pour le cimetière

Une dernière vidéo virale présente en gros plan des cercueils blancs transportés sur des semi-remorques, alignés en file indienne au milieu d’une rue non bitumée. Un message en lettres capitales apparaît en haut de la vidéo : "Voilà les 250 corps des Kulunas congolais (RIP)".

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Capture d'écran d'une vidéo publiée sur Facebook, prise le 30 janvier 2025

En effectuant une recherche d’image inversée à partir d’une des scènes, nous trouvons des images similaires dans une vidéo publiée sur Youtube (archivée ici) le 3 septembre 2024, soit une nouvelle fois avant les vagues d’arrestation des Kulunas. On reconnaît le même semi-remorque, les cercueils blancs et quelques jeunes passagers.

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Capture d'écran d'une vidéo publiée sur Facebook, prise le 30 janvier 2025
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Capture d'écran d'une vidéo publiée sur Youtube, prise le 23 janvier 2025

La légende associée à cette vidéo mentionne l'inhumation au cimetière du Genocost de 200 déplacés de guerre dans la région du Nord-Kivu. Etant donné le lieu et la date de publication, il y a de très grandes chances qu’il s’agisse des mêmes corps que ceux évoqués dans la vidéo précédente, lors de leur transport entre le stade de Goma et le cimetière de la ville de Kitabi, dix kilomètres plus loin. Les cercueils sont d’ailleurs similaires.

Une recherche sur les réseaux sociaux avec les mots-clés "cimetière Genocost Nord-Kivu" révèle des publications du 2 septembre 2024 sur Facebook (comme archivé ici), évoquant le même drame que celui présenté dans la cette vidéo.

Pas d’exécution à ce stade 

Les vidéos virales qui prétendent montrer les corps de Kulunas exécutés présentent en réalité des images d’enterrements collectifs de victimes de la guerre ou de civils tués par les militaires congolais bien antérieures aux arrestations récentes des Kulunas.

Au-delà des réseaux sociaux, plusieurs médias avaient annoncé début janvier l’exécution effective de ces jeunes malfaiteurs, comme archivé ici ou ici. Ils s’étaient pour cela basés sur une dépêche publiée le 5 janvier par l’agence Associated Press intitulée "Le Congo exécute 102 ‘bandits urbains’ et 70 autres devraient être tués" (lien en anglais archivé ici). 

Celle-ci a été corrigée quelques heures plus tard pour un plus sobre "Le Congo va exécuter plus de 170 personnes condamnés [sic] pour vol à main armée", après une publication sur X du ministre de la Justice, Constant Mutamba, dans laquelle il niait avoir parlé à l’agence et l’accusait de "véhiculer de fausses informations" (lien archivé ici).

Le lendemain, le ministre a donné une conférence de presse dans laquelle il affirmait qu’aucune exécution n’avait encore eu lieu. A ce stade, "plus de 300 jeunes Kulunas ont été condamnés", a-t-il alors affirmé lors de cette conférence diffusée le 6 janvier 2025 par la télévision nationale congolaise (dès la 8ème minute, lien archivé ici), précisant que les condamnations allaient de deux ans de prison à la peine de mort pour certains.

Pour le moment, les Kulunas condamnés à mort - dont 127 ont été transférés dans des prisons de haute sécurité dans le nord-ouest du pays - l’ont été en première instance. Ils disposent encore de plusieurs recours judiciaires (appel, pourvoi en cassation) avant que la sentence ne soit définitive. "C’est seulement à l’épuisement de cela qu’on exécute la peine de mort", a affirmé M. Mutamba lors de sa conférence de presse.

Pour autant, il a ajouté que le gouvernement congolais serait ferme contre les Kulunas, "car ils sèment morts et désolation dans la société".

C’est pourquoi les observateurs internationaux restent inquiets. Amnesty a demandé au président de stopper le projet d'exécutions des Kulunas (lien archivé ici), craignant que "les autorités ne procèdent de manière imminente à des exécutions massives en l’absence d’informations fiables sur le statut des personnes condamnées à mort". Au-delà du sort de ces bandits urbains, l’ONG s’inquiète du rétablissement de la peine de mort et réclame "un moratoire sur les exécutions".

Dans une allocution le 18 janvier face au corps diplomatique, le président Felix Tshisekedi a cherché à rassurer (lien archivé ici). "S'agissant par ailleurs de l'épineuse question de la peine de mort", son application est "limitée uniquement au cas de terrorisme et de trahison au sein de l'armée", a-t-il déclaré dès 1h08.

Malgré le rétablissement de cette peine en mars 2024, "il est important de souligner qu'à ce jour, aucune exécution n'a été menée", a-t-il aussi affirmé.

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