Burkina Faso : les juges n'ont jamais porté les perruques héritées de la colonisation
- Publié le 30 janvier 2025 à 14:23
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- Par : Mary KULUNDU, Monique NGO MAYAG, Emilie BERAUD, AFP Kenya, AFP Sénégal
- Traduction et adaptation : Emilie BERAUD
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"Le président du Burkina Faso, Traoré, a interdit aux juges le port de perruques de style colonial britannique et français, marquant ainsi une étape importante dans la décolonisation du système judiciaire du pays", prétend une publication Facebook diffusée le 16 janvier 2025 par une page basée au Mali (lien archivé ici).
"Après le changement de la tauge [sic], maintenant plus de perruques..", est-il également écrit en légende de ce post, accompagné d'une photo montrant six hommes habillés de perruques blondes et collerettes rouges.
Des dizaines d'autres publications avancent, depuis la mi-janvier, que les juges ont abandonné "les perruques de style colonial" dans ce pays d'Afrique de l'Ouest, dirigé par une junte depuis un coup d'Etat militaire en 2022 (1,2,...)
Ces assertions sont aussi largement relayées en anglais, sur Facebook comme sur X (1,2,3...)
Le média Africanews, propriété du groupe d'audiovisuel français Euronews, a également rapporté cette prétendue décision gouvernementale sur son site. Mais après que l'AFP a interrogé le média sur sa source, celui-ci a finalement dépublié l'article en question.
Depuis des années, les juristes africains débattent de la nécessité d'abolir les tenues datant de l'époque coloniale, notamment les perruques et les robes, dans le cadre des mesures déployées pour réformer leurs systèmes judiciaires.
En 2011, Willy Mutunga, alors président de la Cour suprême du Kenya, a critiqué le code vestimentaire en vigueur et a décidé de prêter serment en costume (lien en anglais archivé ici).
Un débat similaire s'est ouvert au Malawi in 2017 (lien en anglais archivé ici).
Au Zimbabwe et au Ghana, les tenues de cour de l'époque coloniale ont été décriées et jugées inappropriées, beaucoup s'interrogeant sur la nécessité de dépenser des fonds publics pour ce type de vêtements. En 2019, un article du média britannique BBC racontait le mécontentement généralisé au Zimbabwe généré par une commande de perruques d'une valeur de plusieurs milliers de dollars pour les juges et les avocats du pays, auprès d'un magasin spécialisé au Royaume-Uni (lien archivé ici).
Mais les affirmations selon lesquelles le Burkina Faso, ancienne colonie française, a interdit les perruques dans les tribunaux sont fausses.
Pas d'interdiction possible
Pour s'en assurer, l'AFP a contacté différents juges officiant au Burkina Faso.
"On ne porte pas de perruque au Palais", a ainsi déclaré à l'AFP Christophe Birba, avocat burkinabè basé à Ouagadougou. "Dans le costume de travail, il n'y a pas de perruque, personne ne porte cela. On se coiffe bien, on porte notre robe, et puis c'est tout", a-t-il affirmé.
"Au Burkina Faso, il n'y a pas de perruque blonde dans la tenue du personnel judiciaire. Une telle chose n'a jamais fait partie de l'uniforme de travail", a-t-il précisé M. Birba, affirmant qu'"il n'y a donc pas d'interdiction en la matière."
"Nous n’avons jamais porté de perruques blondes, mais plutôt des robes et toges noires à la française, mais toujours avec des têtes nues", confirme auprès de l'AFP Laurent Poda, chargé de mission au ministère de la Justice (nommé depuis septembre 2024), précédemment procureur général auprès de la Cour d’appel de la capitale burkinabè Ouagadougou (lien archivé ici).
"Chez nous, on a plutôt commencé à remplacer ces toges et robes par des toges confectionnées en pagne tissé traditionnel, appelé Faso Dan Fani. Le changement se fait progressivement. C’est effectif dans les tribunaux de grande instance. Dans les cours d’appel, ce n’est pas encore effectif", a-t-il précisé.
En effet, en avril 2023, le gouvernement burkinabè a adopté un décret visant à promouvoir le port du Faso Dan Fani, un tissu traditionnel fabriqué à la main à partir de coton du pays (lien archivé ici).
Ce tissu a une signification culturelle particulière en Afrique de l'Ouest, car il repose sur une technique de tissage artisanal vieille de plusieurs générations.
En octobre 2024, les autorités ont par la suite organisé "une cérémonie officielle consacrant l’utilisation des tenues traditionnelles en Faso Danfani par les magistrats et le personnel des greffiers lors des audiences, en lieu et place des costumes hérités de l’époque coloniale", peut-on lire dans une dépêche de l'Agence d'information du Burkina (AIB) (lien archivé ici).
Le 24 octobre de cette même année, un média burkinabè a diffusé sur sa chaîne YouTube une déclaration du ministre de la Justice Edasso Rodrigue Bayala, confirmant que les magistrats et les greffiers du pays avaient effectué la transition vestimentaire (archivé ici).
"Aujourd'hui, ce costume est obtenu cinq fois moins cher que cela l'était par rapport aux costumes d'audience des magistrats et des greffiers importés", a notamment déclaré M. Bayala lors de sa prise de parole.
Dans ce reportage, on aperçoit l'ancienne tenue portée par les juges, qui ne contient pas de perruque, ainsi que le nouveau costume en Faso Dan Fani.
La preuve en images
Les images diffusées sur les réseaux sociaux, pour appuyer l'allégation selon laquelle le Burkina Faso aurait interdit le port de la perruque blonde dans les tribunaux, sont pour certaines trompeuses et décontextualisées.
Parmi elles, une photo montre en réalité des juges de la Cour Suprême zimbabwéenne et non pas burkinabè, selon la légende d'une photo publiée sur le site de la BBC (lien archivé ici).
A l'inverse, paradoxalement, certaines publications sont accompagnées d'une image où les magistrats burkinabè ne portent pas la perruque.
Par ailleurs, la présidence du Burkina Faso avait fourni à l'AFP en février 2022 des photos de la cérémonie d'investiture par la Cour constitutionnelle de Paul-Henri Sandaogo Damiba, président par intérim (depuis renversé). On peut voir sur ces clichés officiels que les magistrats de la Cour constitutionnelle portent de longues toges ainsi que des bonnets verts à sommet plat - sans perruque blanche.
prise le 16 février 2022 à Ouagadougou (Burkina Faso Presidency / AFP) (Burkina Faso Presidency / AFP)
Plusieurs reportages (ici et ici) publiés par des médias locaux ont déjà documenté le quotidien de magistrats burkinabè, portant une tenue similaire à celle de leurs compatriotes officiant à la Cour constitutionnelle (archivé ici). Une fois encore, ils ne portent pas de perruques.
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