Attention, l'accord UE-Mercosur doit être ratifié au sein de l'UE pour entrer en application
- Publié le 17 décembre 2024 à 17:51
- Lecture : 9 min
- Par : Sofia BARRAGAN, Manuela SILVA, AFP Argentine, AFP Uruguay
- Traduction et adaptation : Océane CAILLAT , AFP France
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"Le MERCOSUR est signé", avance une vidéo TikTok, postée le 6 décembre 2024 et depuis visionnée par des dizaines de milliers d'utilisateurs. On y voit la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, prendre la parole.
Sous cette publication, les commentaires sont amers. "Les pays n'ont pas leur mot à dire (sic) c'est elle qui décide", réagit un internaute. "C'est le 49.3 [sic] pour l'Europe comme en France merci pour la fin de nos fermes", lance un autre, en référence à la procédure permettant en France au gouvernement d'obtenir l'adoption d'un texte de loi sans vote par l' Assemblée nationale.
Ce type d'allégations a aussi circulé sur d'autres plateformes, notamment sur X et sur Facebook (1,2) ainsi que dans d'autres langues comme en espagnol.
Mais ces propos sont trompeurs, car si un accord commercial de libre-échange a bien été négocié entre les deux blocs, le traité n'a pour l'heure été ratifié par l'UE. Il doit pour cela encore obtenir l'approbation du Conseil de l'UE, qui est l'instance au sein de laquelle sont représentés les Etats membres, ainsi que celle du Parlement européen.
Qu'est-ce que l'accord UE-Mercosur ?
Discuté depuis 1999, ce traité vise à supprimer la majorité des droits de douane entre l'Union européenne et le Mercosur. Créé en 1991, le Mercosur, abréviation de marché commun du sud (en espagnol, mercado commun del sur), rassemble cinq pays: Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay et depuis 2023 la Bolivie, le Venezuela étant, lui, suspendu depuis 2016. Ces deux derniers pays sont toutefois exclus du traité UE-Mercosur.
Son entrée en vigueur permettrait à l'UE, déjà premier partenaire commercial du Mercosur, d'exporter plus facilement ses voitures et produits pharmaceutiques notamment. De l'autre, il permettrait aux pays sud-américains concernés d'écouler vers l'Europe de la viande, du sucre, du riz, du miel ou encore du soja.
Cet accord commercial a été retardé à de nombreuses reprises, mais le Brésil, l'Allemagne et l'Espagne ont insisté pour s'entendre avant l'arrivée à la Maison Blanche en janvier 2025 de Donald Trump, qui fait craindre une guerre autour des droits de douane (archivé ici).
Les présidents de l'Argentine, du Brésil, du Paraguay, de l'Uruguay et la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, sont parvenus à finaliser un accord lors du sommet des pays du Mercosur à Montevideo, le 6 décembre 2024 (archivés ici et ici). "C'est le début d'une nouvelle histoire" avec "un accord qui bénéficiera aux deux" parties et "apportera des bénéfices significatifs aux consommateurs et aux entreprises", s'est félicitée la dirigeante européenne, assurant que "les préoccupations de nos agriculteurs" ont été écoutées et que "cet accord inclut des garanties solides pour protéger nos moyens de subsistance".
Du côté de l'Allemagne, le chef du gouvernement Olaf Scholz a estimé qu'"un obstacle important pour l'accord a été surmonté" . "Après plus de vingt ans de négociations, les pays du Mercosur et de l'UE sont parvenus à un accord politique", s'est-il réjoui sur son compte X. Le Premier ministre espagnol, Pedro Sanchez, a quant à lui évoqué un "accord historique" avec "les pays frères d'Amérique latine" tandis que le président brésilien Lula a salué "un texte moderne et équilibré".
Mais pour la France, cheffe de file des pays opposés à cet accord au nom de la défense du monde agricole, l'accord "reste inacceptable en l'état". Paris exige notamment pour les produits en provenance du Mercosur le respect des mêmes normes environnementales et sanitaires que celles en vigueur dans l'UE, pour éviter "une concurrence déloyale".
"La Commission a achevé son travail de négociation avec le Mercosur, c'est sa responsabilité, mais l'accord n'est ni signé, ni ratifié. Ce n'est donc pas la fin de l'histoire. Il n'y a aucune entrée en vigueur de l'accord avec Mercosur", a souligné l'Elysée (archivé ici).
Le début d'un long processus
Après l'accord politique conclu entre le Mercosur et la Commission européenne, ce projet n'en est pas une affaire conclue (archivé ici).
Un accord "politique" avait déjà été annoncé en juin 2019, mais son adoption définitive avait notamment été bloquée en raison de l'opposition de la France, une opposition qui s'est depuis renforcée avec la crise agricole qui sévit en Europe (archivé ici).
"Les négociations sont closes, le texte est clos, mais il n'est pas signé", rappelle Ignacio Bartesaghi (archivé ici), docteur en relations internationales, contacté par l'AFP. Le texte doit à présent être légalement révisé et traduit dans les langues de chaque pays membre du Mercosur et de l'Union européenne, qui décidera alors de signer ou non l'accord.
Ignacio Bartesaghi appelle ainsi à la "prudence" quant à l'avenir de l'accord. "Il faut être prudent, car nous avons déjà eu ces célébrations en 2019", a-t-il fait valoir, tout en relevant une différence de contexte. Il souligne notamment que "la France avait plus de pouvoir qu'elle n'en a aujourd'hui dans son opposition, et les intérêts de la Commission européenne étaient différents."
Pour être définitivement adopté, le texte va à présent être soumis au processus de ratification des accords internationaux négociés par la Commission européenne au nom de l'UE établi à l'article 218 du traité du fonctionnement de l'UE (archivés ici et ici).
Cette procédure prévoit notamment la nécessité d'une approbation par le Conseil de l'UE, où sont représentés les 27, avec une majorité dite qualifiée (archivé ici).
Ce mode de scrutin prévoit qu'une proposition est adoptée par le Conseil de l'UE si elle est soutenue par au moins 55 % des Etats membres, soit 15 pays sur 27, et que ceux-ci représentant au moins 65 % de la population de l'UE. La minorité de blocage, quant à elle, doit inclure au moins quatre membres du Conseil. Si ce seuil n'est pas atteint, la majorité qualifiée est considérée comme acquise et ce même si les Etats favorables ne représentent pas 65% de la population totale.
En cas d'adoption par le Conseil, le processus de ratification passe ensuite par l'approbation du Parlement européen, avec cette fois une majorité simple.
Dans le cas de l'accord UE-Mercosur, une troisième étape pourrait s'ajouter.
En effet, l'accord UE-Mercosur relève d'une "compétence partagée" (aussi dite "compétence mixte") puisqu'il couvre des éléments de compétence nationale, comme la protection des investissements propre aux Etats membres. Cela implique "qu'outre l'UE elle-même, les pays de l'UE deviennent parties contractantes envers les parties contractantes hors de l'UE", peut-on lire sur le site de l'Union européenne (archivé ici). Par conséquent, un accord "mixte" doit être ratifié "à la fois au niveau de l'UE et à celui des Etats membres par les parlements nationaux", précise encore le site européen (archivé ici).
Dans ce cas de figure, le rejet d'un seul parlement national suffirait à bloquer le texte dans son ensemble. En novembre 2024, en France, l'Assemblée nationale et le Sénat avaient approuvé l'opposition du gouvernement à l'accord UE-Mercosur "en l'état", lors d'un vote consultatif, laissant présager un probable rejet si le texte leur était soumis pour ratification (archivé ici).
Cette perspective risquée pourrait conduire l'exécutif européen à scinder le texte en deux parties, dont une strictement commerciale relevant des compétences exclusives de l'UE. Cette possibilité, dénoncée par la France, permettrait une adoption de ce volet commercial avec une majorité qualifiée des Etats membres (archivé ici) et une majorité d'eurodéputés, sans prendre le risque d'un veto français puisque l'approbation de chaque parlement national des Vingt-Sept ne sera plus nécessaire.
Un rejet encore possible
La Commission n'a pas encore fait connaître sa décision quant à la scission ou non du texte avant son arrivée sur la table du Conseil. "La base juridique de tout accord final entre l'UE et le Mercosur sera déterminée après une évaluation des résultats des négociations", est-il indiqué sur le site de la Commission européenne (archivé ici).
Même en cas de scission du texte, l'accord du Conseil à la majorité qualifiée n'est pas acquise. La France peut espérer rallier trois autres pays pour constituer une minorité de blocage, représentant avec elle plus de 35% de la population de l'UE, sachant que l'Autriche, les Pays-Bas, l'Irlande, l'Italie et la Pologne ont exprimé des réticences.
"Très clairement, nos agricultures ne seront pas sacrifiées au fond d'un mercantilisme du siècle d'avant", a déclaré Emmanuel Macron, au côté du Premier ministre polonais Donald Tusk, lors d'un déplacement à Varsovie le 12 décembre 2024.
Et si le texte devait franchir l'obstacle du Conseil de l'UE, scindé ou non, il serait ensuite confronté à celui du Parlement européen, où les eurodéputés sont très partagés sur le sujet.
Des actions de protestation
En attendant, les agriculteurs continuent de dénoncer l'accord. L'alliance syndicale agricole majoritaire française FNSEA-Jeunes agriculteurs (JA), qui a intensifié ses actions de protestation ces dernières semaines, perçoit sa conclusion comme "une provocation pour les agriculteurs européens qui appliquent les standards de production les plus élevés au monde".
En France, plusieurs manifestations ont été organisées. A Dijon, le 11 décembre 2024, près de 200 tracteurs ont déversé fumier et pneus usagés en signe de protestation contre l'accord avec le Mercosur, ainsi que la censure du gouvernement français, qui a bloqué le vote du budget prévoyant des mesures en leur faveur. Parallèlement, plusieurs permanences de députés ont été murées ou visées par des déversements de fumier.
L'organisation européenne des syndicats agricoles majoritaires, le Copa-Cogeca, a mis en garde contre de "profondes conséquences" pour l'agriculture familiale dans toute l'Union européenne en cas de ratification, appelant les Etats membres de l'UE et le Parlement européen "à se mobiliser contre cet accord".
"La Commission [européenne] a envoyé un message catastrophique à des millions d'agriculteurs à travers l'Europe", a déclaré le président de la COPA, Massimiliano Giansanti, dans un communiqué (archivés ici et ici).
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