Non, un "document" canadien ne permet pas de conclure que la vaccination anti-Covid a provoqué 17 millions de décès

Malgré son efficacité contre les formes sévères du Covid-19, la vaccination est régulièrement remise en cause. Fin septembre, un "document" canadien a même assuré avoir établi que les vaccins anti-Covid seraient responsables de la mort d'1 personne sur 800 vaccinées en moyenne, des internautes calculant qu'ils auraient alors provoqué 17 millions de décès dans le monde. Mais le "document" cité présente des biais méthodologiques et établit sans fondement un lien de causalité entre vaccination et décès, tirant ainsi une conclusion erronée, ont expliqué plusieurs spécialistes à l'AFP.

"Rapport explosif : les vaccins contre la Covid sont causalement liés à une mortalité accrue - entraînant 17 millions de décès", indique un message alarmiste relayé des centaines de fois depuis le 1er octobre en français sur X (ex-Twitter), Telegram, Facebook ou encore Tik Tok.

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Capture d'écran prise le 09/10/2023 sur X (ex-Twitter)
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Capture d'écran prise le 09/10/2023 sur Telegram

 

 

Avant d'être diffusé en français, ce chiffre a été relayé en anglais, publié dans un article de blog du site The Epoch Times le 28 septembre 2023, dont les allégations sur la vaccination anti-Covid ont déjà fait l'objet de plusieurs articles de vérification par l'AFP (1, 2, 3).

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Depuis le lancement des différentes campagnes de vaccination dans le monde, de nombreux articles remettent en cause la sécurité et l'efficacité des vaccins autorisés, allant jusqu'à assurer que ceux-ci auraient causé une vague de décès.

Cette fois-ci, les publications évoquent un chiffre de "17 millions de morts" à l'échelle mondiale en citant comme source un "document" du 17 septembre 2023 mis en ligne par un site canadien, Correlation, qui se présente comme une ONG scientifique "indépendante" et "non lucrative", mais n'est pas une revue scientifique.

Parmi les auteurs du "document" en question, figure notamment Jérémie Mercier, un Français qui se présente comme "éducateur en santé" sur son site internet et sur les réseaux sociaux et dont plusieurs allégations sur le sida ou la vaccination anti-Covid ont été vérifiées par l'AFP (1, 2).

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Capture d'écran prise le 11/10/2023 sur X

Le premier auteur de l'étude, qui figure parmi les chercheurs du conseil scientifique de Correlation, le physicien Denis Rancourt, a déjà publié de fausses informations liées au Covid, et vérifiées par l'AFP en anglais.

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Capture d'écran prise le 10/10/2023

Le document appelé "Correlation Research in the Public Interest" (Recherche de corrélation pour l'intérêt public) n'a pas fait l'objet d'une publication dans une revue scientifique ni d'une relecture par les pairs. On le trouve uniquement publié sur Researchgate un réseau social de scientifiques, ce qui ne garantit en rien sa qualité.

Il assure se pencher la mortalité toutes causes confondues et les taux de vaccination dans 17 pays de l'hémisphère sud pour soutenir que les vaccins contre le Covid-19 tuent en moyenne une personne sur 800.

"Il s'agit d'un chiffre stupéfiant, comparé à ce qui est généralement le cas pour les vaccins traditionnels, qui est environ d'un effet secondaire grave pour un million", affirment les auteurs dans leur conclusion.

Proportionnellement , cela "équivaut à 17 millions de décès liés au vaccin Covid-19 dans le monde", calcule l'auteur de l'article de blog en anglais de The Epoch Times.

Mais Tarik Jasarevic, porte-parole de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), a expliqué à l'AFP le 3 octobre que ces estimations "sont incorrectes".

Amesh Adalja, chercheur au Centre pour la sécurité sanitaire de l'université Johns Hopkins, a abondé auprès de l'AFP le 3 octobre, affirmant que les résultats "représentent une déformation majeure des vraies données".

"Les pics de mortalité toutes causes confondues sont probablement dus à la recrudescence du virus pendant certaines périodes et n'ont rien à voir avec les campagnes de rappel", a poursuivi l'expert.

Un "document" avec des biais méthodologiques

Le groupe "Correlation Research in the Public Interest" affirme que, dans les pays passés en revue dans son "document", "il n'y a pas de lien au fil du temps entre la vaccination anti-Covid et une réduction proportionnelle de la mortalité [toutes causes confondues]".

Le groupe fonde cette conclusion sur les chiffres du World Mortality Dataset (archive ici), de Our World in Data (archive ici) et de données de chaque région. Les auteurs notent que la surmortalité, c'est-à-dire les décès excédentaires enregistrés par rapport à ce qui aurait été attendu pour une année "normale", a augmenté au début de l'année 2022, alors que les campagnes de vaccination contre le Covid-19 s'étaient accélérées.

Mais Oliver Watson, chercheur invité à l'école de santé publique de l'Imperial College de Londres, a déclaré à l'AFP qu'au lieu de prouver que les vaccins Covid-19 sont à l'origine de ces décès excédentaires, le rapport se contente de "corréler le déploiement de la vaccination anti-Covid et l'augmentation de la mortalité" sans tenir compte d'autres événements qui peuvent expliquer cette hausse.

"Par exemple, les pics de surmortalité comprennent un certain nombre de pays ayant adopté la politique dite 'zéro covid', comme Singapour et la Nouvelle-Zélande, consistant à mettre en place des mesures de confinement strictes visant à empêcher la propagation du Covid-19", a-t-il expliqué le 4 octobre, soulignant qu'une fois les mesures de confinement levées, ces pays ont constaté une augmentation des décès et de la mortalité dus au Covid.

L'Australie, un autre pays qui a misé sur une stratégie "zéro-Covid", a connu une surmortalité importante fin 2021, alors que le variant Omicron avait connu un pic de propagation, avait ainsi déjà expliqué l'AFP en anglais.

Le document se concentre également sur l'hémisphère sud, qui, selon Tara Moriarty de l'université de Toronto, "présentait des taux de mortalité toutes causes confondues très élevés avant l'arrivée des vaccins".

Or, cette tendance s'est poursuivie après l'introduction des vaccins aux États-Unis et en Europe, a ajouté la chercheuse en maladies infectieuses, car de nombreux pays "n'avaient pas accès aux vaccins".

Surmortalité sans lien avec les vaccins

La pandémie a été marquée par plusieurs pics de surmortalité au niveau mondial (archive ici). Mais l'AFP a déjà expliqué que plusieurs pics de surmortalité en France et aux Etats-Unis s'expliquaient par le nombre d'infections au Covid-19 et non à la vaccination anti-Covid.

A lire aussi : La surmortalité en France en 2022 n'est pas attribuée aux vaccins anti-Covid 

Ce document véhicule l'idée que la balance bénéfice-risque de la vaccination anti-Covid serait négative et que les effets indésirables graves auraient fini par surpasser la protection conférée par les injections générant une vague de décès.

La désinformation au sujet des vaccins anti-Covid est massive et récurrente sur les réseaux sociaux et consiste souvent à affirmer, comme ici, qu'il existe un lien de causalité entre vaccination et décès, en interprétant de façon erronée les données de pharmacovigilance des autorités sanitaires.

Comme expliqué par les différentes autorités de santé depuis le début des campagnes de vaccination, les données figurant dans les bases de pharmacovigilance destinées à surveiller de potentiel effets indésirables des vaccins ne supposent pas de lien entre le décès et l'injection. Seule une analyse médicale approfondie peut établir un lien, le cas échéant.

L'AFP a consacré de très nombreux articles de vérification à ce sujet, comme ici par exemple, soulignant que les décès résultant de la vaccination confirmés sont rares.

En Australie, la Therapeutic Goods Administration avait ainsi identifié jusqu'en août 2023 14 décès probablement liés aux vaccins sur plus de 68 millions de doses administrées (archive ici).

"Il est important de noter qu'il n'existe aucune preuve crédible que les vaccins Covid-19 aient contribué à une surmortalité en Australie", a estimé un porte-parole de l'agence australienne auprès de l'AFP le 5 octobre. "Le nombre de doses de vaccin administrées en 2022 était environ la moitié de celui administré en 2021, ce qui indique clairement qu'il n'y a pas de relation temporelle entre la vaccination et la surmortalité."

Parallèlement, en Afrique du Sud, les autorités de santé publique ont constaté trois décès résultant des injections de Covid-19 sur plus de 38 millions de doses administrées (archive ici). Des chiffres similaires ont été rapportés dans d'autres pays cités dans le document "Correlation Research in the Public Interest", notamment en Nouvelle-Zélande et à Singapour (archives ici et ici).

L'AFP a contacté les agences de santé de plusieurs autres pays mentionnés dans le document mais elles n'avaient pas répondu à la date de publication de cet article.

Une étude américaine publiée en janvier 2023 dans la revue Vaccine conclut à une absence de risque accru de mortalité hors Covid-19 parmi les personnes vaccinées, quel que soit le vaccin (Pfizer, Moderna et Janssen), par rapport aux personnes non-vaccinées. Cette étude a été menée à une plus grande échelle que les études précédentes sur le sujet, puisqu’elle a porté sur plusieurs millions d’individus, 3% de la population américaine, sur une durée de plusieurs mois, entre décembre 2020 et août 2021.

Citant ce document, l'agence sanitaire américaine a affirmé auprès de l'AFP que "dans l'une des plus vastes études de ce type menées à ce jour, les CDC n'ont pas constaté d'augmentation du risque de décès chez les personnes ayant reçu les vaccins COVID-19 de Pfizer-BioNTech, Moderna et Johnson & Johnson. Les taux de mortalité chez les personnes vaccinées contre le Covid étaient inférieurs à ceux des personnes n'ayant pas reçu d'injections".

"Ces résultats vont également à l'encontre des affirmations infondées selon lesquelles les vaccins anti-Covid auraient causé de nombreux décès", ont poursuivi les CDC.

Sur leur site, les CDC recommandent la vaccination anti-Covid et assurent que les vaccins distribués aux Etats-Unis sont "sûrs et efficaces et réduisent le risque de faire une forme grave de la maladie ".

Une autre étude publiée en juin 2022 dans la revue The Lancet estimait que les vaccins anti-Covid avaient permis de sauver environ 19,8 millions de vies dans le monde l'année suivant leur distribution (archive ici). Les données des Centres américains de contrôle et de prévention des maladies (CDC) montrent que les personnes qui recevaient les injections de rappel sont beaucoup moins susceptibles de mourir de Covid-19 que leurs homologues non vaccinés (archive ici).

Le Pr Jeffrey Cirillo , professeur en immunologie à l'université du Texas interrogé par l'AFP le 3 octobre martèle : "clairement, la vaccination sauve des vies", mettant en avant que "le taux de mortalité des personnes vaccinées a été et continue d'être inférieur à 0,1 %, ce qui est bien mieux que celui de la population non vaccinée qui affiche un taux de mortalité d'environ 3 % dû à l'infection au SARS-CoV-2".

Les effets indésirables des vaccins surveillés de près

En délivrant une autorisation aux vaccins contre le Covid-19, l'Agence européenne des médicaments (AEM) a estimé que la balance "bénéfice-risque" de ces vaccins étaient respectée, c'est-à-dire que la protection offerte globalement contre le Covid-19 était beaucoup plus importante que les potentiels effets secondaires ou risques induits par le vaccin, comme l'explique l'agence sur son site.

La sécurité des vaccins a ensuite continué d'être surveillée de près par l'OMS, par l'Agence européenne des médicaments, et, en France, par l'Agence nationale de sécurité des médicaments (ANSM) qui recensent et étudient tout effet indésirable survenu après l'administration d'un vaccin.

En débutant la campagne de vaccination en vie réelle, des affections ont, au fur et à mesure, été associées par différentes autorités sanitaires aux vaccins, comme par exemple un risque de thromboses à l'AstraZeneca ou de péricardite ou myocardite aux vaccins à ARN messager.

Plusieurs études se sont ainsi penchées sur des troubles cardiaques, très rares et, la plupart du temps, sans complications graves, mais ce sujet a été largement exagéré comme l'a déjà expliqué cet article de vérification de l'AFP. La plupart des effets secondaires signalés sont bénins (douleurs au point d'injection, fièvre...) et ces effets potentiels restent extrêmement rares au regard du nombre de doses injectées.

De fait, l'ANSM continuait par exemple d'estimer en avril 2022 que si "la vaccination par un vaccin ARNm augmente le risque de myocardite et celui de péricardite dans la semaine suivant la vaccination", ces risques "apparaissent toujours peu fréquents au regard du nombre élevé de doses administrées", concluant que "l'évolution clinique est toujours favorable dans la majorité des cas"et que "ces nouvelles données de pharmaco-épidémiologie ne remettent pas en cause le rapport bénéfice/risque des vaccins contre la Covid-19 Comirnaty et Moderna, dont l'efficacité contre les formes graves de Covid-19 est très importante".

En France, 156 788 000 de doses ont ainsi été injectées depuis le début de la campagne vaccinale à la date de juin 2023 , selon le dernier point de surveillance de l'ANSM publié en juin 2023, qui estime que " la surveillance que nous avons mise en place ainsi que les données internationales, confirment que les vaccins contre le Covid-19 sont sûrs et efficaces".

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