
Une vidéo prouvant que les incendies à Hawaï n'ont pas brûlé d'arbres ? Ces images anciennes ont été prises en Californie
- Cet article date de plus d'un an
- Publié le 23 août 2023 à 15:34
- Lecture : 11 min
- Par : Manon JACOB, Marine DELRUE, AFP Etats-Unis, AFP France
Copyright AFP 2017-2025. Toute réutilisation commerciale du contenu est sujet à un abonnement. Cliquez ici pour en savoir plus.
"Maui, Hawaii: Quel type de 'feux de forêt' peut laisser les arbres intacts mais désintégrer les maisons, voitures sans laisser de traces ?", interroge un internaute sur Facebook.
Sa publication, partagée presque 2.900 fois, est accompagnée d'une vidéo dont les 50 premières secondes montrent des maisons réduites en cendres, entourées par des arbres qui semblent épargnés par les incendies.
Selon la vidéo, les images montreraient les dégâts provoqués par les incendies qui ont ravagé le 8 août 2023 les terres hawaïennes de l'île de Maui, causant la mort de 110 personnes (dépêche archivée ici).

Virale, cette vidéo circule également sur X (ex-Twitter). "Non mais sérieusement prenez 30 secondes pour observer ces images ! Un feu de forêt qui laisse intact les arbres mais réduit en cendres le reste ? Vraiment ???", s'est exclamé sur X Silvano Trotta, dont plusieurs affirmations ont déjà été vérifiées par l'AFP (1, 2, 3, 4, 5, 6, 7).
Ces allégations sont très relayées en français (1, 2), en anglais (1, 2, 3, 4), en croate et serbe. Plusieurs de ces publications font écho à des théories selon lesquelles la catastrophe aurait pu être une attaque intentionnelle, provoquée par des lasers ou des armes à énergie dirigée. Une affirmation néanmoins démentie par l'AFP le 17 août 2023 puisqu'une enquête sur la gestion de la crise ouverte par l'avocate générale de l'archipel américain doit encore tenter de déterminer la cause des feux .
Une vidéo ancienne tournée en Californie
Mais plusieurs indices laissent penser que la vidéo relayée en ligne ne montre pas des maisons brûlées par les flammes à Maui. Les arbres visibles sont par exemple différents de l'habituelle végétation de l'archipel.
Sur la vidéo diffusée en ligne figurent deux inscriptions : le nom d'un site web : "viewer.hangar.com" et un logo, "hangar".
Le site en question, actuellement inaccessible, est une plateforme de partage d'images de drones, selon les anciennes versions archivées du site (1, 2, 3) et différents forums (1, 2). En raison de l'état du site, l'AFP n'a pas pu retrouver la vidéo d'origine.
Nous avons utilisé l'outil InVID, co-développé par l'AFP, et notamment la fonctionnalité "Images-clés", pour segmenter la vidéo en imagettes que l'on soumet à des moteurs de recherche sous forme de recherche d'image inversée.
Cette fonctionnalité permet de savoir si cette vidéo a déjà été diffusée sur internet avant.
L'outil redirige vers des articles de presse datés de novembre 2018, qui portent sur les incendies de Camp Fire, en Californie (1, 2, 3), archivés ici (1, 2, 3). Si la vidéo n'est pas partagée dans ces articles, la végétation et le paysage sont très similaires à ceux de la vidéo qui circule sur les réseaux sociaux.
Avant l'incendie de Maui en août 2023, les Etats-Unis n'avaient pas connu d'incendies aussi meurtriers depuis "Camp Fire", un incendie en Californie qui avait détruit la ville de Paradise et tué 86 personnes en 2018 (dépêche archivée ici).
Sur son site internet, le Comté de Butte, où est localisée la ville de Paradise, a créé plusieurs cartes interactives (1 et 2 archivées là et ici) qui montrent les dégâts provoqués par l'incendie, ce qui a permis à l'AFP de retrouver l'endroit exact visible dans la vidéo.
Sur la carte, et sur la vidéo, on retrouve un grand bâtiment, ressemblant à un centre commercial (en rouge) et derrière, un terre-plein (en jaune), situé au croisement entre Clark Road et Eliott Road.

Si l'on poursuit sur Clark Road, on tombe tout de suite sur le lotissement qui est montré dans la vidéo. Les éléments géographiques et visuels permettent de confirmer que l'on se situe au même endroit que sur la vidéo : les sept maisons brûlées (en rouge) font face à trois maisonnettes (en bleu) et un rond-point en vert. Au bout du lotissement, se tient également une maison intacte (en rose), celle-ci fait face à une autre bâtisse surplombée de deux arbres rouges (en jaune).

Des photos du Daily Beast, montrent le même bâtiment avant et après le passage des flammes dans la ville de Paradise en novembre 2018 (archivé ici).

De nombreux arbres brûlés à Maui
Contrairement à ce qui est avancé sur les réseaux sociaux, la végétation de l'île de Maui n'a pas été épargnée par les incendies dévastateurs d'août 2023.
Les incendies ont réduit en cendres maisons, entreprises et endommagé la végétation locale. Il est possible de le vérifier avec cette comparaison ci-dessous montrant des images satellites de Maxar Technologies de la ville de Lahaina située sur l'île de Maui avant l'incendie le 25 juin 2023 et après, le 9 août 2023.
Plusieurs médias américains rapportent que des forêts sèches sont parties en fumée (article archivé ici), des arbres ont brûlé (archivé ici) et que des espèces de plantes rares sont menacées de disparition après les incendies (archivé ici).
Parmi les arbres brûlés, la presse locale a notamment mentionné un banian vieux de 150 ans, arbre emblématique de Lahaina, qui a brûlé (article archivé ici) et pourrait mourir, selon l'arboriste principal de l'État d'Hawaï, Steve Nimz.
Sur son site internet (archivé ici), l'État d'Hawaï rapportait, avant les incendies, que l'archipel contenait 44% des espèces végétales en voie de disparition et menacées du pays.

Les arbres touchés différemment par les incendies
"De façon générale, lors d’un feu, tous les arbres ne brûlent pas", a en outre expliqué l'Office national des forêts (ONF) le 21 août 2023 à l'AFP, remettant en cause les allégations selon lesquelles voir des végétaux épargnés pendant un feu serait nécessairement la preuve que l'incendie a été provoqué par une "arme à énergie dirigée".
"Ce sont essentiellement les herbacées et les arbustes qui brûlent. Le feu ne monte en cime que lorsqu'il y a une continuité végétale entre le sol et le haut de l'arbre. De plus, le feu n'est en mesure de passer de cimes en cimes que si les arbres sont proches. Ainsi, les arbres isolés sont assez souvent épargnés", précise l'ONF.
Camille Stevens-Rumann, directrice adjointe de la recherche et de la surveillance écologiques au Colorado Forest Restoration Institute, a précisé le 15 août à l'AFP que les arbres ne sont pas tous touchés de la même manière face aux incendies.
"De nombreux arbres tropicaux comme ceux qui poussent à Hawaï ont souvent une teneur en eau très élevée, ce qui signifie qu'ils sont moins susceptibles de brûler même secs", a abondé Camille Stevens-Rumann.
Certains arbres originaires de Maui, dont le mamane, ont des propriétés résistantes au feu, d'après les informations communiquées par le Parc National des volcans d'Hawaï (archives ici).
"Il y a une explication physique pour expliquer pourquoi les maisons brûlent, mais pas forcément les troncs et les branches d'arbres", a expliqué à l'AFP Ernesto Alvarado, professeur agrégé de recherche à l'École des sciences environnementales et forestières de l'Université de Washington, le 15 août. Parmi les explications : la teneur en humidité, l'intensité du feu et sa composition.
"L'arbre n'a pas réellement besoin de brûler pour mourir. Si le feu est très chaud mais se déplace rapidement ou est très lent, l'arbre peut simplement mourir par la chaleur sans brûler", complète Jim Fyles, professeur émérite de l'Université McGill à Montréal, spécialisé dans l'écologie des forêts et interrogé par l'AFP le 17 août.
"En revanche, les structures construites par l'homme en matériau inflammable comme le bois sont généralement très sèches ou composées de beaucoup ont des composants combustibles, comme les revêtements des maisons. Ainsi, une maison peut être beaucoup plus inflammable qu'un arbre", souligne-t-il.

Contrairement aux arbres , les maisons ont "de nombreux coins et recoins sur lesquels les braises soufflées par le vent peuvent atterrir et s'enflammer, du toit à la fondation", relève de son côté Courtney Peterson, spécialiste de l'adaptation au climat à l'Université du Colorado, le 15 août.
Les études post-incendie indiquent également que de nombreux facteurs contribuent à l'embrasement d'une maison. Parmi eux : la quantité de débris autour de la propriété, l'espacement des arbres et la présence de matériaux inflammables sur ou à proximité de la propriété (archivée ici).
Les incendies de forêt peuvent également se propager d'une maison à l'autre dans un "effet domino" si les habitations sont proches les unes des autres, laissant ainsi intacte la végétation environnante. C'est par exemple ce qu'avait signalé le département américain de l'Agriculture dans des endroits tels que Grass Valley, lors d'incendies en Californie (archivé ici).
L'origine des incendies d'Hawaï encore inconnue
Si l'origine des incendies dévastateurs restait encore inconnue à la date du 22 août 2023, l'enquête sur la gestion de la crise ouverte par l'avocate générale de l'archipel américain le 11 août doit tenter de la déterminer.
Selon l'agence gouvernementale qui assure le service météorologique aux Etats-Unis, le National Weather, les incendies de Maui ont été alimentés par la sécheresse et les vents violents de l'ouragan Dora à proximité (archivé ici).
Susan Buchanan, directrice des relations publiques du National Weather Service, avait déclaré à l'AFP le 11 août que l'agence avait alerté les responsables locaux jusqu'à une semaine à l'avance "des conditions météorologiques dangereuses pour les incendies sur les îles hawaïennes", avec des avertissements officiels dans les jours précédant le début de la catastrophe (archivé ici).
"Le mélange de végétation sèche, de vents forts, d'air sec et la faible humidité a contribué à propager les incendies meurtriers", avait également souligné Susan Buchanan.
Image
Graphique montrant une sélection d'espèces de graminées envahissantes et inflammables à Hawaï pouvant servir de combustible pour les incendies de forêt ( AFP / Julia Han JANICKI, Sophie RAMIS)

Selon plusieurs scientifiques cités dans de précédentes vérifications sur les incendies d'Hawaï (1, 2, 3, 4), la végétation envahissante qui s'est développée sur l'île depuis plusieurs décennies, très résistante aux sécheresses mais très inflammable, a également contribué à la propagation rapide des feux.
A la date du 23 août, 114 décès ont été confirmés à Hawaï, soit l'incendie le plus meurtrier depuis plus d'un siècle aux État-Unis. Et le bilan définitif pourrait être bien plus lourd (dépêche archivée ici). Peu de corps ont pu être identifiés jusqu'à présent.
Le fournisseur d'électricité Hawaiian Electric est accusé de ne pas avoir coupé le courant, aggravant la situation avec la chute de poteaux électriques alors que soufflaient des vents violents.
Au-delà des erreurs humaines, le gouverneur de l'État de Hawaï Josh Green a désigné un autre coupable, s'appuyant sur le nombre croissant de feux sur l'archipel : "Soyons clairs, le changement climatique est là, nous sommes en plein dedans" (dépêche archivée ici).