Non, cette vidéo de 2021 ne montre pas l’arrestation de "terroristes" français au Nigeria

Un message viral depuis mi-mars sur les réseaux sociaux en Afrique de l’ouest affirme, vidéo à l’appui, que la police nigériane a récemment appréhendé des Français au sein d'une bande de "terroristes" opérant sur son territoire. Il s'agit de la dernière rumeur visant Paris et ses ressortissants, dans un contexte de défiance à l'égard de l'ancienne puissance coloniale dans la région, régulièrement accusée de soutenir des groupes jihadistes ou encore de vouloir spolier les pays africains. Mais cette publication est trompeuse: le reportage qui l'accompagne date de 2021 et montre en réalité des présumés criminels interpellés par les forces de l'ordre au Nigeria, suspectés d’être originaires du Niger voisin.

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Capture d'écran d'une publication sur Facebook, réalisée le 20 avril 2023

La vidéo utilisée sur Twitter et Facebook s’ouvre sur une table où s'entassent munitions, carabines et liasses de billets. Un policier, à en juger par l'inscription sur le macaron de son uniforme à imprimé camouflage, fournit des explications aux médias présents. Il s’exprime vigoureusement dans ce qui semble être du Haoussa, une langue parlée au Nigeria, au Niger et dans d'autres pays de la région.

Sur Twitter, un internaute croit savoir que "la police nigériane a arrêté des terroristes dont des ressortissants français". Selon lui, les suspects se trouvaient en possession "d'énormes sommes d'argent de deux millions deux cents euros avec un armé machine gun qui peut neutraliser un avion -source (sic)”. En 2021, une page Facebook dédiée au Niger a diffusé la même vidéo, assurant que "le Nigeria pointe du doigt la France !" dans les attaques jihadistes qui visent ce pays.

Ce type de rumeur trouve un écho particulier en Afrique de l’ouest francophone, où le sentiment anti-français de certains dirigeants et d'une partie des populations a poussé (dépêche archivée ici) Paris à retirer ses troupes engagées depuis près d'une décennie dans la lutte anti-jihadiste. Acculée par les juntes au pouvoir au Mali et au Burkina Faso, l'armée française a ainsi définitivement quitté ces deux pays-clé du Sahel, minés par les violences jihadistes et intercommunautaires (dépêche archivée ici ), mais reste déployée ailleurs, notamment au Niger.

L'AFP a déjà vérifié plusieurs affirmations infondées selon lesquelles des soldats ou des journalistes français collaboraient avec des groupes jihadistes pour déstabiliser les Etats sahéliens ces derniers mois.

Après une recherche d'images inversée sans résultat probant, nous avons tenté une autre approche à l'aide du logo présent sur les images virales en haut à droite, qui porte l'inscription "RTV Jadakiya". Nous avons donc examiné la rubrique "vidéos" des plateformes YouTube et Facebook de ce média nigérian spécialisé dans l’information en Haoussa.

Grâce à une recherche chronologique sur sa page Facebook, on retrouve exactement la même séquence que celle qui circule actuellement, diffusée le 25 janvier 2021, avec un lien vers une vidéo complémentaire sur la chaîne YouTube de ce média. Si les personnes interviewées ne sont pas les mêmes, ces deux vidéos partagent de nombreux indices visuels indiquant qu'elles relatent le même évènement: le policier avec un casque noir sur la tête, un gilet pare-balle marqué NPF (pour Nigeria Police Force), des manches à rayures blanches, noires et rouge. Derrière lui, on aperçoit aussi le même homme en pull militaire vert-foncé.

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Capture d'écran Facebook réalisée le 20 avril 2023
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Capture d'écran Youtube réalisée le 20 avril 2023

 

 

Des internautes ayant relayé le reportage du média nigérian sur les réseaux sociaux prétendent qu'on y mentionne explicitement des Français.

Pourtant, selon les retranscriptions des différentes interviews effectuées par un correspondant haoussaphone de l’AFP au Nigeria, à aucun moment les forces de l'ordre ou les autres intervenants ne parlent de ressortissants français. En revanche, le policier en tenue de camouflage bleue qui apparaît au premier plan évoque l’arrestation d’un réseau opérant au Nigeria avec des ramifications au Niger voisin, spécialisé dans le trafic d’armes.

Un problème de traduction

"Nous avons reçu des renseignements sur ces gens mauvais qui fournissent aux terroristes des armes sophistiquées qui sont utilisées pour tuer les habitants de l’État de Katsina et le personnel de sécurité", dit précisément le policier, affirmant que lesdits criminels "ont tué un grand nombre de membres du personnel de sécurité dans les États de Katsina, Zamfara et Kaduna", situés dans le nord du Nigeria, une région en proie à une insécurité généralisée.

La confusion qui pourrait laisser penser que des Français se trouvaient parmi les personnes arrêtés vient d'une mauvaise interprétation du mot haoussa "Faranshi", utilisé dans les deux vidéos, explique notre correspondant au Nigeria. "Après avoir visionné les vidéos, il n'y a aucune affirmation évoquant l'implication d'un Français dans le banditisme ou la fourniture d'armes”, tranche-t-il.

Le mot "Faranshi" signifie bien "France" ou "Français". Mais ce terme est largement utilisé par les Nigérians pour désigner les pays voisins francophones qui entourent leur pays, notamment le Niger. "Ainsi, lorsqu'un homme Haoussa dit -Faranshi-, il fait référence au Niger. Il est clair pour tout locuteur haoussa que le terme -Faranshi- dans les deux vidéos fait référence au Niger et aux Nigérians, et non à la France ou au Français. C'est ce que tout locuteur natif haoussa comprendra”, détaille le journaliste.

Dans le reportage de Jakadiya Tv publiée sur YouTube, le témoignage en Haoussa d'un membre du réseau démantelé par la police nigériane, Haruna Yusuf (dès 0'26 seconde) détaille leur mode opératoire : "Je m'appelle Haruna Yusuf. Ces armes m’ont été apportées par quelqu'un du Niger, relate-t-il. Quand il les amène, cet homme, Lawai, me les prend à son tour et les amène à des gens de Gurbi (Nigeria), il les emmène notamment à Ibrahim. Il sait où ils vivent, pas moi. Quand ils ont besoin d’armes, on l’appelle, on lui donne de l’argent qu’il m’apporte. Quand il apporte l'argent, je le donne à l’homme nigérien. (Son nom est) Husseini, il vit dans un village à Damagara (Nigeria)".

Après une recherche restreinte à janvier 2021 sur Google avec les mots-clés "banditry AND arrest AND katsina", on trouve des articles sur cette même arrestation publiés par des médias connus au Nigeria comme la chaîne de télévision AIT (article archivé ici) et le quotidien Punch (article archivé ici). Ils identifient à chaque fois expressément les suspects comme étant originaires du Nigeria et du Niger.

Le collectif de journalistes africains Tama Média a lui aussi vérifié (archivée ici) cette vidéo et est parvenu à la même conclusion. Il a sollicité deux traducteurs dont Fatouma Harber, journaliste et blogueuse basée à Tombouctou, au Mali. "Quand un Nigérian dit 'in haranchi' (ou Faranshi, ndlr), il parle de francophone. J’ai vu que dans le tweet, la personne essaie de se baser sur les mots pour parler d’une implication française. Ce n’est pas ce que le militaire nigérian soutient" , affirme-t-elle.

Le second traducteur interrogé, un citoyen nigérien vivant au Niger, explique que le principal intervenant de la vidéo virale ne fait aucune allusion à la France, mais indique que "ce sont des coupeurs de route qui attaquent dans le katsina nigérian, ils ont des armes lourdes capables d’attaquer les équipements aériens [avions] et terrestres."

L'Etat de Katsina mentionné par le policier qui s’exprime largement sur la vidéo virale, fait partie du nord-ouest du Nigeria frontalier du Niger, en proie à une insécurité généralisée (dépêche archivée ici). Depuis plusieurs années, des gangs armés présents dans les zones reculées des deux côtés de la frontière y attaquent des villages et tuent les habitants, kidnappent contre rançon, volent du bétail ou brûlent des maisons après les avoir pillées.

Le Nigeria fait aussi face à plusieurs groupes jihadistes (dépêche archivée ici) qui mènent depuis 14 ans une insurrection armée dans le nord-est du pays et s'affrontent dans des combats meurtriers pour la suprématie.

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