Non, l'ONU ne recommande pas de dépénaliser les relations sexuelles avec des mineurs
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- Publié le 25 avril 2023 à 10:43
- Lecture : 7 min
- Par : Bill MCCARTHY, AFP Etats-Unis
- Traduction et adaptation : Bénédicte REY
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"Voici le rapport de l'ONU. Il s'agit bien de dépénaliser la pédocriminalité. Pour légitimer le consentement des enfants, il prétexte que les mineurs ont des droits et donc s'ils souhaitent des relations avec un adulte, c'est leur droit", affirme cet internaute dans un tweet partagé plus de 1.000 fois depuis le 22 avril.
"Les rapports sexuels entre adultes/enfants bientôt légalisés par l'ONU", alerte cet autre utilisateur de Twitter dans un message partagé près de 500 fois depuis le 20.
Très virales, ces allégations circulent également sur d'autres réseaux sociaux comme Facebook ou sur des forums. Nombre d'entre elles relaient un article publié le 19 avril par Médias-Presse-Info, qui se présente comme le "premier site d'information réellement catholique".
Ces fausses affirmations sont également virales aux Etats-Unis, où elles ont été relayées par des influenceurs liés à la droite conservatrice ou à des groupes anti-avortement ainsi que par Tucker Carlson, ex-animateur vedette de la chaîne conservatrice Fox News. Fox News a annoncé lundi le départ de cette figure de la désinformation aux Etats-Unis.
Ces articles et ces messages reposent sur une interprétation erronée des "Principes du 8 mars", une série de recommandations juridiques publiées le 8 mars par des agences de l'ONU.
"L'engagement des Nations Unies à combattre l'exploitation sexuelle des enfants et le contenu des Principes du 8 mars ont été gravement déformés sur un certain nombre de réseaux sociaux et de sites internet", a écrit la Commission internationale de juristes (CIJ), qui regroupe 60 avocats et juges, et a contribué à la rédaction de ces principes, dans un communiqué publié le 20 avril (lien archivé ici). "Les Principes du 8 mars n'appellent pas à la dépénalisation des relations sexuelles avec des enfants, ni à l'abolition de l'âge minimum du consentement aux relations sexuelles prescrit par les Etats. La CIJ précise que les Etats ont une obligation claire en vertu du droit international de protéger les enfants de toute forme d'abus".
En France par exemple, l'âge légal du consentement sexuel est établi à 15 ans, et 18 ans en cas d’inceste. Toutefois, à partir de 13 ans, les mineurs peuvent consentir si l’écart d’âge avec leur partenaire est inférieur à 5 ans, comme le rappelle ce site officiel consacré à la prévention en santé à destination des jeunes (archive ici).
Que sont les Principes du 8 mars ?
La Commission internationale de juristes (CIJ, une organisation non-gouvernementale de défense de l'Etat de droit et des droits humains), l'ONUSIDA (l'agence de l'ONU dédiée à la lutte contre le sida) et le Haut-Commissariat des Nations-Unies aux droits de l'homme (HCDH) ont dévoilé le 8 mars 2023 un nouvel ensemble de principes juridiques formulés par des spécialistes afin d'aider à faire appliquer le droit international des droits humains dans le droit pénal.
Ces Principes du 8 mars, fruit d'un travail entamé en 2018, concernent les législations relatives aux comportements "en matière de sexe, de consommation de drogues, de VIH, de santé de la reproduction et sexuelle, d'absence de domicile fixe et de pauvreté", explique l'ONUSIDA dans un communiqué publié à l'occasion de leur lancement (lien archivé ici).
"Le recours à outrance au droit pénal par les gouvernements et, dans certains cas, des lois pénales arbitraires et discriminatoires, ont entraîné un certain nombre de violations des droits humains", est-il expliqué dans le communiqué, qui rappelle qu'en 2023, "20 pays criminalisent ou poursuivent d'une autre manière les personnes transgenres, 67 pays criminalisent encore les rapports entre personnes du même sexe , 115 disent criminaliser la consommation de drogue, plus de 130 criminalisent l'exposition au VIH, la non-divulgation du statut sérologique et la transmission du virus et plus de 150 pays criminalisent certains aspects du commerce du sexe".
Que disent ces principes sur le consentement ?
Le principe n°16 de ce texte (lien archivé ici), concerne les "relations sexuelles consenties". Le texte affirme que les relations sexuelles consenties "ne peuvent en aucun cas être criminalisées", quel que soit le type d'activité sexuelle, le genre, l'orientation sexuelle ou le statut marital des personnes.
"En ce qui concerne l'application du droit pénal, tout âge minimum légal de consentement doit être appliqué de façon non-discriminatoire. L'application ne peut être liée au sexe/genre des personnes impliquées ou à l'âge de consentement au mariage", précise le texte.
"En outre, les relations sexuelles impliquant des personnes n'ayant pas atteint l'âge minimum du consentement tel que défini par la loi d'un pays, peuvent être consenties dans les faits, sinon en droit. Dans ce contexte, l'application du droit pénal devrait refléter les droits et la capacité des personnes de moins de 18 ans de prendre des décisions concernant leur participation à des relations sexuelles consenties et leur droit d'être entendues sur des questions les concernant".
C'est ce passage sur lequel se sont appuyés des internautes pour affirmer que l'ONU recommandait de dépénaliser les relations sexuelles avec des mineurs.
Ces allégations sont "de la désinformation malveillante", s'est insurgé Stéphane Dujarric, porte-parole du secrétaire général de l'ONU le 18 avril lors d'une conférence de presse (lien archivé ici).
Le passage visait les relations sexuelles consenties entre des adolescents du même âge, a expliqué le 21 avril à l'AFP Christine Stegling, directrice exécutive adjointe du service de l'appui et des données de l'ONUSIDA (lien archivé ici).
"Dans l'application du droit, il est reconnu que les sanctions pénales ne sont pas appropriées contre des adolescents d'âge similaire ayant des relations sexuelles consenties et qui ne relèvent pas de l'exploitation [sexuelle, NDLR]. De même, il est reconnu que les adolescents ne doivent pas être empêchés d'accéder aux services de santé qui les protègent. L'ONU est résolue à lutter contre l'exploitation sexuelle des enfants, affirme que l'exploitation et les abus sexuels sur les enfants sont un crime et aide les pays à protéger les enfants", a-t-elle déclaré.
"Ce rapport ne recommande pas des relations sexuelles entre adultes et mineurs, ni la dépénalisation des relations sexuelles avec des enfants", a également déclaré le 21 avril à l'AFP Aziza Ahmed (lien archivé ici), professeure en droit à l'Université de Boston et co-directrice du programme de l'université sur les droits reproductifs. "Le rapport indique que les Etats devraient veiller à ce que les jeunes ne soient pas pénalement poursuivis pour s'être livrés à des activités consenties".
"Nous pourrions imaginer, par exemple, dans un pays où les lois sont sévères contre les personnes LGBT, que des jeunes pourraient être poursuivis pour avoir eu des relations sexuelles entre eux, s'il n'y a aucune disposition pour empêcher les poursuites contre des mineurs ou si le consentement est fixé à un âge élevé. Les tribunaux, s'ils agissent de manière équitable et suivent les principes de ce rapport, devraient avoir la capacité de veiller à ce que la véritable capacité des jeunes à consentir soit prise en compte plutôt que de soumettre ces mineurs à des sanctions pénales sévères", a-t-elle expliqué.
La pédocriminalité instrumentalisée par les complotistes
La pédocriminalité, un fléau bien réel, est régulièrement instrumentalisée par les adeptes de théories du complot, qui voudraient que les "élites" entretiennent et protègent de vastes réseaux pédocriminels. Cette tendance alarme les associations de protection de l'enfance, comme l'explique ce récent article de l'AFP (lien archivé ici).
Dans une vidéo diffusée en 2017 et toujours relayée sur les réseaux sociaux en 2023, un homme présenté comme un pédopsychiatre assure par exemple qu'un programme d'éducation à la sexualité imposé dans les écoles françaises par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) prône la masturbation infantile et ouvre la voie à la "légalisation de la pédophilie". Mais c'est une mauvaise interprétation d'un guide proposant des pistes pour parler d'éducation à la sexualité dans les milieux scolaires, comme l’a confirmé l'OMS à l'AFP.
A l'occasion d'un article de vérification de l'AFP sur de fausses affirmations selon lesquelles le Forum de Davos appelait à "légaliser la pédophilie", plusieurs experts interrogés par l'AFP début janvier avaient expliqué que le droit français allait au contraire vers une plus grande répression de la pédocriminalité.
"Depuis la loi du 21 avril 2021 [lien archivé ici], qui a dit que dans les cas de viol sur des victimes de moins de 15 ans, les magistrats n'ont par exemple plus besoin d'établir l'existence de violence, d'une contrainte, d'une menace ou d'une surprise pour caractériser le viol, il suffit de prouver l'existence d'une relation sexuelle pour qualifier un viol lorsqu'il existe une différence d'au moins cinq ans entre le majeur et le mineur. Cela ne va pas dans le sens d'une décriminalisation des violences sur les mineurs", avait ainsi exposé le 10 janvier Océane Perona, maîtresse de conférences en sociologie à l'université d'Aix-Marseille et auteure d'une thèse sur "Le consentement sexuel saisi par les institutions pénales" (lien archivé ici).