Cette vidéo est un extrait d'un documentaire de 2008 sur le Niger et n'a rien à voir avec les jihadistes actifs dans ce pays en 2023

  • Cet article date de plus d'un an
  • Publié le 16 mars 2023 à 15:17
  • Lecture : 8 min
  • Par : Marin LEFEVRE
Un extrait d'interview de plusieurs hommes armés, tournée dans le désert, montrerait selon les internautes qui le partagent sur Facebook un "reportage de propagande" sur des "terroristes" au Niger, commandité par les forces françaises présentes dans ce pays. Cette vidéo a commencé à circuler une dizaine de jours après la visite du président Mohamed Bazoum en France, avec laquelle le Niger continue d'entretenir une coopération sécuritaire, contrairement à d'autres pays de la région qui ont récemment pris leurs distances avec Paris. Attention, cette vidéo est tirée d'un documentaire de 2008 sur la "bataille de l'uranium" au Niger et n'a aucun rapport avec les violences jihadistes qui affectent la région.

Dans cette vidéo d'une trentaine de secondes, un homme en treillis, la tête ceinte d'un turban noir, explique en français face à la caméra la provenance des armes que l'on aperçoit derrière lui, chargées à bord d'un 4x4 entouré d'autres hommes en armes. Une voix hors-champ lui demande si "toutes les armes" qu'ils détiennent proviennent "du terrain", sans davantage de détails : l'homme au premier plan confirme, précisant qu'elles ont été récupérées à l'occasion d'attaques menées contre l'"armée nigérienne".

"La Force française prétend chercher les terroristes, et pourtant elle a tous leurs contacts jusqu’à ce qu’elle envoie même des journalistes pour faire des reportages de propagandes [sic]", s'indigne l'internaute qui a publié cette séquence sur Facebook le 23 février, séquence qui cumule depuis cette date plus de 500.000 vues.

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Capture d'écran d'une publication Facebook, réalisée le 15 mars 2023

L'auteur de la publication fait référence à la coopération militaire entre le Niger et la France, maintenue par Niamey contrairement à ses voisins maliens et burkinabè qui ont demandé - et obtenu ces derniers mois - le départ des forces françaises.

Paris maintient un contingent de militaires de l'ex-opération Barkhane au Niger, et appuie notamment Niamey dans son opération Almahaou qui vise à sécuriser la frontière avec le Mali, avec 250 soldats dans un "partenariat de combat". Le Niger fait par ailleurs partie des options possibles pour le redéploiement des forces spéciales françaises, chassées du Burkina Faso voisin par la junte au pouvoir.

Un documentaire de 2008

Toutefois, la vidéo virale n'a rien à voir avec l'actuelle présence des forces françaises au Niger : elle est tirée d'un documentaire tourné en 2008 dans le nord du Niger portant sur la rébellion touareg alors engagée dans une "bataille" pour le partage équitable des revenus tirés de l'exploitation de l'uranium.

Plusieurs commentaires sous la publication virale mentionnent en effet que les images proviennent d'un "vieux film" sur "les rebelles de l'uranium". "C'est un vieux reportage (2007-2009?)", précise même un autre internaute, selon qui les hommes visibles dans la vidéo appartiennent à la "rébellion du MNJ [Mouvement des Nigériens pour la justice, ndlr] à l'époque du président Tanja [sic]". "Cette rébellion se trouve aujourd'hui dans le passé", assène-t-il, "rien à voir avec le contexte sécuritaire actuel".

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Captures d'écran de commentaires sur Facebook, réalisées le 15 mars 2023

Ce documentaire intitulé "Niger : la bataille de l'uranium" se retrouve notamment sur la plateforme Dailymotion. Il a été co-produit par France 5 et Galaxie Presse et diffusé en janvier 2009 sur France 5.

"Au nord du Niger, dans une région de plaines désertiques où est implantée Areva [aujourd'hui Orano, ndlr], le fleuron français de l'industrie nucléaire, les Touareg ont pris les armes. Leurs revendications : un partage équitable des revenus issus de l'extraction d'uranium et des conditions d'exploitation du minerai qui respectent leur mode de vie, leur santé et leur environnement", détaille la description disponible sur une version archivée du site de la chaîne.

On retrouve en effet la séquence virale de 10'42" à 11'12". Les images du documentaire sont strictement identiques à celles de la vidéo partagée par les internautes, comme en témoignent ces captures d'écran, et les hommes interrogés appartiennent bien au MNJ selon un carton apparaissant à l'écran quelques secondes avant le début de l'interview.

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Capture d'écran d'une vidéo Facebook, réalisée le 15 mars 2023
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Capture d'écran d'une vidéo Dailymotion, réalisée le 15 mars 2023

 

 

Par ailleurs, comme l'indique le logo et le nom d'utilisateur dans le coin inférieur droit de l'image, cette vidéo a d'abord été mise en ligne sur TikTok. On la retrouve sur la page de @dzzdxgzvb8z publiée en février 2022 - sans description particulière.

Dans les commentaires en revanche, de nombreux internautes semblent penser que ces images sont récentes et s'interrogent sur le fait que des "journalistes français" sachent où se rendre pour interviewer des "djihadistes".

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Capture d'écran d'une vidéo TikTok, réalisée le 15 mars 2023

Une confusion sans aucun fondement, confirme l'un des co-réalisateurs du documentaire, Stéphane Manier, contacté par l'AFP le 15 mars. "À cette époque ces rebelles n’étaient absolument pas jihadistes", précise-t-il, mais "étaient entrés en clandestinité et se battaient pour avoir une meilleure répartition des revenus liés aux mines d’uranium d'Arlit exploitées par Areva".

"Cette séquence a pu être tournée grâce aux relations qu’une des deux co-autrices entretenait avec des représentants touarègues en France, qui ont facilité les contacts et organisé l’accueil de notre équipe sur place", poursuit le journaliste. "L’armée française n’avait rien à voir avec ce reportage. Notre équipe n’était pas non plus soutenue par le gouvernement nigérien qui ignorait tout de sa venue et qui faisait son possible pour empêcher les journalistes d’aller sur place", affirme-t-il enfin.

Uranium nigérien

Le Niger est un des pays les plus pauvres de la planète malgré sa position de quatrième producteur d'uranium au monde. L'uranium nigérien représente un tiers de la production totale d'Orano, ex-Areva, qui exploite l'uranium depuis 50 ans dans le nord du pays.

Lorsque ces images ont été filmées en 2008, le pays était en proie à une rébellion touareg ayant débuté en février 2007 et réclamant une plus grande part pour les populations locales des bénéfices tirés de cette exploitation. Le Niger avait déjà connu une rébellion touareg, soldée en 1995 par des accords de paix.

Le conflit sur lequel porte ce documentaire avait notamment donné lieu à la prise d'otage de quatre collaborateurs d'Areva, le 22 juin 2008, avant leur libération quelques jours plus tard. En revendiquant le rapt, le chef du MNJ, Aghali Alambo, avait indiqué vouloir "faire passer le message qu'il est impossible de faire quoi ce soit en matière de prospection et d'exploitation avant la résolution des problèmes dans le nord". Cette seconde rébellion a combattu de 2007 à 2009 avant de finalement déposer les armes et de bénéficier d'une amnistie fin 2009.

Historiquement, le Niger a eu peu de retombées de la richesse de son sous-sol. En 2020, sa contribution au budget national n'a pas dépassé 1,2%. Le sujet a plusieurs fois tourné au bras de fer politico-économique avec l'ancienne puissance coloniale française.

En 2007, le président Mamadou Tandja avait exigé et obtenu une augmentation de 40% du prix d'achat de l'uranium par Areva. Son successeur Mahamadou Issoufou, lui-même ex-employé d'Areva, s'était indigné que son pays, quatrième pays producteur d'uranium au monde, ne tire de ce minerai que "5% des recettes du budget national", à l'époque.

"Depuis la création des sociétés minières au Niger, et jusqu’à fin 2021, l’Etat du Niger a bénéficié de 85% des retombées économiques directes des sociétés minières, constituées par la redevance minière, tous les autres impôts et taxes, et les dividendes", répondait Orano, interrogée par l'AFP en novembre.

La société française ajoutait avoir investi des dizaines de millions d'euros "dans des projets pour améliorer la santé des populations, la scolarisation des enfants, l’accès à l’eau et le développement économique des communes des zones d’implantation des sites miniers".

Avalanche de rumeurs

A l'image de cette vidéo décontextualisée, la proximité entre Niamey et Paris a suscité récemment une avalanche de rumeurs et de critiques sur les réseaux sociaux visant le Niger. De nombreuses publications ont relayé des images censées montrer un bombardement de l'armée française contre l'armée nigérienne, l’annonce d’un faux coup d’Etat à Niamey et l’exagération du bilan d'une attaque jihadiste à Intagamey, dans ce qui s'apparente, selon des sources françaises, à des attaques informationnelles coordonnées.

"Les mêmes recettes qu’au Mali et au Burkina sont employées au Niger. On assiste à une bascule d’effort pour déstabiliser le gouvernement, qui héberge des troupes françaises", fait-on valoir à Paris. "Il s’agit peut-être d’une vaste stratégie informationnelle qui vise à investir les uns après les autres les pays d’Afrique de l’Ouest pour évincer les Occidentaux dans le champ des perceptions".

Les relations entre Paris et les juntes parvenues au pouvoir à Bamako et à Ouagadougou à la suite de coups d'Etat se sont largement détériorées depuis quelques années. Celles-ci ont privilégié d'autres partenaires, notamment la Russie, sur le plan économique ou de la lutte contre les jihadistes qui sévissent dans la région.

Au Mali, ce rapprochement se matérialise entre autres par la présence du groupe paramilitaire privé Wagner - bien que la junte démente et parle d'"instructeurs russes" - alors que la France, ancienne puissance coloniale, est de plus en plus critiquée. Moscou est de son côté accusée – notamment par Paris – de mener une guerre d’influence via les médias et les réseaux sociaux pour faire valoir ses intérêts.

C’est dans ce contexte que le chef de l'État français Emmanuel Macron a annoncé récemment une refonte du dispositif militaire français en Afrique, pour tendre vers une diminution des effectifs. Cette volonté s’inscrit dans une dynamique visant à bâtir une "relation nouvelle" avec l’Afrique, a-t-il insisté lors de sa dernière tournée sur le continent début mars.

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