Approximations autour du vote pour les postes-clés de l'Assemblée nationale

Entre tractations et jeux d'influence, le récent vote des députés pour attribuer les postes-clés de l'Assemblée nationale s'est déroulé dans un climat électrique. A couteaux tirés, les partis se sont accusés mutuellement d'avoir pactisé avec leurs adversaires, quitte à colporter quelques imprécisions.

Yaël Braun-Pivet élue au Perchoir grâce au RN ?

Les conditions de désignation de la présidente de l'Assemblée nationale et de ses vice-présidents ont fait tiquer certains élus LFI, qui y ont vu le signe d'une collusion entre LREM et le RN.

Dans un tweet viral, le député insoumis Antoine Léaument a ainsi affirmé que le parti d’extrême droite "avait permis de faire gagner" la macroniste Yaël Braun-Pivet, première femme à décrocher le Perchoir, et que le RN avait obtenu deux postes de vice-président à la faveur d'un accord avec LREM et LR.

L'affirmation concernant l'élection de Mme Braun-Pivet est toutefois contestable.

Aux termes du règlement de la chambre basse, le président de l’Assemblée nationale est élu par ses pairs lors d’un vote à bulletins secrets et à l'issue d’une procédure divisée en plusieurs étapes.

Dans une première phase, il faut, pour être élu, réunir la majorité absolue des suffrages exprimés. Si ce seuil n’est pas atteint lors du premier ou deuxième tour de scrutin, un troisième tour se tient et le vainqueur doit alors seulement obtenir la majorité relative.

Mardi 28 juin, Yaël Braun-Pivet est arrivée en tête du premier tour avec 238 voix sur 567 exprimés, sans donc toutefois obtenir la majorité absolue de 284. Elle a notamment distancé l’insoumise Fatiha Keloua-Hachi (146 voix) et le candidat du RN Sébastien Chenu (90 voix).

Un deuxième tour a donc dû être organisé et Mme Braun-Pivet a bénéficié d’un concours de circonstances très favorable: M. Chenu a décidé de retirer sa candidature et seuls 462 suffrages ont été exprimés. En récoltant 242 voix, la candidate macroniste a ainsi pu atteindre la majorité absolue et emporter le scrutin.

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Yaël Braun-Pivet le 28 juin à l'Assemblée, après son élection au perchoir. ( AFP / CHRISTOPHE ARCHAMBAULT)

Il est toutefois inexact d’affirmer que Marine Le Pen a "fait gagner" la candidate macroniste, dont l’élection lors d’un éventuel troisième tour n’aurait fait aucun doute étant donné les rapports de force à l’Assemblée où la coalition présidentielle dispose d'une majorité relative de 250 sièges.

Il est en revanche vrai que le parti d’extrême droite a, en retirant sa candidature, évité à Mme Braun-Pivet de disputer un troisième tour, comme l’a reconnu Marine Le Pen.

"On peut tourner ça comme on veut, (Mme Braun-Pivet, ndlr) aurait été élue", a-t-elle déclaré sur franceinfo mercredi 29 juin, assurant avoir voulu éviter une perte de temps inutile. "C’était inéluctable. Autant que l’opération se fasse rapidement".

Ainsi que le laisse entendre M. Léaument, les suspicions de collusion RN-LREM ont en revanche été renforcées par la désignation des vice-présidents de l’Assemblée nationale le 29 juin.

Deux d’entre eux issus du RN – Sébastien Chenu et Hélène Laporte – ont obtenu respectivement 290 et 284 suffrages, soit bien davantage que les 89 voix des députés d’extrême droite. Si les votes sont à bulletins secrets, le rapport de forces à l’Assemblée implique mathématiquement qu’ils ont bénéficié de l'apport de députés macronistes.

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Commission des Finances : Eric Coquerel élu "en raison" des LR ?

Eric Coquerel, député LFI de Seine-Saint-Denis, a été élu pour un an président de la commission des Finances de l'Assemblée nationale, un poste éminemment stratégique, obtenant la majorité des voix après trois tours de scrutin.

Ce poste, qui est réservé à l'opposition depuis 2007, permet d'examiner les projets de budgets avant leur arrivée dans l'hémicycle et certains autres textes comme le projet de loi sur le pouvoir d'achat, attendu en juillet. La présidence offre également l'accès à des informations couvertes par le secret fiscal, sans toutefois permettre de les dévoiler. Le mandat court pour un an, comme toutes les présidences de commissions permanentes.

Son élection a suscité l’ire du Rassemblement national, qui convoitait le siège.

"Les masques tombent : les députés LR ont préféré Eric Coquerel et l’extrême-gauche à un gaulliste du RN pour présider la stratégique commission des Finances", a déclaré Jordan Bardella.

"Les Républicains portent une responsabilité intégrale dans cette situation (…) car ils avaient la possibilité de faire autrement", a lancé Marine Le Pen, leur reprochant d’avoir "refusé (un) accord qui avait été envisagé et qui permettait grâce à une présidence tournante d’éviter de confier cette place si sensible à M. Eric Coquerel".

La commission des Finances comporte 73 membres. Les 32 députés de la majorité n’ont pas pris part au scrutin, ce qui n’est pas une obligation mais plutôt un usage dans l’histoire récente. Il restait donc 41 députés votants : 20 Nupes, 11 RN, 8 LR et 2 députés du groupe Liberté, indépendants, outre-mer et territoires (Liot). Et chacun des groupes a présenté un candidat.

Même en cas d'accord entre les deux formations, les seules voix des députés du groupe Les Républicains n’auraient pas été suffisantes pour faire élire le candidat RN. Il lui aurait aussi fallu recueillir les voix des deux députés du groupe Liot.

Ce groupe réunit notamment des élus d'Outre-mer, des nationalistes corses et des centristes. Plusieurs députés de l'UDI, formation de centre droit qui n'a pas assez d'élus pour retrouver un groupe distinct, s'y sont également joints.

Au vu des forces en présence et avec l'abstention de la majorité, Eric Coquerel est naturellement arrivé en tête au premier puis au deuxième tour, devant Jean-Philippe Tanguy pour le RN, Véronique Louwagie pour LR et Charles de Courson pour Liot. Mais pour ces deux tours, la majorité absolue était nécessaire et aucun candidat n'a réussi à l'obtenir. Il a donc fallu passer par un 3e tour.

Le député Liot Charles de Courson a choisi de retirer sa candidature pour ce tour décisif et a voté pour la candidate LR, qui s’est maintenue. Contacté par l'AFP, le député a expliqué avoir retiré sa candidature car "elle n'avait plus de sens", regrettant qu'aucun député de la majorité n'ait pris part au scrutin. Il a également écarté toute idée d'accord avec le RN sur le scrutin.

Au troisième tour, Eric Coquerel a en plus de cela bénéficié d'une voix supplémentaire et a fini par s’imposer avec 21 voix contre 11 pour le candidat RN Jean-Philippe Tanguy et 9 pour la LR Véronique Louwagie. La somme des voix récoltées par LR et du RN n’aurait donc pas suffi, comme l'ont martelé plusieurs responsables de LR dont leur nouveau chef de file à l'Assemblée, Olivier Marleix.

"Je suis élu (président) de toute la commission des Finances", a déclaré Eric Coquerel peu après son élection, précisant que "ce que porte la Nupes aura des implications dans la façon dont (il) appliquera (son) mandat".

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Eric Coquerel, le 21 juin à Paris. ( AFP / JULIEN DE ROSA)

L'élection de Coquerel "illégitime du point de vue du règlement"?

Candidat malheureux à la présidence de la Commission des finances, le député RN Jean-Philippe Tanguy a assuré que l'élection de son rival Eric Coquerel était "illégitime du point de vue du règlement" de l'Assemblée nationale.

"L’usage républicain qui avait constamment été appliqué et qui consistait à ce que le principal groupe d’opposition, désigné comme tel par les électeurs, ait la présidence de la commission des Finances n’a pas été respecté pour la première fois et c’est très grave", a déclaré M. Tanguy sur BFMTV, assurant que la présidence des insoumis était "illégitime du point de vue du règlement".

C'est toutefois imprécis. Ce poste stratégique est donc réservé à un élu de l'opposition mais le règlement de l'Assemblée ne spécifie à aucun moment qu'il doit appartenir au plus important groupe d'opposition, la Nupes, alliance de quatre groupes, et le RN se disputant par ailleurs le statut de plus grande force d'opposition.

L'article 39, alinéa 3, du règlement de l'Assemblée indique simplement que le poste doit échoir à "un député membre d'un groupe s'étant déclaré d'opposition".

Dans ses déclarations, M. Tanguy a par ailleurs jugé "affligeant" que la majorité n’ait "pas voulu prendre part au vote". Or, comme nous l'indiquions plus haut, l'usage républicain veut précisément que le camp majoritaire s'abstienne de prendre position afin que ce soit un élu de l'opposition qui obtienne la majorité des suffrages exprimés.

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