Législatives: la charte obligeant les candidats LREM à soutenir les promesses d'Emmanuel Macron est-elle constitutionnelle ?

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  • Publié le 17 mai 2022 à 16:50
  • Mis à jour le 18 mai 2022 à 11:22
  • Lecture : 8 min
  • Par : Juliette MANSOUR, AFP France
Alors que les candidats investis par la majorité présidentielle aux élections législatives ont dû signer une charte les engageant à soutenir "l'ensemble des engagements pris par le président", de nombreux internautes dénoncent une mesure "inconstitutionnelle". Selon eux, contraindre des députés de cette manière irait à l'encontre de l'article 27 de la Constitution, qui dispose que "tout mandat impératif est nul". Mais l'instauration d'une charte, pratique qui n'est ni nouvelle ni cantonnée aux candidats de la majorité, n'est qu'un engagement politique et moral vis-à-vis de leur parti, estiment quatre constitutionnalistes interrogés par l'AFP. Elle n'a aucune valeur juridique pour un député.

A moins d'un mois du premier tour des élections législatives, les candidats de la majorité présidentielle ont dû, comme condition préalable à leur investiture, se rattacher officiellement à la formation de la majorité présidentielle Ensemble!, mais aussi signer une charte de 12 engagements.

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La charte des candidats d'Ensemble

Ce document contient des dispositions sur l'exemplarité des candidats, leur implication sur des sujets de laïcité ou d'écologie.

Mais surtout, il dispose que les députés candidats doivent soutenir "l'ensemble des engagements pris par Emmanuel Macron devant les Françaises et les Français dans le cadre des deux tours de l'élection présidentielle".

Une mesure qui a suscité de nombreuses critiques, conduisant même certains internautes à affirmer que cette obligation se heurterait à la Constitution.

"INCONSTITUTIONNEL. Les candidats investis par Macron pour les législatives ont dû signer, avant ce jeudi 20H, une Charte leur interdisant, s'ils sont élus, de s'opposer aux réformes comme la retraite à 65 ans. Or la Constitution, article 27, pose que TOUT MANDAT IMPÉRATIF EST NUL", a écrit le 12 mai le président de l'Union populaire républicaine (UPR) François Asselineau, dans un tweet partagé plus de 4.600 fois.

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Capture d'écran prise sur Twitter le 17/05/2022

Son message s'accompagne d'une capture d'écran d'un article de BFM et d'un extrait de l'article 27 de la Constitution.

Dans un second tweet, il a finalement estimé "probable" que cette charte n'ait "aucune valeur juridique", mais son premier tweet a continué à circuler sans cette précision, partagé au total des milliers de fois sur Twitter et Facebook (1, 2).

Le blog Le Courrier du soir a, de son côté, écrit un article intitulé "Scandale : une charte oblige les députés de la majorité à accepter toutes les décisions de Macron au 2nd mandat".

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Capture d'écran prise sur Twitter le 17/05/2022
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Capture d'écran prise sur le site Le Courrier du Soir le 17/05/2022

 

 

Quelle valeur a ce document?

Pour s'assurer de la loyauté de leurs futurs députés, il est fréquent que des formations politiques réclament la signature de tels documents.

En 1958, comme l'a retrouvé Public Sénat, les députés gaullistes de l’Union pour une nouvelle République (UNR) avaient déjà dû parafer un "engagement de fidélité" attestant qu'ils suivraient "la discipline de vote décidée par la majorité du groupe".

Aujourd'hui, des consignes de loyauté n'ont pas seulement été données aux candidats investis par la majorité présidentielle.

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A gauche, la charte de l'Union populaire, à droite celle des Républicains.

Dans la charte de l'Union populaire, publiée en novembre 2021 avant la récente constitution de la Nupes (Nouvelle union populaire écologique et sociale), il est ainsi indiqué que les députés devront "respecter la discipline de vote du groupe lorsqu’une décision collective a été prise conformément au programme l'Avenir en Commun", porté par Jean-Luc Mélenchon. 

Celle des Républicains prévoit que les élus s'engagent à "respecter scrupuleusement (...) pour ces élections législatives et pour la suite du quinquennat, la position adoptée par [le] mouvement".

"Une laisse de papier"

Pour autant, "lorsqu'on signe une telle charte, ce n'est pas une obligation constitutionnelle ou une obligation juridique que l'on signe. En réalité, c'est un engagement politique et moral auprès de son parti", a expliqué le 16 mai à l'AFP Jean-Philippe Derosier, constitutionnaliste et professeur de droit public à l'Université de Lille.

"C'est vraiment une laisse de papier qui n'a aucune valeur juridique. Dans le cas des procédures disciplinaires internes à l'Assemblée nationale, un parti ne pourrait pas invoquer le non-respect d'une charte car ce serait contraire à l'article 27 de la Constitution", a abondé auprès de l'AFP Charles-Edouard Sénac, professeur de droit public à l'université de Bordeaux.

L'article 27 de la Loi fondamentale prévoit en effet que "tout mandat impératif est nul" et que "le droit de vote des membres du Parlement est personnel".

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Capture d'écran prise le 17/05/2022 sur le site de l'Assemblée nationale

L'Assemblée nationale précise encore sur son site qu'"aucune injonction à agir dans tel ou tel sens ne peut être adressé" aux députés.

"Historiquement, les 'mandats impératifs' désignaient les consignes adressées par les électeurs aux élus mais on l'a élargi de manière générale à des consignes adressées par des autorités telles que des partis politiques, comme dans le cas présent", poursuit Charles-Edouard Sénac.

"Les contrats ou obligations des parlementaires au regard du parti depuis tous temps existent. Mais ça reste un contrat moral entre l'élu et le parti c'est-à-dire qu'un député, une fois élu, peut quitter un groupe parlementaire absolument quand il le souhaite, et peut voter selon son envie", rappelle Lauréline Fontaine professeure de droit public à la Sorbonne nouvelle.

En 2017, 314 députés avaient ainsi été élus sous l'étiquette LREM avant que départs et transfuges ne fassent fondre ce chiffre à 267 en fin de législature.

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Composition de l'Assemblée nationale sortante, avant les élections législatives des 12 et 19 juin ( AFP / Kenan AUGEARD)

Tout au plus, un député ne peut donc recevoir que des sanctions internes de son groupe ou parti : avertissement, blâme, suspension temporaire, voire exclusion temporaire ou définitive.

En 1998, six parlementaires de la gauche, dont Julien Dray et Jean-Luc Mélenchon, avaient par exemple reçu un blâme pour s'être abstenus ou opposés au passage à l'Euro.

Les exclusions, elles, restent rares. Depuis 2017, seuls quatre députés LREM ont été bannis sur décision du parti pour cause de graves manquements ou divergences insurmontables.

Discipline de vote

Si les députés n'ont donc aucune obligation à suivre la ligne politique de leur parti ou groupe parlementaire une fois élus, ils peuvent avoir intérêt à se conformer aux décisions de leur parti pour d'autres raisons.

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L'Assemblée nationale le 5 janvier 2022 ( AFP / BERTRAND GUAY)

"Un député non-inscrit, donc un' électron libre', aura beaucoup plus de mal à avoir la parole ou déposer une proposition de loi. Donc, un député a plutôt intérêt à faire partie d'un groupe et faire des concessions pour s'inscrire dans la ligne que le groupe promeut", estime Mathilde Philip-Gay, professeure de droit à l'Université Jean-Moulin-Lyon-3.

Une fois dans un groupe parlementaire, des contraintes s'appliquent. "Généralement, quand il y a un vote, le responsable de groupe demande à ses députés de venir pour voter comme il l'entend. Donc la 'discipline de vote' existe déjà sans charte au sein d'un groupe politique et a fortiori quand il est de la majorité", poursuit la spécialiste.

"Le concept même de 'frondeur' montre qu'il n'y a pas, en France, de culture d'indépendance partisane comme ça peut exister aux Etats-Unis où les membres du parlement sont beaucoup plus libres de leur choix", souligne également Charles-Edouard Sénac.

Cette loyauté peut aussi s'expliquer par des enjeux financiers.

Le financement public est la ressource principale des partis. Les élections législatives en sont le pivot au moyen d’un système à double niveau. Une première aide est versée aux partis qui ont présenté des candidats ayant obtenu au moins 1% des voix dans au moins 50 circonscriptions. Chaque voix rapporte 1,64 euro par an.

L’autre aide est versée aux partis auxquels s’est rattaché au moins un député ou sénateur. Chaque parlementaire rapporte 37.200 euros par an.

Et contrairement à la Nupes, composée de LFI, du PS, de EELV et du PCF, c'est la confédération Ensemble! qui disposera d'une seule et même association de financement pour toute la majorité présidentielle, et qui la répartira entre les différents partis qui la composent.

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Mode de scrutin aux élections législatives ( AFP / Sylvie HUSSON, Valentina BRESCHI)

"La majorité a eu ce côté astucieux --ou pervers-- de dire qu'Ensemble! est l'association de financement qui redistribuera les fonds reçus au Modem, à LREM et à Horizon", relate Jean-Philippe Derosier.

Or, "quand on tient les cordons de la bourse on maîtrise quand même pas mal de choses : si un député s'écarte de la ligne politique, Ensemble pourra ne pas reverser une partie de la subvention à laquelle le parti a droit".

Un rapport sénatorial alertait déjà sur ce phénomène en 2020 en pointant que "la concentration de l'aide publique aboutit à des niveaux de soutien qui peuvent poser problème au regard de l'objectif majeur de cette aide : la préservation du pluralisme politique".

En date du 17 mai, la plupart des députés de la majorité sortants ont été investis et 553 des 577 circonscriptions étaient pourvues, avec l'appui de quelques transfuges.

18 mai 2022 Ajoute formulaire de contact. Modifie illustration de la charte
17 mai 2022 Clarifie formulation sur le financement des partis politiques au sein d'une coalition

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