Université de Caen en mars 2020 (AFP / Sameer Al-doumy)

Y a-t-il des prières dans "les couloirs" des universités, comme l'assure un sénateur LR ?

Dans une séquence abondamment relayée sur Twitter, un sénateur LR a assuré qu'il fallait "refuser la pratique des prières dans les couloirs des universités" et a fait adopter un amendement en ce sens dans le cadre de l'examen du projet de loi contre le "séparatisme". Des acteurs du monde universitaire interrogés par l'AFP parlent toutefois d'un phénomène ultra-minoritaire et de récents rapports sur la laïcité à l'université n'en font pas spécifiquement mention, tout en relevant des tensions liées au fait religieux.

A l'initiative des élus Les Républicains (LR), plusieurs amendements au controversé projet de loi contre le "séparatisme" ont été adoptés au Sénat dans la nuit de mardi à mercredi mais seul l'un d'eux a fait beaucoup parler de lui : celui proscrivant tout exercice du culte au sein des établissements publics de l'enseignement supérieur.

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Capture d'écran de l'amendement n°630 sur le site du Sénat.

En prenant la défense de ce texte au Sénat, où les élus LR sont majoritaires, le sénateur de Maine-et-Loire Stéphane Piednoir a, devant l'hémicycle, assuré que cet amendement visait notamment à répondre aux prières qui auraient lieu dans les couloirs des universités.

"Je trouve que nous devons refuser la pratique des prières dans les couloirs des universités", a-t-il expliqué. "L'exercice du culte dans un lieu inapproprié ne me semble pas acceptable dans notre République. C'est le sens de la précision de l'amendement que nous examinerons tout à l'heure" 

"C'est un phénomène constant, plusieurs fois recensé", a-t-il ajouté, assurant disposer d'"éléments factuels de pratique du culte dans des endroits inappropriés" . Ces déclarations ont provoqué l'émoi notamment sur les bancs de la gauche, comme l'expliquait cette dépêche de l'AFP.

Publié le 6 avril sur son compte Twitter, l'extrait de son intervention diffusée par Public Sénat a, depuis, été partagé plus de 5.500 fois et suscite de nombreux commentaires, certains pour exprimer un soutien et beaucoup pour s'étonner d'une telle disposition, qui pourra être supprimée par les députés dans la suite de la navette parlementaire.

Dans un passage qui n'apparaît pas dans l'extrait de Public Sénat mais que l'AFP a pu visionner, M. Piednoir précise sa pensée: "Lors de mes auditions, il m'a été donné à constater que des pratiques absolument inacceptables se passaient pas seulement dans les salles de cours, pas seulement dans les amphis, dans les couloirs également". 

Déjà soupçonnée par l'exécutif d'être un foyer de "l'islamo-gauchisme", l'université serait donc également le théâtre de prières sauvages qui se tiendraient jusque dans ses "couloirs".

Interrogé jeudi 8 avril par l'AFP, le vice-président de la Conférence de présidents d'universités (CPU), association qui rassemble les dirigeants des établissements de l'enseignement supérieur, a fait part d'un certain étonnement.

"Nous n'avons pas été informés, nous au niveau de la CPU, de cas particuliers qui pourraient poser problème", a expliqué Guillaume Gellé, par ailleurs président de l'Université de Reims Champagne-Ardenne.

"II est possible qu'il y ait quelques cas qui soient de cet ordre et si le sénateur est intervenu, c'est qu'il a sûrement des éléments qui attestent qu'il y a de possibles cas, mais on peut regretter, dans cette intervention comme dans d'autres, que cela généralise à un ensemble d'établissements et que ça laisse penser que c'est quelque chose de très répandu", a-t-il ajouté.

"Ce qu'on regrette, ce sont les amalgames qui sont faits à partir de cas particuliers. La pratique de la prière dans les couloirs est un cas particulier - si elle existe, parce que nous n'en avons jamais été saisis", a-t-il assuré, rappelant que tout exercice du culte était proscrit à l'université aux termes notamment de l'article L141-6 du code de l’éducation.

Publié en 2015, le guide de la CPU sur la laïcité dans l'enseignement supérieur abordait le sujet de front en reconnaissant des atteintes et pressions liées à la religion, mais sans jamais évoquer de prières qui déborderaient dans les couloirs des établissements. 

Ce document évoquait ainsi le fait que des étudiants aient amené des tapis de prière dans les salles d'examen "pour se prosterner aux moments idoines", en violation des règles interdisant le prosélytisme religieux dans des établissements de service public.

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Capture d'écran du rapport de la CPU

Il relayait également la crainte de voir des associations "avançant masquées" pour obtenir des locaux sous couvert d'actions humanitaires ou caritatives, avant de montrer leur "vrai visage" et d'utiliser les lieux à "des fins de prosélytisme religieux et de culte".

L'Observatoire de la laïcité, qui consacra en 2015-2016 une partie de son rapport annuel aux universités, avait alors lui aussi relevé des "incidents isolés" liés à la religion mais sans évoquer spécifiquement des offices sauvages dans les couloirs.

Ce document, fondé sur des questionnaires soumis aux 130 établissements de l'enseignement supérieur français, avait simplement relevé "une vingtaine de cas" où l'occupation d'un espace universitaire pour des faits religieux avait entraîné des "litiges". Des syndicats s'étaient ainsi inquiétés "de la destination de certaines salles attribuées à des associations se présentant comme culturelles ou sociales", notait cette instance consultative, aujourd'hui critiquée par le gouvernement pour son supposé laxisme.

Premier syndicat dans le supérieur, la Fage n'a, elle non plus, pas eu vent de prières dans les couloirs des universités.

"A moins que je sois à côté de la plaque, je n'ai pas eu de remontées pour l’instant depuis ma prise de fonctions" en septembre dernier, a déclaré son président Paul Mayaux, joint par l'AFP le 7 avril. "La question des prières dans les couloirs, c'est la première fois que j'entends ça".

"Les jeunes ont, en ce moment, plus de préoccupations sur la façon dont ils vont pouvoir se nourrir, se loger et suivre leurs cours à distance", a-t-il ajouté, en référence à la crise sanitaire qui plonge de nombreux étudiants dans la grande précarité.

Sollicité mercredi 7 et jeudi 8 avril, le ministère de l'Enseignement supérieur n'a pas souhaité s'exprimer sur le sujet.

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Dans un amphi de Rennes-1, en février 2021. (AFP / Damien Meyer)

Contacté jeudi 8 avril par l'AFP, le sénateur Piednoir maintient ses déclarations et affirme avoir été le destinataire de "signalements" tout en reconnaissant que ce phénomène de prière dans les couloirs n'était pas "généralisé".

"C'est un phénomène qui existe et qui est concentré sur un petit nombre d'universités,  ce qui peut expliquer que dans la majeure partie des cas, les acteurs de l'université disent: +non, nous on n'est pas confrontés à ce problème+, ce qui est la vérité", détaille-t-il.

Il reconnaît qu'il n'y a pas "beaucoup d’exemples" mais "un nombre suffisant pour qu'on s'en empare" afin que la loi vienne appuyer les règlements intérieurs dont se dotent les universités, et qui sont susceptibles de recours devant les tribunaux administratifs.

Appelé par l'AFP à citer des exemples de prières dans les couloirs des facs, le sénateur s'est notamment référé au rapport de l'Observatoire de la laïcité de 2015-2016 --qui n'en fait toutefois pas explicitement mention-- et aux déclarations d'un professeur associé à Paris-13 en décembre 2019 devant une commission d'enquête sénatoriale sur la radicalisation islamiste.

"En tant qu'universitaire à Paris 13, où j'enseigne, tous les vendredis je ne sais pas si je suis dans une université ou dans une mosquée. Les jeunes filles portent de manière ostentatoire non seulement le voile islamique, mais carrément le hijab et le niqab. Et personne ne peut changer cette réalité alors qu'elle devient de plus en plus visible", avait assuré Youssef Chiheb, selon le compte-rendu de son audition où n'apparaît toutefois pas de référence à des prières dans les couloirs.

Le service de presse du sénateur renvoie lui à deux articles de presse. L'un de janvier 2016 de Paris-Normandie où le président de l'Université de Rouen rappelle les principes de laïcité après que des étudiants "isolés" eurent été, selon le journal, "surpris en prière dans les couloirs du pôle Pasteur"; le second paru en 2017 dans le Figaro rappelait qu'une étudiante lilloise avait été aperçue en 2013 en train de prier dans les toilettes de son université. Sanctionnée par son établissement, elle avait finalement été relaxée en appel, selon le Figaro.

Après recherches, l'AFP peut donc dire qu'il s'agit à tout le moins d'incidents extrêmement rares et circonscrits, même s'ils témoignent de tensions qui traversent l'université.

"Malheureusement, souligne Paul Mayaux, on a l'impression que la question de l'affrontement entre le politique et le confessionnel se cristallise autour de l'université et ça dérange un peu parce qu'il y a d'autres sujets prioritaires pour les étudiants qui n'avancent pas".

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