Violences conjugales: faut-il un ordre d'huissier aux gendarmes pour escorter une femme à son domicile ?

  • Cet article date de plus d'un an
  • Publié le 04 septembre 2019 à 19:30
  • Mis à jour le 05 septembre 2019 à 17:12
  • Lecture : 3 min
  • Par : François D'ASTIER
Une conversation téléphonique entre une femme accusant son mari de violences conjugales, un gendarme et une écoutante du 39.19 mardi 3 septembre 2019, a suscité de nombreuses réactions sur les réseaux sociaux. Lors de ces échanges, le gendarme refuse de raccompagner la femme à son domicile pour récupérer des affaires car "il faut un ordre d'huissier". Faux, expliquent à l'AFP un magistrat honoraire et une huissière de justice.

Mardi 3 septembre, le jour de l'ouverture du Grenelle contre les violences conjugales à Matignon, Emmanuel Macron a passé deux heures dans les locaux parisiens où travaillent des écoutants du 39.19, ligne téléphonique consacrée aux femmes victimes de violences.

Le chef de l’État a écouté l'appel d'une femme affirmant être menacée par son mari. L' AFP a raconté cet échange dans un reportage.

"Vous êtes à la gendarmerie ? Vous êtes en danger, votre mari est au domicile. Les gendarmes peuvent vous accompagner", dit l'écoutante du 3919 à cette femme. Selon les propos rapportés par la journaliste de l'AFP, le gendarme refuse et se justifie au combiné: "il faut un ordre d'huissier et ce n'est pas dans le code pénal".

Un tel ordre "ne fait pas partie de la panoplie d'actes" des huissiers de justice, explique mercredi à l'AFP Christine Valès, membre du bureau national de la Chambre des commissaires de justice et secrétaire de la section huissiers de justice.

"La seule chose que l'on peut faire, c'est un constat", souligne Mme Valès. "Si on constate que le conjoint est au domicile conjugal et refuse l'accès, on le signale au juge qui, à la lecture du dossier, peut décider de l'intervention de la force publique et d'un serrurier", détaille-t-elle.

Par ailleurs, si le conjoint refuse l'accès du domicile à la force publique et en l'absence d'autorisation du juge, "les gendarmes peuvent tout à fait rester devant et s'il y a un problème à l'intérieur, intervenir dans le cadre d'une procédure de flagrance",  explique à l'AFP Luc Frémiot, ancien procureur de Douai (Nord) célèbre pour son combat contre les violences faites aux femmes.

"Au gendarme de la protéger"

Alors que l'échange téléphonique s'éternise, Emmanuel Macron glisse à l'écoutante quelques arguments par écrit pour tenter de convaincre le gendarme : "C'est au gendarme de la protéger dans un contexte où le risque est évident".

"Rien ne s'oppose à ce que des gendarmes ou des policiers accompagnent une femme qui est en potentiel danger à son domicile", assure Luc Frémiot. "Cela relève de l'élémentaire devoir de protection qu'ont les services de police et de gendarmerie vis-à-vis des gens", ajoute-t-il.

Par ailleurs, "il y a des réponses positives à ce type de demande", relève Françoise Brié, directrice générale de la Fédération Nationale Solidarité Femmes, qui a fondé et gère le 39.19 depuis 1992. Toutes les missions de protection sont prises au cas par cas et ne sont pas systématiques.

Dans la foulée de la publication de cet échange dans la presse, la gendarmerie nationale a annoncé mardi soir l'ouverture d'une enquête administrative pour déterminer les circonstances de cette prise en charge "qui apparaît défaillante" et "en totale opposition" avec la charte d'accueil des victimes de violences conjugales de la gendarmerie.

Selon les premiers éléments de l'enquête, cette femme avait déjà été escortée une première fois par les gendarmes à son domicile fin juillet lors de son déménagement en présence de son mari et tout"s'était déroulé dans le calme", a précisé mercredi à l'AFP une source proche du dossier. 

Son mari, entendu à la suite d'une plainte pour violences par conjoint avec ITT inférieure à 8 jours et menaces de mort, est convoqué devant un délégué du procureur mi-septembre. Sa femme a déposé le 27 août une nouvelle plainte contre lui pour injures, précise-t-on de même source.

Le 3 septembre, elle se présente à la brigade de gendarmerie, pour être escortée une nouvelle fois à son domicile pour y récupérer des livres et des bijoux. Les gendarmes refusent. Elle contacte alors le 39.19.  

"Une intervention des forces de l'ordre est toujours décidée en fonction du contexte. S'il existe un indice de danger même minime alors une escorte est envoyée", affirme à l'AFP un haut-gradé de la gendarmerie.

Toujours selon l'enquête, le mari de la plaignante a déménagé du domicile, qui a été mis en vente.

Le ministère de l'Intérieur a recensé 121 féminicides pour toute l'année 2018, soit un tous les trois jours.

Nouvelles places d'hébergement d'urgence, "procureurs référents spécialisés", possibilité de déposer plainte à l'hôpital: le gouvernement a annoncé mardi 3 septembre, à l'ouverture du "Grenelle contre les violences conjugales", des premières mesures pour endiguer ce fléau, suscitant des réactions mitigées chez les associations.

Vous souhaitez que l'AFP vérifie une information?

Nous contacter