Vidéo d'un tanker accosté en mer d'Oman: ce que l'on peut en dire
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- Publié le 14 juin 2019 à 21:54
- Lecture : 6 min
- Par : François D'ASTIER, Sylvie LANTEAUME, Paul RAYMOND, Valérie LEROUX
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Le Commandement central américain (Centcom) a publié jeudi une vidéo qu'il présente comme étant l'accostage d'un méthanier japonais, le Kokuka Courageous, par une vedette des Gardiens de la Révolution, l'armée idéologique du régime iranien, dont l'équipage retirerait une mine non explosée de la coque. Selon le Centcom, la scène a été filmée à 16h10 locales.
Que font les individus sur la vidéo ?
Difficile à dire tant la qualité de la vidéo est mauvaise... Il n'y a aucune incrustation de données de localisation et de datage (timestamp) dans l'extrait comme cela peut parfois être le cas lors de prises de vue militaires.
La Marine américaine a confirmé à l'AFP que la scène a été filmée depuis les airs, sans en dire davantage.
Dans les premières secondes de la vidéo, un individu semble retirer un objet du bateau.
"Un bateau de patrouille (...) des Gardiens de la Révolution a approché le M/T Kokuka Courageous et a été observé et enregistré en train de retirer une mine ventouse qui n'avait pas explosé", a déclaré le Commandement central américain.
Un autre plan, légèrement zoomé, montre la vedette, longue de 10 à 15 mètres (30 à 50 pieds), qui s'éloigne du gros navire. Avant, un autre plan apparaît montrer une mitrailleuse sur le petit bateau.
Ce que l'on sait des événements de jeudi
Deux pétroliers, le Front Altair, propriété d’un armateur chypriote d’origine norvégienne, et un japonais, le Kokuka Courageous, ont été attaqués jeudi en mer d'Oman, dans un passage maritime stratégique, entre les Emirats arabes unis et l'Iran.
Les autorités maritimes norvégiennes ont fait état de trois explosions à 6h03 à bord du Front Altair, précisant qu'aucun membre de l'équipage n'avait été blessé.
La Cinquième flotte des Etats-Unis basée à Bahreïn a fait état de deux appels de détresse: à 06h12 locales en provenance du Front Altair et 07h00 locales du Kokuka Courageous.
La société propriétaire du navire japonais a affirmé qu'il avait été touché par un "objet volant", selon des témoins, avant une autre explosion à bord.
Le porte-parole de la marine américaine a quant à lui déclaré qu'à la suite d'une première explosion, les 21 marins du Kokuka Courageous ont abandonné le navire après la découverte sur la coque d'une mine ventouse qui n'avait pas explosé.
Il a précisé qu'ils avaient été récupérés par un remorqueur néerlandais avant d’être transférés sur l'USS Bainbridge, un destroyer américain.
Le flou demeure sur ces quatre derniers événements, en lien avec la vidéo. Par ailleurs il est impossible, à ce stade, d'affirmer avec certitudes si la vidéo a été filmée avant ou après l'évacuation de l'équipage.
À 22h20 locales jeudi, le commandement central américain a publié un article incluant la vidéo.
Press TV, la télévision d'Etat iranienne, a affirmé dans un tweet vendredi matin que les Gardiens de la Révolution iranienne étaient "les plus proches du site de l'incident". "L'Iran était le premier à se rendre sur place pour sauver les membres d'équipage", précise le tweet.
Facts: #IRGC was the closest force near the incident site. #Iran was the first to rush to the scene to save the crew members.
— Press TV (@PressTV) 14 juin 2019
Do you think Pentagon footage proves #Washington’s claim of Iran’s “involvement”?#SeaofOman #TankerAttack #PersianGulf #MiddleEast #OilTanker pic.twitter.com/g946fdbuR6
Le navire "accosté" sur la vidéo est-il le Kokuka Courageous ?
Plusieurs indices permettent de le penser. Le navire se trouvait bien jeudi en mer d'Oman, comme l'indique le site spécialisé Marinetraffic et comme l'a confirmé l'armateur japonais dans cette dépêche.
Le Centcom a mis en ligne deux photos montrant un navire qu'il présente comme le Kokuka Courageous, pointant des dommages et une "mine probable" ("likely mine") sur sa coque. Selon la légende des deux clichés, ces deux photos auraient été prises le jeudi 13 juin alors que le USS Bainbridge approchait du méthanier japonais.
Une photo de l'arrière du Kokuka Courageous, disponible sur le site spécialisé Marinetrafic, permet de confirmer que le navire photographié est bien le méthanier japonais (nombre d'étages identique, même installation pour le canot de sauvetage, même inscription sur la poupe…)
Reste toutefois à déterminer si le navire sur la vidéo diffusé par le Centcom est bel et bien le même… ce qui est plus délicat.
Le groupe d'investigation Bellingcat a augmenté le contraste sur la vidéo du Centcom et diffusé le résultat sur Youtube. On y voit la silhouette d'un individu manipuler la coque d'un navire au niveau de ce qu'indiquerait la flèche rouge pointant une "mine probable" sur la photo du Centcom. Les hublots, la croix blanche laissent également penser qu'il s'agit du Kokuka.
La vedette "accostante" est-elle une vedette rapide des Gardiens de la Révolution, comme l'affirme le Centcom ?
Des utilisateurs de Twitter ont relevé des similitudes frappantes entre la vedette accostant le Kokuka et les vedettes iraniennes.
#IRGC Gashti-class patrol boat can be seen here for comparison. #Iran pic.twitter.com/RPnjwfSGO7
— Aurora Intel (@AuroraIntel) 14 juin 2019
You can simply see here that #IRGC Navy Special Forces used one of their fast boats to sail toward the damaged Oil tanker and destroy the evidence of their attack which was one of the two Limpet Mines those they had attached to the ship while it was passing the #HormuzStrait. pic.twitter.com/Oekc0UcrUZ
— Babak Taghvaee (@BabakTaghvaee) 14 juin 2019
On peut retrouver l'image en haut à gauche utilisé dans le tweet ci-dessus, dans un article de 2016 de la télévision d'état iranienne Press TV. L'article présente les bateaux comme des vedettes de l'armée iranienne. Une vidéo de Press TV, relayée par Bellingcat montre d'autres images de ces vedettes en plein jour.
Que disent les experts ?
L'analyste Ali Ansari, expert du Moyen-Orient à l'université de Saint-Andrews en Ecosse, met en garde contre des conclusions hâtives sur cette vidéo.
"Les conséquences peuvent être importantes donc on ne devrait pas se dépêcher à tirer des conclusions", a-t-il dit.
Jean-Pierre Maulnay, directeur adjoint de l'Institut de relations internationales et stratégiques à Paris, estime que la video est "inexploitable".
Selon lui, les personnes à bord du bateau semblent retirer quelque chose de la coque du navire mais "nous ne savons pas ce que c'est".
Le président américain Donald Trump a affirmé vendredi que les attaques étaient "signées" de l'Iran, s'appuyant sur la vidéo.
"Que les Etats-Unis aient immédiatement sauté sur l'occasion pour lancer des allégations contre l'Iran, fait apparaître en pleine lumière le fait que (Washington et ses alliés arabes) sont passés au plan B: celui du sabotage diplomatique et du maquillage de son #TerrorismeEconomique contre l'Iran", a dit quant à lui le chef de la diplomatie iranienne Mohammad Javad Zarif.