Non, l’Erythrée ne va pas rendre obligatoire la polygamie sous peine de prison

Des publications partagées plus de 1.500 fois sur les réseaux sociaux depuis la mi-janvier prétendent que l’Erythrée va bientôt rendre obligatoire la polygamie. Ceux qui refuseront cette règle s’exposeront à des peines de prison, insistent certains posts. C'est faux : cette "fake news", qui circule sur les réseaux sociaux depuis 2016, a été démentie à plusieurs reprises par le gouvernement érythréen. Ce dernier dénonce auprès de l'AFP une "vieille rumeur" et assure qu'aucune loi de ce type n'est au programme.

La polygamie bientôt obligatoire en Erythrée ? Selon plusieurs publications partagées sur des groupes Facebook panafricains, ce sera le cas à partir du mois de juin 2021. "Les hommes" de ce pays situé dans la corne de l’Afrique "seront obligés d’épouser jusqu’à trois femmes chacun", assurent certaines de ces publications. S’ils refusent, alors ce sera "la prison", ajoutent leurs auteurs.

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Capture d’écran Facebook, prise le 22 janvier 2021

Ces messages, abondamment commentés par les internautes, ont été partagés plus de 1.500 fois en quatre jours sur Facebook (1, 2, 3, 4, 5, 6) et sur Twitter (1, 2, 3, 4).

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Capture d’écran Twitter, prise le 22 janvier 2021
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Capture d’écran Twitter, prise le 22 janvier 2021

 

Une rumeur déjà propagée en 2016 et en 2019

Ce n’est pas la première fois que cette soi-disant annonce suscite la curiosité et l’étonnement des internautes. Sa première apparition sur les réseaux sociaux remonte à janvier 2016:  selon un article de la BBC, elle avait été diffusée par le site de divertissement kenyan "Crazy Monday", dans un article depuis supprimé.

La rumeur avait été reprise dans la foulée par des sites nigérian, sud-africain, béninois, kenyan, et largement commentée et appréciée sur les réseaux sociaux Twitter et Facebook. En parallèle, et sur une note humoristique, une photo retouchée d’un bus surchargé d’hommes fuyant vers l’Erythrée était devenue virale.

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Ces réactions, mais aussi les critiques émises à l’encontre de l'Erythrée, avaient poussé le ministre érythréen de l’information, Yemane G. Meskel, à s’exprimer publiquement sur le sujet. Dans ce premier tweet du 27 janvier 2016, il avait qualifié cette histoire de "ridicule, inventée et banale".

Dans un autre tweet, il s’en était pris aux auteurs de cette "fake news". "Cette histoire illustre la méchanceté des forces obscures de la désinformation et la tendance des autres à accepter facilement tout discours négatif sur l’Érythrée", avait-il dénoncé.

Le site Kenyan Crazy Monday avait publié une correction en 2016, expliquant que son article sur la polygamie obligatoire en Érythrée était une plaisanterie.

Ces multiples démentis n’avaient pas empêché la rumeur de ressurgir sur les réseaux sociaux trois ans plus tard. Cette fois, sous la forme d’un faux reportage diffusé sur la chaîne de télévision publique gabonaise Gabon 24. La vidéo, partagée plus de 13.000 fois, avait alors fait l’objet d’un article de vérification de l’AFP factuel, publié en juillet 2019.

Aucune loi obligeant la polygamie n’est prévue en 2021 en Erythrée

Les choses vont-elles changer à partir de juin 2021, comme l’affirment certaines des publications virales sur Facebook? Contacté par l’AFP, le ministre de l’information, qui s’était déjà exprimé sur cette rumeur, a apporté le 26 janvier un nouveau démenti, assurant qu’il s’agit d’une histoire ancienne et qu’aucune loi de ce type n’est au programme.

"Il s’agit d’une vieille rumeur, qui remonte à janvier 2016. Le magazine qui a publié ce mensonge l’a retiré et s’est excusé", a rappelé Yemane G. Meskel"C’était un coup de publicité pour faire un maximum de clics et attirer des lecteurs. Je ne vois aucune raison de s’étendre sur cette histoire cinq ans plus tard."

"Interdit par la loi civile, mais courant en pratique"

La polygamie, qui désigne un régime matrimonial dans lequel une personne est liée au même moment à plusieurs conjoints, est principalement répandue en Afrique et au Moyen-Orient, comme le montre cette carte du think tank Pew research center, établie dans le cadre d’une recherche sur la polygamie dans le monde entre 2010 et 2018. 

Selon ce centre de recherche américain, le nombre de foyers polygames est supérieur à 30% dans certains pays d’Afrique de l’Ouest, comme le Mali (34%) et le Burkina Faso (36%). Au niveau mondial, le pourcentage de foyers polygames ne dépasse pas en revanche les 1,5%.

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Carte intitulée “vivre dans des ménages polygames est rare dans plusieurs endroits”. En orange, apparaissent les pays où la polygamie est la plus répandue. Capture d’écran sur le site Pew Research Center, prise le 21 janvier 2021

Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), "la polygamie a diminué au cours des dix dernières années mais reste courante en Afrique de l’Ouest", principalement "en milieu rural", où elle est reconnue par le droit coutumier voire par la loi civile.

Plusieurs pays, comme le Sénégal, la Mauritanie ou le Tchad, reconnaissent officiellement les mariages polygames, qui y ont un caractère légal. Dans d’autres pays, comme la Côte d’Ivoire, la Guinée ou le Ghana, épouser plusieurs femmes est en principe "interdit par la loi civile, mais répandus en pratique". 

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Capture d’écran du site de l’OCDE, réalisée le 25 janvier 2021

 

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