Non, le Japon ne doit pas la bonne santé de ses enfants à l'absence d'obligation vaccinale

  • Cet article date de plus d'un an
  • Publié le 13 janvier 2020 à 10:02
  • Mis à jour le 22 juillet 2020 à 18:10
  • Lecture : 9 min
  • Par : Julie CHARPENTRAT, Miwa SUZUKI
Une publication partagée plusieurs centaines de fois sur Facebook depuis la mi-décembre affirme que les enfants japonais "sont les plus sains du monde"  et que cela s'explique par l'absence totale d' ''obligation vaccinale" : c'est faux.  Si les petits Japonais sont en effet en excellente santé d'après plusieurs indicateurs internationaux, ils sont aussi parmi les plus vaccinés au monde.

L'article publié par le site Cogiito.com - partagé au total un peu moins de 700 fois sur Facebook selon le site Crowdtangle - depuis la mi-décembre, dit aussi qu'à l'inverse, c'est la vaccination obligatoire aux Etats-Unis qui explique une mortalité infantile élevée. C'est également erroné.

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Capture d'écran effectuée le 9 janvier 2020

N'y a-t-il aucune obligation vaccinale au Japon ?

La loi japonaise ne rend en effet plus, depuis le milieu des années 90, strictement obligatoire la vaccination, à la différence par exemple de la France.

En France, selon la loi du 30 décembre 2017, 11 vaccins sont "obligatoires" et les parents doivent fournir  "la preuve que cette obligation a été exécutée" (carnet de santé, certificat) pour  "l'admission ou le maintien dans toute école, garderie, colonie de vacances ou autre collectivité d'enfants".

En outre, selon le code pénal, se soustraire à cette obligation peut faire encourir des sanctions, en vertu de cet article du code pénal : "le fait, par le père ou la mère, de se soustraire, sans motif légitime, à ses obligations légales au point de compromettre la santé, la sécurité, la moralité ou l'éducation de son enfant mineur est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30.000 euros d'amende".

Cette disposition pourrait être utilisée "notamment dans le cas où un enfant contracterait l’une des 11 maladies à prévention vaccinale couvertes par la vaccination obligatoire", a précisé à l'AFP la Direction générale de la Santé.

Mais la notion d'obligation existe quand même au Japon : la loi japonaise sur la vaccination (à consulter ici en japonais et en anglais sur ce site dépendant du ministère de la Justice japonais) indique que l'on "doit s'efforcer de se faire vacciner", ainsi que ses enfants, contre certaines maladies dites de catégories A (comme la diphthérie, la coqueluche, la polio, la rougeole, la rubéole, le tétanos, la tuberculose...)

Le Japon est passé en 1994 d'une "obligation" tout court à une "obligation de s'efforcer". 

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Capture d'écran effectuée le 10 janvier 2020

Il existe aussi des recommandations précises et officielles de vaccination du ministère de la Santé et les modalités d'organisation des campagnes de vaccination sont expliquées ici (en japonais).

Et de fait, comme en France, le carnet de vaccination est demandé au moment de l'inscription à l'école par exemple.

S'il n'y pas de sanction en cas de non-vaccination, les taux de vaccination sont très élevés et atteignent régulièrement 100% pour plusieurs maladies, selon le ministère de la Santé japonais (en japonais). Certains chiffres dépassent même les 100% car ils résultent d'une division du nombre d'individus vaccinés par le nombre de personnes qui devaient se faire vacciner une année donnée. Résultat, ceux qui se font vacciner "en retard" l'année d'après peuvent faire dépasser les 100% de personnes vaccinées pour l'année.

Les taux de vaccination y sont même parmi les plus élevés du monde, confirme l'OMS, contrairement à ce que dit l'article de Cogiito/NaturalNews qui prétend que ce pays a "le taux de vaccination le plus bas du monde".

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Les  Japonais,"enfants les plus sains du monde" ?

A l'appui de cette affirmation, l'article n'évoque que "les dernières statistiques" sans donner de chiffres. 

Il indique toutefois que les Japonais jouissent de "la plus longue espérance de vie en bonne santé" du monde (c'est-à-dire sans incapacité, comme l'explique l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS).

Selon l'OMS, avec 74,8 ans, le Japon avait bel et bien l'espérance de vie en bonne santé la plus élevée du monde en 2018, à l'exception de la ville-Etat Singapour (76,2 ans).

On peut également confirmer que les enfants japonais sont en excellente santé. Selon cette dépêche AFP d'octobre 2019, le Japon a "d'excellents indicateurs pour la nutrition et la santé de ses enfants tout en maintenant une incidence très basse de l'obésité".

Et selon le dernier panorama de la santé de l'OCDE (page 24), "ce sont le Japon, l’Espagne, la Suisse et les Pays-Bas qui affichent les meilleurs résultats globaux en matière de santé".

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Un déjeuner dans une école de Yokohama au Japon en 2016 (KAZUHIRO NOGI / AFP)

Selon les experts interrogés par l'AFP, ce sont les déjeuners scolaires --600 à 700 calories réparties de manière équilibrée entre glucides, viandes et légumes-- qui expliquent essentiellement cette bonne santé.

"On nous apprend à manger les produits de saison, ce qui contribue aussi à une bonne santé", selon M. Hara.

Quant à la longévité (quel que soit l'état de santé), c'est aussi, en effet, au Japon qu'elle est la plus élevée : 84,2 ans en 2016, selon l'OMS. L'espérance de vie en bonne santé était, elle, de 74,8 ans.

Des records de longévité alliés à des taux de vaccination présentés à tort comme très bas, l'article tire une conclusion complètement erronée : "se faire vacciner rend en fait une personne malsaine à long terme".

La mortalité infantile aux Etats-Unis liée au taux de vaccination ?

Comme le dit la publication de Cogiito/NaturalNews, la mortalité des enfants de moins d'un an est en effet particulièrement élevée aux Etats-Unis, pour un pays riche : 4,8 décès pour 1.000 naissances vivantes en 2017, selon le panorama de la santé de l'OCDE (page 83) soit au-dessus de la moyenne de l'OCDE (3,5) tandis que le Japon a le chiffre le plus bas, 1,7.

Quant à la vaccination, elle est légalement obligatoire : "tous les états exigent que les enfants soient vaccinés contre certaines maladies contagieuses pour être inscrits à l'école", explique le site du Center for Disease Control and Prevention (CDC), l'agence officielle américaine chargée de la prévention sanitaire.

Toutefois,  tous "permettent des exemptions pour raisons médicales" et certains pour motifs religieux ou philosophiques, explique aussi le CDC

Les taux de vaccination aux Etats-Unis sont eux aussi élevés mais un peu inférieurs au Japon pour les enfants d'un an (sauf pour la rougeole).

Et comme le montre ce tableau du CDC, les principales causes de décès des enfants de moins d'un an aux Etats-Unis sont les anomalies congénitales, la prématurité et les complications lidées à la grossesse. Non seulement les vaccins ne figurent pas dans les causes de décès, mais, comme le dit l'Unicef, c'est la vaccination qui permet précisément, partout dans le monde, de contribuer à faire reculer la mortalité infantile.

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Un site consacré au bien-être animal et à la santé

L'article été publié le 15 décembre 2019 par le site Cogiito.com, qui se présente comme "le média libre des citoyens qui s'autorisent à penser !"

Cogiito publie sur son site comme sur sa page Facebook des articles le plus souvent consacrés au bien-être animal, ou à la santé au travers notamment de publications contre les vaccins, comme celle-ci affimant qu’ils peuvent "induire des maladies graves".

Comme indiqué sur le site, il a été créé par Philippe Alexandre Jandrok, qui poste sur YouTube des éditoriaux filmés sur différents sujets, des vidéos de plusieurs dizaines de minutes qui cumulent chacune des milliers de vues. Sa chaîne YouTube a 34.600 abonnés. 

La traduction automatique d'un site complotiste américain

Comme Cogiito.com le dit lui-même, l'article sur les vaccins au Japon est la traduction d'un article en anglais du 31 juillet 2019 publié par le site américain NaturalNews.com, qui publie des articles complotistes comme celui-ci, qui affirme que des organisations liées à l'ONU sélectionnent des personnes contaminées par le virus Ebola en Afrique, pour les envoyer aux Etats-Unis y répandre la maladie.

On y trouve aussi nombre d'articles anti-vaccins.

Selon Crowdtangle, la version originale de l'article a été partagée au moins 15.000 fois depuis juillet 2019. 

Si Philippe Alexandre Jandrok revendique la traduction de l'article, un simple clic droit "traduire la page" en français via Google Traduction montre qu'il s'agit d'une transposition automatique, majuscules et erreurs comprises (par exemple,"mandat" est une mauvaise traduction de l'anglais "mandate").

Cogiito a semble-t-il seulement ajouté un titre au-dessus de la photo : "le Japon a les enfants les plus sains du monde sans la moindre obligation vaccinale".

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Captures d'écran effectuées le 9 janvier 2019

On retrouve la même argumentation -pas de vaccins obligatoires au Japon et enfants en meilleure santé- notamment dans cet article, mentionné comme "source" en-dessous de l'article de Cogiito.

D'autres affirmations fausses sur les vaccins

L'article affirme aussi qu'au Japon, "la maladie chronique est une rareté" c'est faux :  l'OMS estime que plus d'un million de Japonais sont morts "prématurément" du fait d'une maladie non transmissible (pour l'essentiel, des maladies chroniques comme les maladies cardio-vasculaires, cancers, maladies respiratoires chroniques, diabète...) en 2016, soit 82% de tous les décès.

En outre, il n'y a pas lieu d'évoquer les maladies chroniques quand on parle de vaccins, qui concernent les maladies infectieuses, qui, elles sont contagieuses.

La conclusion de Cogiito selon laquelle "il semblerait donc que se faire vacciner augmente en fait le risque d’un enfant de tomber malade ou de mourir, plutôt que l’inverse" est par conséquent fallacieuse.

De nombreux paramètres interviennent pour expliquer l'état de santé d'une population et les différences, par exemple, entre les Etats-Unis et le Japon, comme "le taux de population couverte par les services essentiels", qui est de 100% au Japon mais de 90,8% aux Etats-Unis, ou le pourcentage de "dépenses de santé financées par des fonds publics" (84% au Japon contre 50,2% aux Etats-Unis), comme établi par l'OCDE (page 29 de son panorama de la santé).

Dans le reste de l'article, Cogiito reprend notamment un poncif anti-vaccins, selon lequel la vaccination contre la rougeole provoquerait l'autisme, démonté ici par l'AFP. 

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Un enfant se fait vacciner contre la rougeole aux îles Samoa en décembre 2019 (RUDY BARTLY / AFP)

Il évoque aussi un épisode récent aux Etats-Unis, où un enfant vacciné contre la rougeole y aurait provoqué une épidémie: c'est faux.

Comme l'expliquent les autorités sanitaires locales dans un communiqué de mai 2019, un enfant a fait une réaction "ressemblant à une vraie infection de rougeole" après avoir été vacciné comme cela peut arriver. Mais la forme atténuée d'un virus présente dans un vaccin n'est pas contagieuse. 

Le vaccin contre la rougeole est l'une des cibles favorites des mouvements anti-vaccins et l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a incriminé des campagnes anti-vaccins notamment via les réseaux sociaux dans la chute de la couverture vaccinale aux îles Samoa, victime d'une épidémie meutrière.

EDIT 14/01/2020 : rétablit lien correct sur les recommandations de vaccinations au Japon 

EDIT le 22/07/2020: supprime un lien vers le site officiel français service-public.fr sur les sanctions 
en cas de non respect de l'obligation vaccinale, qui contenait une erreur, selon la Direction général
e de la santé.
Précise qu'il existe néanmoins des sanctions pénales si les parents "sans motif légitime, 
à ses obligations légales au point de compromettre la santé, la sécurité, la moralité ou l'éducation de
son enfant mineur est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30.000 euros d'amende".

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