Non, cette vidéo ne montre pas des migrants se faire lyncher après avoir "perturbé" un défilé de la Saint-Nicolas en Italie

Copyright AFP 2017-2023. Droits de reproduction réservés.

Des publications partagées plusieurs dizaines de milliers de fois sur les réseaux sociaux ces dernières 48 heures prétendent montrer des "immigrés" se faire "corriger" après avoir "perturbé un défilé traditionnel" organisé pour la Saint-Nicolas dans le nord de l’Italie. Faux, selon des protagonistes de l'évènement et le maire de la ville.

La vidéo dure une minute, et a été vue plus d’un million de fois sur Facebook et Twitter depuis dimanche, partagée en français, en anglais, en italien, en espagnol, en allemand, en tchèque ou encore en flamand.

Sur les images, un groupe de personnes court dans une rue, fuyant des hommes déguisés en diables. Plusieurs d’entre elles, rattrapées par les "diables" ("krampus"), reçoivent de violents coups de branches et de pied.

Capture d'écran Facebook prise le 10/12/2019

"Ils sont fous", s’exclame une voix de femme au moment où un homme tombé à terre se fait frapper.

"Au Tyrol du Sud, les immigrés perturbent un défilé traditionnel et se font corriger par les diables", affirme un article en français partagé par de nombreux militants d’extrême droite, à l’unisson de dizaines de publications similaires.

Capture d'écran du site FL24 prise le 10/12/2019

"Cette année, l’un des nombreux défilés de Krampus a pris une tournure peu habituelle. Il semble que certains immigrés (...) sont venus provoquer les Krampus en essayant d’enlever les masques de certains d’entre eux. Il n’en fallait pas plus aux jeunes Tyroliens pour les mettre en pétard (...) Les cortège traditionnel s’est ainsi transformé en expédition punitive (...). Les immigrés africains, d’habitude si prompts à la violence envers les Européens, ont dû être très étonnés de la tournures des événements", écrit l’auteure de l’article.

"Bravo. Les migrants n'ont pas à déranger les traditions et les fêtes de les pays où ils sont", se félicite un internaute en commentaire à une publication Facebook partagée près de 10.000 fois en deux jours. "Ils auraient dû les battre à mort", commente un autre.

Capture d'écran Facebook prise le 10/12/2019

Pour autant, cette vidéo ne montre pas des migrants se faire "corriger" après avoir "perturbé" le défilé de la Saint-Nicolas, selon plusieurs des protagonistes de l'évènement et le maire de de la ville.

La scène s'est déroulée jeudi 5 décembre, veille de la Saint-Nicolas, à Vipiteno-Sterzing, petite bourgade du Tyrol italien située à moins de 10 kilomètres de la frontière autrichienne, dans une région du nord-est de l’Italie majoritairement germanophone.

L'événement annuel, baptisé "Jour des diables", voit des hommes déguisés en diables (les "krampus") défiler dans la ville (voir photos ici). Des participants, les "tratzer", ont pour mission de les provoquer.

C'est en réponse à des "provocations" que plusieurs "diables" ont asséné jeudi 5 décembre des coups à des participants.

Mais contrairement à ce qu’affirment les publications susmentionnées -- et à ce qu’a affirmé dans un premier temps le journal local La Voce del Trentino, qui a depuis nuancé son propos --, ces coups ne visaient en aucun cas des immigrés.

"Les organisateurs et les Tuifl Sterzing [l’association dont font partie les "diables"] rejettent avec véhémence toute accusation de racisme. Les personnes filmées dans la vidéo ne sont pas issues de l’immigration et, au cours de la journée, aucun incident n’a impliqué des personnes étrangères", affirme l’association Tuifl Sterzing sur sa page Facebook.

"L’impression donnée que certaines personnes ont le visage foncé est due exclusivement au fait que les Tuifl, en vertu de la tradition, salissent de noir les visage des spectateurs", ajoutent les auteurs du communiqué.

Repérées par le média en ligne italien Open, de nombreuses photos prises le 5 décembre à Vipiteno-Sterzing attestent du fait que les participants se griment en noir pour l’évènement. 

Capture d'écran du site szene1.at prise le 10/12/2019

D'anciennes vidéos, comme celle ci-dessous, montrent par ailleurs que des coups de branches sont assénés chaque année, contredisant là aussi la thèse d'une "expédition punitive" contre des "immigrés" qui auraient "perturbé" le défilé.

"Il ne s’agit pas de personnes étrangères, ceci est une information erronée", a réagi le maire de la ville, Fritz Karl Messner, au journal télévisé local (à partir de 1'05"). "Ce ne sont pas des actes de violence", a-t-il insisté, soulignant qu'il s'agit d'une tradition encadrée et que toutes les personnes sur la vidéo "se connaissent".

"Seul le coup" de pied porté à la personne à terre est "inacceptable" et "n'a rien à voir avec la tradition", juge pour sa part l'association Tuifl Sterzing, selon laquelle cet acte "sera sanctionné" en interne.

L’un des participants, qui affirme être l’homme à la veste bleue frappé au sol dans la vidéo, a également démenti le fait que ces images donnent à voir une "expédition punitive" contre des migrants : "Je suis né à Vipiteno et je connais chacune des personnes présentes sur la vidéo, que ce soient les Diables ou les Tratzer, et aucun d’entre eux n’est un migrant", explique Maximiliano Ploner dans un message publié dimanche sur sa page Facebook.

Contacté par l’AFP, ce participant a fourni une photo de lui prise jeudi 5 décembre et le montrant avec les mêmes vêtements (veste bleue et pantalon et bonnet noirs) que ceux de l’homme dans la vidéo. Il explique être venu pour "s’amuser", "plus ou moins" comme dans un jeu du chat et de la souris.

"La vidéo peut paraître brutale, mais pour nous c’est normal", argue Maximiliano Ploner. "Le jour des diables, pour beaucoup d’habitants de Vipiteno, est le plus beau jour de l’année".