Non, cette image ne représente pas un châtiment de l'Égypte antique
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- Publié le 23 décembre 2020 à 18:30
- Lecture : 8 min
- Par : Marie GENRIES, AFP Belgique
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Ce montage partagé 735 fois depuis le 26 octobre sur Facebook montre un dessin rappelant les papyrus de l'Egypte antique, sur lequel un homme enfonce un long bâtonnet dans l'œil - ou le nez - d'un autre homme. "Dans l'Egypte antique, ce geste médical était un châtiment envers les félons", affirme l'auteur de cette publication. "En 2020, ce geste médical fait partie des procédures de tests…", indique la légende de la deuxième image, qui montre un test PCR.
Cette publication a été partagée en France mais aussi au Canada et en Belgique. Elle a également été vérifiée par nos collègues de DPA.
La scène en haut de ce montage est en réalité une reconstitution d'une fresque retrouvée dans la tombe d'un sculpteur, vivant à l'époque de l'Egypte antique. Le bâton n'est pas dans le nez, mais dans l'oeil de l'homme accroupi.
En légende de ces publications, les internautes partagent l'extrait d'une vidéo de la généticienne Alexandra Henrion-Caude, qui remet en question l'utilité des tests PCR par prélèvement nasopharyngé: "Je croyais que les gouttelettes que nous avions étaient porteuses du virus et que donc en PCR et en génétique, les tests que nous faisions jusqu'à présent étaient en général des tests salivaires (...) pourquoi est-ce qu'on va sur cette plaque cribriforme ?"
Elle assure que les tests PCR permettraient d’atteindre un "lieu qui permettrait de passer des nanoparticules, des nouveaux modes de thérapie directement au niveau du cerveau".
Or, les tests PCR ne touchent pas la "plaque cribriforme", située à la base du cerveau, a expliqué une docteure en neuroscience à l'AFP. De plus, les tests par prélèvement dans le nez sont plus efficaces que les prélèvements salivaires.
Alexandra Henrion-Caude est l'ancienne directrice de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) - institution qui a depuis pris ses distances. Intervenante dans "Hold-Up", elle y affirmait que "les phases 3 des essais pour trouver un vaccin contre le Covid-19 ont été sautées". C'est faux, comme l'avait expliqué l'AFP.
Une intervention ophtalmologique et non un châtiment
En faisant une recherche d'image inversée sur le moteur de recherche Tineye, on retrouve ce dessin sur le site de l'agence Getty Images. La légende indique "ophtalmologiste en train de soigner un patient, reconstitution d'une fresque de la tombe d'Ipi à Thèbes, datant à l'origine de la XIXe dynastie. Civilisation égyptienne".
Cette fresque est également mentionnée sur le site du Syndicat National des Ophtalmologistes de France, expliquant qu'il s'agit de "la seule peinture représentant un ophtalmologiste dans l'exercice de ses fonctions". Elle a été retrouvée à Thèbes (aujourd'hui Louxor, en Grèce), dans la tombe d'Ipy (ou Ipouy, ou Apy, selon les orthographes), un sculpteur qui vivait sous Ramsès II.
La fresque en entier est visible sur le site du Metropolitan Museum of Art de New York (MET). La scène représentée dans ces publications est située en bas à gauche.
En zoomant sur la fresque, on voit clairement que le bâton n'est pas dans le nez, mais dans l'oeil de l'homme.
Dans une présentation intitulée "De l'archéologie à l'histoire de la médecine, le livre médical dans l'Egypte gréco-romaine", que l'AFP a pu consulter, Marie-Hélène Marganne, directrice du Centre de Documentation de Papyrologie littéraire (CEDOPAL) en Belgique, indique que "les peintures de la tombe d'Ipouy nous montrent plusieurs accidents et interventions médicales sur le chantier de la nécropole: un ouvrier semble avoir laissé tomber sa masse sur le pied d'un autre ; un autre personnage paraît soigner un ouvrier, qui a peut-être reçu un corps étranger dans l'oeil ; un autre intervient sur le bras blessé d'un ouvrier, peut-être pour réduire une luxation de l'épaule".
Contactée le 22 décembre, Marie-Hélène Marganne estime qu'il faut être prudent en interprétant cette fresque : "Le dessin qui circule sur les réseaux sociaux est très remanié. Quel est le statut de la personne qui soigne ? C'est très difficile à dire. C'est peut-être un médecin, mais ça peut être aussi un camarade de travail", a expliqué l'auteure d'un essai intitulé "L'ophtalmologie dans l'Egypte gréco-romaine d'après les papyrus littéraires grecs".
Amandine Marshall, docteure en Égyptologie, a confirmé : "Il s'agit vraisemblablement d'un cas d'application de collyre (solution instillée dans l'oeil, NDLR) , "vraisemblablement" car on n'a aucune légende pour en être sûr", a-t-elle déclaré le 22 décembre à l'AFP.
En Egypte antique, la médecine était déjà divisée en plusieurs spécialités, dont l'ophtalmologie. Ainsi, l'historien grec Hérodote qui a visité l'Egypte au Vème siècle avant notre ère, avait écrit "Tout y est plein de médecins. Les uns sont pour les yeux, les autres pour la tête ; ceux-ci pour les dents, ceux-là pour les maux de ventre et des parties voisines ; d'autres enfin pour les maladies internes".
On ne connaît cependant aucun châtiment consistant à enfoncer un objet dans le nez dans l'Egypte antique, ont expliqué à l'AFP les égyptologues. "Le seul châtiment attesté dans les textes et touchant au nez est son ablation", a déclaré Amandine Marshall, qui a créé pour répondre aux questions sur cette époque une chaîne Youtube appelée Toutankatube.
L'Egypte antique est source de fascination et de légendes urbaines. Récemment, l'AFP avait vérifié une fausse information concernant un soi-disant passeport délivré à la momie de Ramsès II. Cet attrait porte un nom : l'égyptomanie. "Ce genre d'interprétation, les égyptologues la connaissent très bien", a expliqué Marie-Hélène Marganne "les gens se servent de l'Egypte ancienne pour interpréter le présent".
Les tests PCR ne sont pas dangereux pour le cerveau
Le montage contient également une illustration d'un test PCR. L'auteur de la publication s'interroge : "Peut-on se demander pourquoi, alors qu'une seule goutte de salive, ou de sécrétions est soi-disant contaminante, on s'efforce d'aller prélever un échantillon à la limite de la barrière de la plaque cribriforme qui est un os médian important, faisant partie à la fois du crâne et du nez equi (sic) transmet les nerfs olfactifs qui véhiculent le sens de l'odorat" ?
Une question qui reprend les propos d'Alexandra Henrion-Caude dans la vidéo partagée en légende.
La "plaque cribriforme" est une traduction littérale de "cribriform plate". En français, elle correspond à une partie de l'os ethmoïde, situé à la base du cerveau. Elle est appelée "la lame criblée".
La lame criblée, qui porte ce nom à cause des petits trous qui la composent, laisse en effet passer les fibres des nerfs olfactifs.
Mais il est impossible que le coton d'un test PCR atteigne la lame criblée, a assuré à l'AFP Maude Beaudoin-Gobert, docteure en neurosciences affiliée à l'université Claude Bernard Lyon 1 : "Quand on met le coton tige dans le nez, on va frotter contre la muqueuse nasale. Or la lame criblée se trouve près du cerveau, très loin de la muqueuse. C'est un os qui n'est pas du tout à l'air libre, pour l'atteindre il faudrait passer par plusieurs barrières."
De plus, si l'os ethmoïde et la lame criblée sont effectivement fragiles, il faudrait un choc intense, comme une chute, pour risquer de les endommager : "un coton-tige ne pourrait en aucun cas les abîmer", a expliqué Maude Beaudoin-Gobert.
Depuis le début de la pandémie et de la mise en place des tests PCR réalisés à l'aide d'un écouvillon dans le nez ou dans la gorge, de nombreuses internautes s'inquiètent de la supposée dangerosité de cette méthode pour le cerveau.
"L'écouvillon ne touche pas la barrière hémato-encéphalique et ne la met pas en danger. Cela ne menace en aucun cas notre système nerveux", avait déjà expliqué dans un précédent article John Dyer, immunologiste et professeur émérite à l'université de Nouvelles-Galles du Sud (Australie), joint le 10 juillet par l'AFP.
Par ailleurs, Alexandra Henrion-Caude remet en question l'utilisation de tests PCR, alors qu'"on est en train de dire que les gouttelettes propagent l'infection". Comme l'a déjà expliqué l'AFP, en l'état actuel des connaissances, les tests par prélèvement naso-pharyngés sont considérés comme plus efficaces que les tests salivaires.
Les tests PCR "sont plus efficaces car ils sont réalisés dans les zones où le virus se multiplie le plus", expliquait ainsi à l'AFP début juillet le Pr Olivier Schwartz, virologiste et responsable de l'unité Virus et immunité à l'Institut Pasteur.
Le 28 novembre dernier, la Haute Autorité de Santé a rappelé dans un avis concernant les tests salivaires et antigéniques que "le test RT-PCR sur prélèvement nasopharyngé reste le test de référence pour le diagnostic et le dépistage de la Covid-19 compte tenu de ses performances (sensibilité et spécificité)".