
Non, aucun hôpital n’a été brûlé au Kenya après la découverte de “vaccins empoisonnés" contre le coronavirus
- Cet article date de plus d'un an
- Publié le 15 avril 2020 à 18:01
- Mis à jour le 15 avril 2020 à 19:24
- Lecture : 8 min
- Par : Monique NGO MAYAG, Mary KULUNDU
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Le message, diffusé dans des publications dont certaines totalisent presque 10.000 partages sur Facebook, se veut un appel à la révolte: “KENYA. LA POPULATION VIENT DE BRÛLER UN HÔPITAL DANS LE SUD DE NAIROBIE, Après avoir découvert un lot de vaccin empoisonné contre Corona virus en provenance des états unis d'Amérique. A LIRE ET METTRE EN ACTION” (sic).
La même affirmation est relayée dans de nombreux autres posts Facebook (1, 2, 3, 4) et site web (1).
Ces publications sont illustrées avec quatre ou cinq images. Deux montrent un minibus en feu ; une autre une carcasse de véhicule calciné ; une quatrième montre un bâtiment dévoré par les flammes ; et une dernière est un montage présentant les bilans comparés des morts du coronavirus en Italie, en France, en Espagne et en Afrique. "Mais c’est ici (en Afrique, ndlr) que les Européens veulent commencer à vacciner", conclut le post.
Dans les milliers de commentaires que suscite ces publications, de nombreux internautes approuvent cet acte.

Il n’existe pas de vaccin contre le coronavirus
Ces publications surviennent dans un contexte de défiance sur les réseaux sociaux envers les Occidentaux, accusés depuis quelques semaines de vouloir tester sur le continent un nouveau vaccin contre le Covid-19.
Cette idée a notamment été alimentée par un échange polémique début avril à la télévision française entre deux médecins évoquant l’intérêt de mener des tests avec le vaccin antituberculeux BCG en Afrique.
Ces tests, qui doivent permettre de voir si le BCG agit aussi sur le nouveau coronavirus, ont déjà été lancés ou sont sur le point de l’être dans des pays européens et en Australie.
Il n’existe pas encore de vaccin spécifique contre le Covid-19, comme l’a encore rappelé une récente vérification de l’AFP.
L'Organisation mondiale de la santé (OMS) estime sur son site que "le virus est tellement nouveau et différent qu'il nécessite un vaccin qui lui est propre". "Les chercheurs sont en train de travailler à la mise au point d'un vaccin contre le Covid-19 et l'OMS les soutient dans leurs travaux", affirme l’institution.
Plusieurs laboratoires en Chine, aux Etats-Unis et en Europe travaillent à l’élaboration d’un tel vaccin. "Des essais cliniques de médicaments et de vaccins contre le Covid-19 sont désormais en cours", a précisé le directeur général de l'OMS le 30 mars.
Dans l'attente d'un vaccin, qui ne sera sans doute pas disponible avant au moins un an, des scientifiques testent des médicaments ou des combinaisons de médicaments qui agiraient comme traitement. L’Agence européenne du médicament a récemment récapitulé ces expérimentations.
Mais ce n’est pas la seule fausse affirmation de ces publications.
Il n’y a pas eu d’incendie d’hôpital à Nairobi
Contacté par l’AFP, le chef de la police de Nairobi a démenti tout incendie dans un hôpital de la ville.
"Aucun hôpital à Nairobi n'a pris feu, et encore moins brûlé (intégralement, ndlr). C'est un canular", a déclaré Philip Ndolo, joint par téléphone le 14 avril.
L’AFP a identifié quatre des cinq images qui prétendent illustrer cet événement.
Il apparaît qu’aucune d’entre elles n’a de lien avec la capitale kényane et qu’elles sont bien antérieures à la pandémie causée par le nouveau coronavirus, qui est apparu en Chine en décembre 2019.
L'origine d'une photo, celle de deux hommes regardant une carcasse de minibus calciné, n’a toutefois pu être établie.
Photo 1 et 2: un minibus en feu à Lubumbashi (RDC)

Ces deux images ont certainement été prises au même endroit, comme en témoignent les indices visuels observables (pointés en rouge): le minibus en flammes avec sa portière droite ouverte, ainsi qu'un abri de fortune situé à côté.
Une recherche d’image inversée avec Google Images mène à une publication du 15 novembre 2017 sur Facebook et contenant ces deux images. Le post évoque une manifestation à Lubumbashi, grande ville du sud-est de la République démocratique du Congo (RDC), contre le président de l'époque Joseph Kabila.
Une recherche d'images inversée sur un autre moteur de recherche, Yandex, avec les termes "manifestation à Lubumbashi novembre 2017" permet de retrouver la photo de gauche dans un article du site de la Deutsche Welle, radio internationale allemande.
La photo, signée "P. Kassonde", illustre également des manifestations contre le président Kabila le 15 novembre 2017 à Lubumbashi. Selon cet article, ces incidents se sont notamment déroulés dans une commune (arrondissement) nommée "la Kenya".
En poursuivant nos recherches avec les mots-clés “manifestations Lubumbashi novembre 2017”, on retrouve une vidéo sur le site web de Voice of America (VOA), média audiovisuel américain montrant ce minibus en flammes.
Cet article relate lui aussi des incidents le 15 novembre 2017 dans plusieurs ville de RDC, dont Lubumbashi où "la police a enregistré quelques incidents (barricades et pneus brûlés, bus incendié…)".
Il reprend notamment des éléments d’une dépêche AFP sur cette journée de mobilisation contre le président Joseph Kabila, dont le mandat était arrivé à échéance en décembre 2016, et le calendrier électoral annoncé qui fixait les prochaines élections au 23 décembre 2018.
L'article précise que "selon le correspondant de VOA Afrique sur place, dans la commune de la Kenya, un minibus de transport en commun a été incendié à 8h30, heure locale".
Ces deux images datent donc de 2017 et ont été prises en RDC. Elles n’ont aucun lien -si ce n’est une homonymie- avec le Kenya, ni le nouveau coronavirus.
Photo 3: un hôpital en feu au Cameroun

Avec une recherche d’image inversée sur Google Images, on retrouve cette photo illustrant un article du 12 février 2019 d’un blog anglophone camerounais nommé pencamer.com.
L'article rapporte un incendie provoqué dans une section de l’hôpital de district de Kumba, dans la région anglophone du Sud-ouest du Cameroun.
Cet article est accompagné des images du bâtiment en flammes et du bâtiment juste après l’incendie.
Nous relevons quelques indices visuels (signalés en rouge): trois fenêtres, une porte à leur gauche avec une inscription au-dessus, un mur perpendiculaire qui jouxte le bâtiment aux fenêtres et une pelouse devant.

Une dépêche de l’AFP avait évoqué ce drame du 11 février 2019 qui avait fait quatre morts. Les autorités en avaient attribué la responsabilité aux combattants séparatistes de la région.
La télévision nationale camerounaise (CRTV) l’avait également relayé sur son site internet. Il est aussi évoqué dans un reportage télévisé (à 23’55) de la chaine camerounaise Spectrum Television (STV).
Sur une vidéo montrant les dégâts causés par l’incendie et diffusée le lendemain sur Twitter, on retrouve (à la 11e seconde) les mêmes éléments que sur la photo que nous vérifions.

Si cette image montre bien un hôpital ravagé par les flammes, elle n’a rien à voir avec le Kenya, ni avec le nouveau coronavirus.
Image 4: une photo de 2017 pour la vaccination en Afrique

La photo de la petite fille devant une main gantée brandissant une seringue fait partie d’une série de photos sur le thème de la vaccination des enfants en Afrique. Elle est signée du photographe allemand Ricardo Mayer.
Contacté le 9 avril 2020 par l’AFP via Facebook, Ricardo Mayer a confirmé qu’il est bien l’auteur de ce cliché.
"Elle a été prise à Bamako en septembre 2017. La séance photo a eu lieu en total accord avec l'enfant et ses parents et je connais personnellement l'enfant et les parents", a expliqué le photographe. "Je n'aurais jamais imaginé qu'elle fasse l’objet de désinformation", a-t-il regretté.
Les bilans des décès relevés sur ce photomontage ont augmenté depuis sa publication.
Au 15 avril à 11h00 GMT, plus de deux millions de cas du nouveau coronavirus avaient été officiellement déclarés dans le monde, selon un bilan réalisé à partir de données collectées par les bureaux de l'AFP auprès des autorités nationales compétentes et des informations de l'Organisation mondiale de la santé (OMS).
Sur les 126.898 décès recensés, l'Italie comptait à ce jour 21.067 morts, l'Espagne 18.579 morts et la France 15.729 morts. L'Afrique totalisait 869 décès sur 16.215 cas dépistés.