
L’Amazonie est-elle le “poumon de la planète”?
- Cet article date de plus d'un an
- Publié le 29 août 2019 à 15:32
- Mis à jour le 05 septembre 2019 à 17:12
- Lecture : 6 min
- Par : Charlotte DURAND, François D'ASTIER, Marlowe HOOD
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Dans un tweet publié le 26 août et partagé près de 2.000 fois en moins de 24 heures, le président français Emmanuel Macron a affirmé que "L’Amazonie absorbe 14% du CO2 mondial. La perte du premier poumon de la planète est un problème mondial".

La semaine précédente, le chef de l'Etat avait par ailleurs affirmé dans un autre tweet, partagé 16.500 fois depuis le 22 août, que l'Amazonie, "poumon de notre planète", produisait "20% de notre oxygène".
L'Amazonie absorbe-t-elle 14% du CO2 mondial?
L’affirmation du président français est imprécise. Le spécialiste des forêts Philippe Ciais, membre du Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE), estime que l’Amazonie absorberait pour le moment 0,5 milliard à 1 milliard de tonnes de carbone par an dans les forêts intactes. Rapporté à la quantité de CO2 présente dans l’atmosphère (800 milliards de tonnes), l’ordre de grandeur donné par le président est trop élevé.
Mais ce chiffre correspond par contre à la part que représente l’Amazonie dans l’absorption mondiale de CO2 par la végétation et les sols -les océans en absorbant aussi une grande partie, par exemple- : les scientifiques du LSCE estiment en effet que la forêt amazonienne représente 10 à 20% de ces absorptions.
“Le terme ‘14% d’absorption du CO2 mondial’ n’est peut être pas du langage scientifique ultra précis, mais il rend bien compte du poids de l’Amazonie dans l’absorption mondiale du CO2”, estime M. Ciais.
Pour rendre compte de l’importance de l’Amazonie dans le traitement du CO2 présent dans l’atmosphère, une autre donnée parlante est de comparer la quantité de CO2 absorbée par l’Amazonie au CO2 émis par les énergies fossiles. Ici, l’Amazonie absorbe 5% des émissions de CO2 fossiles, soit par exemple une quantité équivalente à “la moitié des émissions de l’Europe”, estime Philippe Ciais.
“Si l’Amazonie était déforestée, non seulement ce puits de carbone serait perdu, mais il serait transformé en une source de CO2 pour l'atmosphère”, ajoute-t-il.
L'Amazonie produit-elle "20% de notre oxygène" ?
“Les écosystèmes contemporains contribuent très peu à l’oxygène de l'atmosphère. La majeure partie de cet oxygène provient des matières organiques enfouies dans notre sol sur plusieurs milliards d’années”, explique Neal Blair, professeur d’ingénierie environnementale à l’université Northwestern (Etats-Unis).
En s’appuyant sur cette étude de 1998 de la revue Science, il estime que la forêt amazonienne produit “environ 6%” de l’oxygène de la planète.
Le chercheur français Philippe Ciais arrive à la même conclusion : “le chiffre de 20% est exagéré : la photosynthèse globale des plantes terrestres émet de l’oxygène dans l’atmosphère mais l’Amazonie ne compte que pour 10% de cette émission annuelle. De plus, la photosynthèse marine émet aussi de l’oxygène. Donc au total, l’Amazonie doit émettre environ 5-6% de l’oxygène atmosphérique”.
Dans un article de blog publié le 24 août 2019, Yadvinder Malhi, professeur en science des écosystèmes à l’université d’Oxford (Royaume-Uni), détaille les calculs complexes qui permettent d’avancer que l’Amazonie est responsable d’environ 9% de la photosynthèse globale, mais ajoute également qu’elle “consomme à peu près autant d’oxygène qu’elle en produit”.
Les deux pourcentages ne doivent pas être confondus, car "une forêt ne produit pas seulement de l’oxygène avec sa photosynthèse, mais les plantes et les microbes du sol consomment aussi l’oxygène en quantité similaire à ce qui est produit chaque année", précise Philippe Ciais.
"Il y a de nombreuses raisons de s'inquiéter des récents pics de déforestation en Amazonie - le carbone, le climat, l'eau, la biodiversité et les populations", a expliqué Jonathan Foley, directeur de l'institut de l'environnement de l'université du Minnesota (Etats-Unis), dans une série de plusieurs tweets le 23 août. "Mais l'oxygène, Dieu merci, n'est pas un problème dont nous devons nous inquiéter", a-t-il assuré.
Okay. The spike in Amazonian deforestation and fires is a huge problem — for climate, for biodiversity, for indigenous communities, and for the entire world.
— Dr. Jonathan Foley (@GlobalEcoGuy) August 23, 2019
But one thing we don’t need to worry about is the world’s oxygen supply. pic.twitter.com/jAw7V2HpU8
Comme Philippe Ciais et Neal Blair, il estime que la part de l'oxygène mondial produite par l'Amazonie serait plutôt de l'ordre "de 6%, peut-être même moins".
Le chef d'Etat français n'est pas le seul à avoir utilisé cette formule erronée. Le footballeur portugais Cristiano Ronaldo a également expliqué à ses abonnés Instagram que la forêt amazonienne produisait 20% de l'oxygène de la planète, tout comme l'acteur américain Leonardo DiCaprio, en y acollant le terme de "poumon de la planète".
Ces deux publications, utilisant également des images anciennes, ont été "aimées" près de 15 millions de fois depuis le 22 août. De nombreux internautes ont également utilisé ces formules dans des publications sur Twitter et Facebook (1,2,3,4,5,6...).


L'expression "poumon de notre planète" est-elle adéquate ?
Il est difficile de définir précisément ce que recouvre l’expression “poumon de la planète”, utilisée aussi par de nombreux médias, dont l'AFP : cela signifie-t-il qu'il s'agit de la première forêt productrice d’O2 ? Ou bien de la première forêt en termes d’absorption de CO2 ?
Concernant l’absorption de CO2 , le chercheur Jean-Pierre Wigneron, de l'Inra, tient à rappeler que si “les écosystèmes d’Amazonie capturent effectivement une quantité énorme de CO2, ils en émettent aussi une énorme quantité”. Selon lui, l’important est de regarder le bilan net, c’est-à-dire le gain (séquestration ou capture de CO2) moins les pertes (émission de CO2).
Les chiffres pour l’Amazonie seule n’existent pas, mais ceux pour la biomasse des forêts tropicales d’Amérique du sud si, sachant que l’Amazonie en représente 70% à 80%. Selon les données satellites, “les forêts tropicales d’Amérique du sud émettent autant de carbone qu’elles en séquestrent”, explique M. Wigneron.
Ces émissions, même si "liées en grande partie ici à la déforestation et à la mortalité, souvent suite à des sécheresses", rendent donc le bilan carbone net des forêts tropicales d'Amérique du sud “globalement neutre sur les dix dernières années”.
Contrairement à ce qu’on pourrait penser, “le puits de carbone des surfaces terrestres actuellement serait dans les forêts boréales et tempérées”, avance le chercheur français, c’est-à-dire que ces forêts absorbent plus de carbone qu’elles n’en rejettent. “On pense que le stock de carbone (la biomasse) des forêts boréales augmente et c'est lui qui nettoie l’atmosphère”. En ce sens, l’Amazonie ne serait pas le “premier poumon de la planète”.
Mais si l’expression “premier poumon de la planète” cherche juste à “mettre en avant le rôle majeur des tropiques et de l’Amazonie dans les équilibres en jeu sur notre planète”, alors l’affirmation est vraie, selon le chercheur.
Il rappelle à cette occasion qu’environ 30% du stock total de carbone stocké dans des forêts l’est en Amazonie et que, en conséquence, “chaque hectare qui brûle relâchera 180 tonnes de carbone dans l’atmosphère”, autant que les émissions de CO2 fossile de 120 personnes en France en une année.
"Les données scientifiques disponibles suggèrent que l'absorption des forêts intactes en Amazonie aujourd’hui compense à peu près les émissions de déforestation (Mais) si on accroit la part de déforestation (...) le système peut facilement être déséquilibré pour devenir dans le futur proche une source nette de CO2, qui s’ajouterait aux émissions produites par l’utilisation du carbone fossile pour accélérer le réchauffement climatique", prévient M. Ciais.