Non, cet homme politique nigérian n’a pas été battu parce qu’il se faisait soigner en Europe
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- Publié le 26 août 2019 à 18:45
- Mis à jour le 27 août 2019 à 18:44
- Lecture : 3 min
- Par : AFP Nigéria, Mayowa TIJANI, Anne-Sophie FAIVRE LE CADRE
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Les publications accompagnant cette vidéo affirment que cette séquence montre “le vice-président” nigérian ou “le vice-président du Sénat” du Nigéria se faire attaquer par “des compatriotes immigrés qui l’empêchent d’entrer dans un hôpital allemand”.
“Le vice-président du Sénat du Nigeria bastonné par ses compatriotes en Allemagne. Ils lui demandent de rentrer se soigner au pays. Tâche d'huile en perspective dans toute l'Afrique…”, lit-on par exemple dans ce post daté du 20 août et partagé plus de 800 fois depuis.
Une vidéo similaire, archivée ici, a été vue plus de 38.000 fois sur Facebook depuis sa mise en ligne par un internaute kényan, le 22 août.
Cette même vidéo a également été partagée dans des pays francophones, à l’instar du Burkina Faso ou de la Côte d’Ivoire.
Après vérification de l’AFP, cet homme politique n’est pas le vice-président du Nigéria et n’a pas été molesté parce qu’il se faisait soigner à l’étranger plutôt qu’au Nigeria.
L’homme dans cette séquence est bien un politicien nigérian - il s’agit du sénateur Ike Ekweremadu, qui représente l’état du Enugu. L’homme politique, très connu au Nigéria et formellement reconnu par les journalistes de l’AFP du bureau de Lagos, a été le vice-président du Sénat jusqu’en juin 2019, mais n’est ni l’actuel vice-président du Sénat, ni le vice-président du pays, contrairement à ce qu’affirment les publications virales.
En cherchant les termes "attaque Ike Ekweremadu", on retrouve des articles documentant cet incident ayant eu lieu à Hambourg en Allemagne, le 17 août - illustrés avec les images présentées à tort comme étant "le vice-président du Sénat nigérian se faisant soigner en Europe".
Cet article de la BBC documente l’incident. Il est rédigé en Pidgin, créole ouest-africain comptant environ 75 millions de locuteurs et seule langue véhiculaire parlée quasiment à travers tout le Nigéria.
M. Ekweremadu assistait alors à une conférence de la diaspora nigériane. Le mouvement indépendantiste pour les peuples indigènes du biafra (IPOB), qui réclame la sécession de cette région du sud-est du Nigéria et interdit dans le pays, a revendiqué cette attaque dans un communiqué envoyé par e-mail à l’AFP, et repris par certains médias nigérians, à l’instar du journal en ligne Punch.
L’IPOB a déclaré que ses membres avaient pris pour cible M. Ekweremadu en raison de son soutien à la répression gouvernementale de ses activistes.
L'association culturelle de la diaspora nigérianne en Allemagne, Ndi-Igbo Germany, s'est excusée pour cette attaque sur les réseaux sociaux (voir infra).
Les médias nigérians se sont largement fait l’écho de cet incident, et il n’existe aucun document prouvant qu’Ekweremadu aurait été molesté pour s’être fait soigner à l’étranger. Nous avons également fact-checké une rumeur affirmant que le ministre des Affaires étrangères allemand aurait écrit au président nigérian Buhari à la suite de cet incident (ici, en anglais).
Au soir même de son agression, Ike Ekweremadu a déclaré avoir été "déçu par la conduite" des personnes l'ayant poursuivi dans un post Facebook ayant été partagé plus de 5.000 fois depuis sa publication.
Cette rumeur se fonde cependant sur une réalité : de nombreux dirigeants africains se font soigner discrètement à l'étranger et notamment en Europe, pour avoir accès à des soins de meilleure qualité. Ainsi, l’AFP rapportait en août 2019 que l’ex-président du Zimbabwe, Robert Mugabe, se rendait fréquemment à Singapour ou à Dubaï pour se faire soigner. Le président du Nigéria, Muhammadu Buhari, avait passé trois mois à Londres en 2017 pour un traitement médical dont la nature est restée secrète. En octobre 2018, le président du Gabon Ali Bongo a été hospitalisé à Riyad, en Arabie Saoudite, à la suite d’un accident vasculaire cérébral.
Les derniers chiffres publiés par l’OMS sur le Nigéria montrent de larges carences en matière de dépenses de santé publique : les 186 millions d’habitants de ce pays d’Afrique de l’Ouest ont une espérance de vie de 55 ans pour les femmes, et 56 ans pour les hommes. Par ailleurs, les dépenses totales consacrées à la santé par habitant ne s’élèvent qu’à 217 dollars par an.