Le ministre de l'Economie, des Finances et la Relance Bruno Le Maire à Matignon le 17 juillet (Bertrand GUAY / AFP) (AFP / Bertrand Guay)

Modération ou interdiction des dividendes : quelles obligations pour les entreprises bénéficiaires d’aides publiques ?

  • Cet article date de plus d'un an
  • Publié le 17 juillet 2020 à 12:04
  • Mis à jour le 17 juillet 2020 à 18:03
  • Lecture : 5 min
  • Par : Thomas SAINT-CRICQ, Marie HEUCLIN
Les entreprises qui bénéficient d'aides publiques durant la crise du Covid-19 peuvent-elles verser des dividendes à leurs actionnaires ? Non, "il y a des règles qui sont fixées, qui font que, quand l'Etat apporte une aide directe, l'entreprise ne peut  pas verser de dividendes"  expliquait le ministre de l'Economie le 16 juillet sur France Inter. "Faux", une "entourloupe" , ont dénoncé aussitôt les associations Oxfam et Attac. En réalité, les obligations imposées aux entreprises dépendent du type d'aides demandé, et ne sont pas inscrites dans la loi. Explications.

Un dividende provient d'une partie des bénéfices réalisés par une entreprise, qu'elle reverse à ses actionnaires.

Dans le cas où elle n'en verse pas, l'entreprise ne rémunère pas ses actionnaires. L'entreprise prend ainsi le risque de rebuter des investisseurs, et in fine, de ne plus trouver de capitaux pour se financer.

Ne pas en verser peut aussi lui permettre de garder cet argent pour le distribuer à ses salariés ou l'investir dans l'innovation ou l'emploi.

Le 14 juillet, le président de la République Emmanuel Macron a plaidé pour "une modération des dividendes" pour les entreprises ayant demandé à leurs salariés d'accepter une réduction salariale pour préserver leurs emplois.

L'Etat a déjà engagé 460 milliards d'euros de mesures sectorielles et de soutien à l'économie et à l'emploi - prêts et garantis d'Etat inclus -  depuis le début de l'épidémie de Covid-19.

Dans ce contexte, une entreprise peut-elle toucher des aides publiques et continuer à rémunérer ses actionnaires ?

Interrogé par France Inter à ce sujet, le ministre de l'Economie, des Finances et de la Relance Bruno Le Maire a assuré le 16 juillet que "quand l'Etat apporte une aide directe, l'entreprise ne peut pas verser de dividendes".

Ce sont "des règles fixées par l'Etat" a ajouté le ministre.

Sur Twitter, ces propos ont aussitôt été dénoncés comme "Faux" par Alexandre Poidatz de l' ONG Oxfam. Ce spécialiste des questions financières évoque le cas de Vivendi, qui a "augmenté" ses dividendes, "tout en bénéficiant du chômage partiel" cette année. 

Dans un tweet adressé à Bruno Le Maire, l'économiste Maxime Combes, porte-parole du mouvement altermondialiste Attac affirmait détenir une "liste des entreprises du CAC40 et du SBF120 qui ont obtenu des aides massives de l'Etat et qui ont versé des dividendes".

Seulement deux types d'aides concernées par les obligations

En réalité, l'interdiction de verser des dividendes ne concerne que deux types d'aides publiques aux entreprises : les prêts garantis par l'Etat et le report de cotisations ou d'impôts.

Ce sont des "aides directes", selon les mots du ministre de l'Economie sur France Inter.

"Une entreprise qui bénéficie d'aides directes de l'Etat, par exemple sous forme de prêts et de trésorerie, ne peut pas verser de dividendes. On a déjà créé des obligations" a expliqué Bruno Le Maire sur France Inter.

En effet, dans une circulaire datée du 23 avril, le ministre avait donné comme instruction à son administration de n'accorder ni "prêts garantis par l'Etat" ni "report de charges fiscales et sociales" aux grandes entreprises si "elles versent des dividendes", "procèdent à des rachats d'actions" ou possèdent des intérêts dans certains paradis fiscaux (voir notre fact-check sur ce sujet).

Pour Maxime Combes, joint par l'AFP, "la distinction entre aides directes et aides indirectes" est "une entourloupe".

"Le chômage partiel c'est une aide directe. C'est un moyen de garder les compétences dans l'entreprise. L’entreprise reçoit l'aide, puis après verse le salaire" estime cet économiste, porte-parole d'Attac.

"​Quand une entreprise fait appel au chômage partiel c’est qu’elle a un souci pour payer ses salariés" ajoute-t-il.

Pour Alexandre Poidatz d'Oxfam :"Peu importe le type d'aides, il est incompréhensible qu'une entreprise qui bénéficie d'aides publiques verse des dividendes. Si elle est en difficulté économique, cela nécessite de pouvoir mobiliser l'ensemble de ses ressources."

"L'objectif unique" du dispositif de chômage partiel est "le maintien de l'emploi", explique Bercy à l'AFP le 16 juillet.

Exiger des conditions, telles que le non-versement des dividendes, auraient "ralenti le versement des aides et complexifié le process" estime le ministère, qui rappelle les "fortes" incitations à la "modération" prononcées par l'exécutif. 

Dès le 30 mars, Bruno Le Maire déclarait sur BFM TV : "J'invite toutes les entreprises qui ont accès aujourd'hui au chômage partiel (...) à faire preuve de la plus grande modération en matière de versement de dividendes."

Dans ce contexte, des groupes tels que PlasticOmnium, Michelin ou Veolia ont ainsi pu prévoir un versement de dividendes réduits, après avoir eu recours au chômage partiel durant l'épidémie.

Pas de loi mais des règles administratives

C'est le ministre lui-même qui signe ou non les prêts garantis par l'Etat aux grandes entreprises, il peut donc vérifier si celles-ci respectent leur engagement sur les dividendes.

Les entreprises ayant décidé le versement de dividendes avant le 27 mars, ne sont toutefois pas concernées par ces obligations.

Ce cadre réglementaire est fixé par la circulaire signée par le ministre le 23 avril.

Toutes ces règles sont détaillées dans le document "Engagement de responsabilité pour les grandes entreprises bénéficiant de mesures de soutien en trésorerie" publié le 5 mai 2020 sur le site du ministère de l'Economie.

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Capture d'écran du document "Engagement de responsabilité" publié sur le site du ministère de l'Economie

Ces documents sont des instructions données par la hiérarchie à son administration. Des règles administratives qui n'ont pas la force de la loi, déplorent Oxfam et Attac.

"Une règle c’est un instrument législatif qui affiche clairement ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas. On réclame une règle de droit redevable devant la justice" explique Attac.

Plusieurs amendements déposés au cours des projets de lois instaurant les différentes mesures de soutien ont tenté d'inscrire dans la loi l'interdiction du versement des dividendes par les grandes entreprises bénéficiaires d'aides publiques.

Ces amendements ont tous été rejetés (des exemples d'amendements : ici le 20 avril puis le 9 juillet déposés par les députés socialistes, ou le 19 juin par des députés de la majorité).

Pas besoin de loi qui "ne change rien dans les faits", car "il n'y a aucune raison que le ministre ne fasse pas respecter une règle qu'il a lui-même proposée" répond Bercy à l'AFP. 

Le ministère promet qu'en cas de non-respect des engagements, les entreprises devront "rembourser" avec "pénalités", "les prêts, des cotisations et des échéances fiscales reportés".

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