"Le socle des éoliennes resteront dans le sol" après leur démantèlement ? La loi française prévoit le contraire
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- Publié le 15 février 2021 à 16:42
- Mis à jour le 16 février 2021 à 14:30
- Lecture : 8 min
- Par : Françoise KADRI, AFP France
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La publication, illustrée par la photo des fondations d'une éolienne, affirme tout d'abord que "le socle d'une éolienne terrestre nécessite 1.500 tonnes de béton dans le sol". Ce chiffre correspond à au moins le double des quantités habituellement nécessaires, selon plusieurs spécialistes interrogés par l'AFP. "En moyenne, en France, on est plutôt sur du 600 tonnes pour une éolienne d'une puissance de 2 MW et 800 tonnes pour une machine de 3 MW", explique à l'AFP Camille Charpiat, en charge de l'éolien au Syndicat des énergies renouvelables (SER), en doutant que, pour les plus grandes éoliennes d'Europe (jusqu'à 5 MW), on puisse atteindre une telle masse de béton pour le socle.
Cela pourrait concerner des cas très spécifiques et rares, "par exemple pour des sols argileux, très meubles, où on serait obligés d'insérer des micro-pieux en béton", estime un responsable de l'association France Energie Eolienne (FEE), en confirmant qu'en France, "on est plus sur des socles de 600 à 800 tonnes".
(AFP / Mychele Daniau)
Pour la durée de vie d'une éolienne, "on est plutôt sur entre 20 et 30 ans" que sur une période de "15 à 25 ans" évoquée par la publication Facebook, indique le responsable de FEE.
Mais, surtout, il est faux d'affirmer comme le fait la publication, qu'après le démantèlement de l'éolienne, "le socle en béton et son ferraillage resteront dans le sol", soulignent les différents experts consultés par l'AFP.
Un arrêté pris le 22 juin 2020 et publié au journal officiel le 30 juin "introduit l'obligation de démanteler la totalité des fondations sauf dans le cas où le bilan environnemental est défavorable, sans que l'objectif de démantèlement puisse être inférieur à 1 mètre".
Avant l'adoption de cet arrêté, un bon nombre d'exploitants d'éoliennes (techniquement appelées aérogénérateurs) procédaient déjà à l'extraction des fondations, une "pratique assez diffuse" quand il s'agissait de baux conclus avec des agriculteurs, selon le responsable de FEE interrogé, qui rappelle que le principe d'un démantèlement complet "a été proposé par la filière (de l'éolien)". "Avant, on descendait jusqu'à un mètre sous la surface, maintenant on enlève tout le massif (le socle), ce qui est plutôt une bonne chose", explique le responsable.
"Il n'y a pas de sujet, il y a une obligation d'excavation totale sauf si cela avait des effets plus néfastes sur l'environnement" (comme un affaissement du terrain, par exemple, NDLR) que de laisser les fondations en place, confirme à l'AFP Jérémy Simon, délégué général adjoint au SER.
Des organisations critiques des éoliennes ont dénoncé auprès de l'AFP la brèche créée par les dérogations prévues à l'arrêté gouvernemental pour les exploitants de parcs éoliens qui fourniront une étude “démontrant que le bilan environnemental du décaissement total est défavorable". "Un bilan que les opérateurs ne manqueront pas de présenter à l'autorité décisionnaire, car évidemment pour détruire autant de béton il en faudra du gazole", a dénoncé dans un mail à l'AFP le collectif régional "Toutes nos énergies-Occitanie environnement".
Des dérogations seront possibles dès "que les dizaines de camions nécessaires pour évacuer les tonnes de béton et de ferraille et l’énergie consommée pour les recycler (seront) plus néfastes que le fait de les laisser dans le sol'". "On peut parier que le préfet et mêmes les riverains préfèreront ça que de subir un chantier long, bruyant et poussiéreux", a souligné le collectif. "Oui, moyennant cet artifice de communication, forcément le socle de béton restera en place dans une majorité des cas, malgré cette obligation virtuelle de tout excaver", a encore estimé le collectif.
Le parc éolien français est considéré comme assez jeune par les spécialistes et la question du démantèlement ne s'est pas encore posée de façon massive. Mais il y a déjà eu des démontages complets d'éoliennes avec extraction des fondations, comme le montre cette vidéo tournée il y a 10 ans au Parc de Criel-sur-Mer (Seine-Maritime).
L'arrêté du ministère de la Transition écologique du 22 juin 2020 "ajoute par ailleurs des objectifs de recyclage ou de réutilisation des aérogénérateurs et des rotors démantelés", qui vont devenir très stricts à partir de 2022.
A partir de juillet 2022, "il y aura une obligation de recyclage à 90% des éoliennes démantelées et la filière se structure pour s'y préparer", souligne Camille Charpiat du SER, en expliquant que le mat (pylone de support dépassant souvent les 100 m de haut), la nacelle (la salle des machines contenant les rotors) et toutes les parties métalliques (formées surtout d'acier, cuivre) se recyclent "assez bien ou peuvent être réutilisées". De même pour le béton du socle qui est concassé et sert ensuite à des travaux de voirie (routes, ponts).
Restent les pales qui représentent 7 à 8% de la masse des éoliennes et sont fabriquées avec des matériaux composites (mélange de résine et de fibres de verre ou de carbone). "On travaille à des solutions viables: actuellement elles sont broyées et valorisées en cimenterie, une partie est brûlée pour produire de la chaleur et une autre pour fabriquer du ciment", selon Mme Charpiat. Et des recherches sont en cours en France comme le projet Zebra, lancé en septembre 2020 par l'IRT Jules Verne, d'une durée de 42 mois, pour produire à terme des pales d'éoliennes 100% recyclables.
La part de l'éolien, qui a déjà fortement progressé ces 10 dernières années (1,5% en 2009), doit plus que doubler et passer de 7 ou 8% de la production d'électricité aujourd'hui, à 20% en 2028. Selon le responsable de FEE, "il y a beaucoup de vent en France, nous sommes le deuxième gisement en Europe, derrière la Grande-Bretagne". Face au réchauffement climatique, la France s'est en outre engagée à la neutralité carbone d'ici 2050, ce qui implique un recours accru à l'électricité décarbonée pour de nombreux usages (transports notamment). Comme l'expliquait l'AFP dans un article le 27 janvier, le gouvernement a deux options sur la table : une montée des énergies renouvelables accompagnée d'un nouveau programme nucléaire pour succéder au parc actuel, ou s'appuyer sur les renouvelables seules.
Le sujet est très délicat sur le plan industriel et politique en France car actuellement, le nucléaire, qui génère 220.000 emplois (contre à peine 20.000 pour l'éolien terrestre) représente 70% à 75% de la production électrique, et la France a prévu de réduire cette proportion à 50% d'ici 2035, en fermant 14 réacteurs en plus des deux de Fessenheim.
Beaucoup de critiques contre le développement de l'éolien terrestre (production en quantité variable, coûts de production de l'électricité en baisse mais toujours élevés, émissions de gaz à effet de serre pendant le cycle de vie, nuisances à la faune ou aux personnes) émanent des défenseurs du nucléaire, au nom de l'indépendance énergétique française. La filière éolienne assure, de son côté, ne pas vouloir opposer les différentes sources d'énergie qu'elle considère comme complémentaires. "Nous avons toujours défendu l'idée de ne pas faire reposer le mix énergétique français sur une seule énergie et de diversifier les sources", souligne M. Simon du SER.
Les membres du secteur ont constaté "une structuration très forte de l'opposition (à l'éolien) qui se professionnalise ces dernières années", selon Mme Charpiat. "Il existe des oppositions en effet, et il faut l'entendre. Mais depuis quelques années, l'agitation de certains opposants crée un effet de loupe qui ne rend pas compte de la perception réelle des Français sur cette énergie renouvelable", ajoute M. Simon.
Des personnalités de premier plan en ont fait leur cheval de bataille. La dirigeante d'extrême droite Marine Le Pen avait proposé un moratoire sur les éoliennes pendant la campagne présidentielle en 2017. En 2019, elle a repris sa lutte contre cette énergie renouvelable pendant la campagne de son parti le Rassemblement national pour les élections européennes. Le président des Hauts de France, Xavier Bertrand (divers droite, ex-LR), a de son côté demandé en juin 2020 que tous les projets de parcs éoliens soient soumis à des référendums organisés localement.
Pour tout projet éolien, il doit y avoir un référendum local. Je demande la possibilité à une collectivité locale de consulter les habitants avant une installation. Cette question doit être posée dans le référendum. #RTLMatin pic.twitter.com/KQyt5mlc2S
— Xavier Bertrand (@xavierbertrand) June 19, 2020
Et en octobre dernier, il s'est opposé à trois projets en cours dans l'Aisne, soulignant, selon un article de l'Union, que "la région Hauts de France a pris position contre le développement non maîtrisé de l'énergie éolienne". Il y rappelait aussi "notre volonté d'encourager le développement d’autres énergies renouvelables comme les énergies hydrolienne, hydraulique, solaire et de méthanisation", critiquant une multiplication des parcs éoliens dans sa région qui entraînerait "des nuisances visuelles et sonores pour les riverains et dénature les paysages".
Pourquoi tant de critiques contre l'éolien ? "essentiellement parce que c'est visible, c'est devenu emblématique de la transition énergétique", estime M. Simon. La filière constate néanmoins un taux d'acceptation très stable dans l'opinion publique française, voire même en hausse puisque, selon un sondage Harris Interactive réalisé à la mi-novembre 2020, 76% des Français ont une opinion positive (bonne image) des parcs éoliens (contre 73% deux ans plus tôt) et le taux est identique pour les riverains, habitant à moins de 5 kilomètres d'une éolienne.
EDIT : article mis à jour le 16/02 aux 9e et 10e paragraphes avec des déclarations du collectif "Toutes nos énergies-Occitanie environnement" et au 11e paragraphe avec des images de démantèlement total d'une éolienne en France.