La gare de Bordeaux Saint-Jean, le 3 avril 2018 (AFP / Georges Gobet)

La France "championne du monde des grèves"? Difficile à affirmer

  • Cet article date de plus d'un an
  • Publié le 03 avril 2018 à 16:45
  • Lecture : 5 min
  • Par : Guillaume DAUDIN
Plusieurs articles font de la France la "championne du monde des grèves". Si la France figure parmi les pays les plus grévistes, il est impossible d'établir des comparaisons internationales complètement pertinentes, faute de statistiques uniformes.

"Sur une décennie, les salariés français sont ceux qui dans le monde se mettent le plus souvent en grève. Le pic a été atteint en 2010, mais depuis la tendance était nettement en baisse" affirme par exemple BFMTV. Des médias comme Le Point ou des sites comme Statista abondent à leur manière.

Ils sont nombreux à s'appuyer sur une étude publiée en 2016 par l'institut de recherche économique WSI, associé à la fondation Hans Böckler, proche des syndicats allemands.

Selon cette étude, les Français sont en effet en tête avec en moyenne 132 jours de grève par an pour 1.000 salariés sur la période 2005-2014. Ils devancent les Danois (124), le Canada (110), la Belgique (84), la Finlande (71), l'Espagne (63), la Norvège (55). Les Allemands sont à 15 jours de grève par an.

Mais déjà, comme le rapportait l'AFP à l'époque, le WSI met en garde contre les comparaisons internationales, du fait de spécificités nationales dans les modes de calcul. Le chiffre pour la France se réfère ainsi au seul secteur privé. Quid de la fonction publique ? 

Comment comptabiliser ?

C'est là le principal écueil de cette étude, comme l'a relevé aussi Europe 1: elle ne s'intéresse qu'à 17 pays dans une période délimitée, 2005-2014 (et 2005-2013 pour la seule France). 17 pays, 17 méthodes pour compter.

L'Organisation internationale du travail (OIT) a tenté de bâtir un tableau plus large pour savoir ce qu'il en est. Résultat, 50 pays et pratiquement 50 méthodes pour compter, à tel point que de nombreux pays sont comptabilisés de deux manières parce qu'ils ont eux-mêmes changé de méthode comptable entre 2004 et 2016.

Les données récensées par l'OIT ne commencent pas ou ne finissent pas à la même date selon les pays, ne concernent pas le même périmètre d'activité, et les sources locales diffèrent... Aux Etats-Unis, par exemple, ce taux est extrêmement bas. Mais les statistiques y excluent d'office "les grèves avec moins de 500 travailleurs".

L'OCDE (Organisation pour la coopération économique et le développement) est aussi prudente dans ses propres statistiques sur le sujet, comme on peut le lire dans cette note de bas de page:

Quelles années prises en compte ?

Il est difficile de décerner un titre de "champion du monde des grèves" avec dix années comme seule référence.

Prenons par exemple les chiffres de l'OCDE dans un pays à l'évolution particulièrement marquée, le Costa Rica. L'OCDE comptabilise dans ce pays les "moyennes annuelles de journées de travail perdues pour 1.000 salariés" dans "tous les secteurs", en incluant les journées "perdues" par "les travailleurs indirectement concernés par les grèves, par exemple ceux qui ne peuvent pas travailler parce que d'autres personnes sont en grève sur leur lieu de travail" mais pas les "grèves politiques et non autorisées".

Résultat, la moyenne annuelle dans ce pays d'Amérique centrale connaît des évolutions fulgurantes selon les périodes: elle passe de 2773 journées de travail perdues annuellement par 1.000 salariés dans les années 1990 à 2,55 entre 2000 et 2007. Ce taux regrimpe ensuite à 205 entre 2008 et 2015.

Et la France, dans tout ça ?

La France est tendantiellement parmi les pays les plus grévistes, selon les chiffres de l'OCDE qui débutent en 1990, mais elle a toujours été devancée: par le Costa Rica dans les années 1990, par Israël entre 2000 et 2007, par le Danemark ou le Costa Rica entre 2008 et 2015. Mais rappelons encore une fois que les modes de calculs d'un pays à l'autre diffèrent, et même au sein d'un pays: selon la Dares, les calculs ne sont "pas comparables" en France avant et après 2005.

Après 2005, justement, on remarque en France que le nombre de "journées individuelles non travaillées pour fait de grève pour 1.000 salariés en emploi" (JINT) varie fortement jusqu'à 2015 (statistiques Dares).

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Entreprises ayant déclaré au moins une grève et nombre de jours de grève pour 1.000 salariés en France de 2005 à 2015 (Dares)

On observe ainsi que la moyenne est de 129 JINT entre 2005 et 2009, atteint un pic à 318 en 2010, année de mobilisation contre la réforme des retraites du gouvernement Fillon, avant d'être en moyenne à 73 JINT entre 2011 et 2015. Une tendance donc à la baisse sur cette période, mais très tributaire des variations annuelles. Et ces chiffres, rappelons-le, ne concernent que les "entreprises de 10 salariés ou plus du secteur marchand non agricole en France métropolitaine."

Sur la grande absente de ces statistiques françaises, la fonction publique, moins de données existent, mis à part celles de la Direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) qui s'attachent à tracer "l'évolution du nombre de jours perdus pour fait de grève interministérielle, ministérielle ou sectorielle depuis 1999" et qui portent sur la seule fonction publique d'Etat. 

La fonction publique d'Etat, c'est 2,5 millions d'agents fin 2015, soit 43,9% de l'ensemble des fonctionnaires. D'après ces statistiques, il y a eu dans cette fonction publique deux pics de grève, en 2003 et 2010, et depuis 2012, un taux tendantiellement bas par rapport à la moyenne 1999 - 2016.

Mais ces statistiques sont partielles eu égard au nombre de fonctionnaires: ils sont 2 millions dans la fonction publique territoriale (aucune donnée n'est publiée sur les journées de grève dans ce secteur, selon le Rapport annuel sur l'état de la fonction publique p. 467) et 1,2 million dans la fonction publique hospitalière (les dernières données datent de 2008, de même source).

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