"Des centaines de milliers de gens célèbrent" Lakdim? Rien ne permet de l'affirmer
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- Publié le 29 mars 2018 à 15:00
- Mis à jour le 30 mars 2018 à 14:55
- Lecture : 4 min
- Par : Guillaume DAUDIN
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L'affirmation avait suscité de nombreuses critiques sur Twitter, encapsulée dans un tweet de l'émission Punchline:
Attentats de l'Aude : "Dans toute une partie de la France, le héros c'est Lakdim. Des centaines de milliers de gens célèbrent sa mémoire aujourd'hui" rappelle @MontbrialAvocat sur @CNEWS pic.twitter.com/rAX5XhDqff
— Punchline (@punchline) 26 mars 2018
"Dans toute une partie de la France, le héros c'est Lakdim. Il faut avoir conscience de ça. Il y a des centaines de milliers de gens qui aujourd'hui célèbrent la mémoire aujourd'hui de Radouane Lakdim" avait précisément affirmé Me de Montbrial, avocat classé à droite et également président d'un "Centre de Réflexion sur la Sécurité Intérieure".
De quoi parle cet avocat ?
Interrogé par l'AFP, Me de Montbrial a "admis bien volontiers la maladresse du mot +célébrer+. +Célébrer+, c'était pas au sens matériel, c'était pas au sens +on va se rassembler+". L'avocat explique que par "célébrer", il voulait dire "s'en réjouir", mais pas par une manifestation physique extérieure telle qu'un rassemblement.
Partant de là, il maintient son "estimation" tout en la réduisant au téléphone à "100.000 à 200.000 personnes" se réjouissant de l'acte de Lakdim, qui a tué 4 personnes vendredi entre Carcassonne et Trèbes.
Ce chiffre, ajoute Me de Montbrial, correspond à ceux qui "pensent en eux-même, et pas sur la place publique", que les meurtres de Lakdim "c'est pas si mal, qui ont des sentiments partagés, qui considèrent que Lakdim est dans une forme de résistance politique". Ce qui est différent de "célébrer" ou "se réjouir".
"Je dis pas non plus qu'il y a plusieurs centaines de milliers de jihadistes", précise-t-il encore: "Je parle des islamistes, je dis qu'en France il y en a au moins 100.000, et à mon avis plus, on est plutôt à 200.000 islamistes, des gens qui partagent l'idéologie de l'islam radical".
"Je parle de centaines de milliers de gens, mais ce que je vise c'est certainement pas les musulmans dans leur immense majorité", souligne-t-il.
Comment parvient-il à ce chiffre ?
"Evidemment", reconnaît-il, "il n'y a pas de statistiques".
"Je m'appuie sur les estimations sur le nombre de salafistes: (l'ex Premier ministre PS) Manuel Valls a dit il y a deux ans qu'il y avait 80.000 salafistes, il y a des travaux de l'Institut Montaigne, 28% des personnes se déclarant de religion ou de culture musulmane considèrent que la charia prime la loi de la République", poursuit-il.
1. Les chiffres attribués à Manuel Valls
Le chiffre de 80.000 attribué à Manuel Valls est introuvable: Me de Montbrial a reconnu à l'AFP une "confusion".
Elle vient de ce que Manuel Valls avait évoqué en avril 2016 la proportion de 1% de musulmans "salafistes". Pour Thibault de Montbrial, "il faut de la prudence mais je dirais qu'il y a 6 à 8 millions de musulmans de religion ou de culture". Ce qui permet de retomber son estimation haute du nombre de salafistes, de 60.000 à 80.000.
Dalil Boubakeur, alors président du Conseil français du culte musulman, avait lui estimé ce nombre à "sept millions" en avril 2015, au moment où il demandait de "doubler le nombre de mosquées".
Le Pew Research Center estimait lui dans une étude que 5,72 millions de musulmans vivaient en France en 2016.
Le nombre de musulmans en France est d'ailleurs généralement considéré comme étant plus proche de 5 millions, ce qui fait près de 50.000 salafistes si la proportion de M. Valls était juste.
L'étude de l'Institut Montaigne/Ifop, que nous évoquons plus loin en détail, est aussi intéressante pour quantifier le nombre potentiel de musulmans en France: elle a été réalisée en réunissant un échantillon représentatif de la population résidant en France métropolitaine de 15.459 personnes de 15 ans et plus. En a été extrait un "échantillon spécifique de personnes musulmanes ou de culture musulmane" de 1.029 personnes, parmi lesquels 874 se définissent comme "musulmans". Extrapolé aux plus de 67 millions de personnes résidant en France au 1er janvier 2018, cela donne un peu moins de 4,5 millions de "personnes musulmanes ou de culture musulmane" vivant en France et environ 3,75 millions de personne "se définissant comme musulmans", selon nos calculs.
Rappelons aussi que la seule part des salafistes parmi la population de religion musulmane en France fait débat: certains l'estiment supérieure à ce qu'en disait M. Valls, comme l'expliquait cet article de L'Express.
2. L'étude de l'institut Montaigne
Me de Montbrial s'appuie donc aussi sur l'étude de septembre 2016 du libéral Institut Montaigne faite avec l'Ifop pour faire son "estimation" du nombre de personnes se "réjouissant" de l'attaque de Radouane Lakdim.
Cette étude agglomérait après analyse 28% des musulmans de France, le chiffre évoqué par l'avocat, dans une catégorie spécifique, celle des "musulmans qui ont adopté un système de valeurs clairement opposé aux valeurs de la République."
Dans cette étude, rien ne dit donc que tout ou partie de ces 28% de musulmans français catégorisés comme "opposés aux valeurs de la République" approuvent une attaque terroriste avec ou sans victimes, d'autant qu'elle a été produite largement avant celle de l'Aude.