Faux, cette vidéo n'a pas été prise lors d'un récent meeting politique au Cameroun
- Cet article date de plus d'un an
- Publié le 12 février 2020 à 13:34
- Mis à jour le 26 novembre 2020 à 16:12
- Lecture : 4 min
- Par : Monique NGO MAYAG, Mary KULUNDU
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Pendant une minute, un tourbillon incontrôlable balaie, au milieu de cris de la foule, des dizaines de chaises disposées dans une cour en terre ocre, devant ce qui ressemble à une installation d’orchestre composée d’une batterie, d’un support de piano et de matériel de sonorisation.
La vidéo accompagne une publication du 4 février devenue virale au Cameroun, avec plus de 2.300 partages. "Meeting du R.D.P.C à Ntonga. Venez encore mal. La prochaine fois, c’est le tonnerre", ironise l’auteur.
Postée en pleine campagne électorale pour les législatives et municipales, ces images ont été largement reprises, avec des légendes situant l’incident tantôt à Mbouda, dans l’ouest du pays, tantôt au “Nord Cameroun”, toujours pour moquer le parti RDPC (1,2).
Le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) est le parti du président Paul Biya, au pouvoir depuis 37 ans.
Cette formation politique est la grande favorite des élections législatives et municipales qui se sont tenues le 9 février 2020, après avoir été reportées à deux reprises depuis 2017. Les premiers résultats de ces scrutins, boycottés par une partie de l’opposition, étaient attendus à partir du 12 février, selon le directeur de l’organe de régulation des élections (Elecam), contacté par l’AFP.
Mais cette vidéo n’a en réalité aucun rapport avec la récente campagne électorale au Cameroun.
Elle avait même déjà été utilisée -déjà au Cameroun et déjà de manière trompeuse- il y a plus un an et demi dans un contexte similaire, durant la campagne présidentielle du 7 octobre 2018 (1,2).
Du Kenya à l’Afrique du Sud
Une recherche d’images inversée grâce à l’outil Invid-WeVerify* fait apparaître cette séquence dans diverses publications plus anciennes ailleurs en Afrique.
Un article publié le 2 octobre 2018 sur le site du journal britannique le Daily Mail évoquait déjà ce "tourbillon", en affirmant que l’incident s’était déroulé au Kenya. "Un tourbillon féroce perturbe un évènement religieux au Kenya [...] et certains fidèles prétendent qu’il s’agit d’une mini tornade envoyée par des sorcières", peut-on lire.
Contacté par l’AFP, la rédaction du Daily Mail a indiqué avoir acquis les droits sur cette vidéo auprès de l’agence Newslions. Cette agence n’a pas encore réagi à la demande d’information de l’AFP.
On retrouve également ces mêmes images intégrées dans un article du site kényan The Daily Post datant, lui, du 1er août 2018.
Cette fois, l’article intitulé "C’est de la sorcellerie !" propose un lien vers une publication sur Facebook postée le même jour, qui compte plus de 2 millions de vues et 67.000 partages.
L’auteur de cette publication, qui se présente comme une "pasteure" sur son profil, affirme qu’il s’agit d’une "croisade" d’évangélisation qui a mal tourné à Ukambani, localité située non loin de la capitale kényane Nairobi.
Parmi les commentaires, un internaute mentionne une autre publication postée deux heures plus tôt et évoque, lui, la ville de Garissa, dans l’est du Kenya.
On retrouve également la même vidéo sur plusieurs comptes Youtube localisant la scène dans le Limpopo, une province d’Afrique du sud, en 2018 (1,2).
Le swahili n’est pas parlé au Cameroun
En écoutant attentivement les interlocuteurs de la vidéo, l’AFP a pu identifier la langue swahili, répandue en Afrique de l’Est et australe (Kenya, Ouganda, Comores, Rwanda, Tanzanie, Burundi, Somalie, Zambie, Afrique du sud...) mais qui n’est pas parlée au Cameroun.
"A la première seconde, on entend une voix de femme prononcer le mot+pepo+ qui peut signifier vent ou mauvais esprit, dans ce cas, il s’agit a priori d’un rassemblement religieux", explique Mary Kulundu, journaliste AFP-Factuel au Kenya, qui parle couramment le swahili.
"A la 55e seconde, lorsque le vent se fait plus violent, on entend +Kwa Jina la Yesu+, qui signifie +Au nom de Jésus+. On dirait qu’ils font une sorte de prière pour calmer le vent", ajoute-t-elle.
Phénomènes météorologiques assez courants, les tornades charrient leur lot de croyances et superstitions.
Pour les plus croyants, ces tourbillons sont une manifestation divine. En Afrique du Sud et au Kenya, certains pasteurs évangéliques les utilisent pour démontrer leur "puissance" (1). Ainsi, dans cette vidéo (à 3’26”) montrant un tourbillon durant une prédication du "prophète Shepherd Bushiri", très populaire en Afrique du sud, ce dernier prétend qu’il s’agit d’une intervention de Dieu.
Dans la vidéo diffusée récemment au Cameroun, certains internautes y voyaient dans ce tourbillon un signe de Dieu qui s’opposait la tenue des élections.
Le "dust devil", un phénomène naturel
Contacté par l’AFP le 10 février, le Pr Frank Roux, chercheur au Laboratoire d’aérologie de l'Observatoire Midi-Pyrénées en France, explique que la vidéo qui fait l’objet de notre recherche montre "un phénomène réel de tourbillon atmosphérique appelé +dust devil+, en français +tourbillon de poussière+".
De tels tourbillons sont des phénomènes habituels et plutôt récurrents "dans des régions tropicales ou sub-tropicales avec un climat chaud et des périodes sèches pouvant favoriser ce genre de phénomènes" (sud des Etats-unis, Mexique, Sahel, Afrique du Nord, Inde... ), ajoute-t-il.
On a ainsi pu constater ce phénomène dans une cour de récréation d’une école en Indonésie, ou lors d’un match de baseball dans l’état de l’Illinois aux Etats-Unis.
"La formation d'un tourbillon est un phénomène sporadique, difficile à prévoir, et dont la durée est généralement assez courte, 1 à 2 minutes maximum", souligne le Pr Frank Roux, ajoutant qu’il existe des tourbillons de neige, de feu, de vapeur...
"On a même vu de tels tourbillons de poussière au Château de Versailles" (1), en France, explique-t-il.
S’il est difficile de localiser précisément cette vidéo, les recherches menées par AFP-Factuel font apparaître clairement que ces images n’ont pas été prises lors de la campagne électorale début 2020 au Cameroun.
*Outil développé notamment par l'AFP et permettant, entre autres, d'effectuer des recherches inversées à partir de vidéos.