Non, l'Union européenne n'a pas décidé de retirer ses droits de vote à la Slovaquie
- Publié le 7 novembre 2025 à 14:24
- Lecture : 6 min
- Par : Meissa GUEYE, AFP France
Copyright AFP 2017-2025. Toute réutilisation commerciale du contenu est sujet à un abonnement. Cliquez ici pour en savoir plus.
Le Parlement slovaque a adopté fin septembre un amendement constitutionnel limitant les droits des personnes LGBT+ dans le pays. Depuis, de nombreuses publications sur les réseaux sociaux affirment que l'Union européenne aurait décidé, en réaction, de priver la Slovaquie de ses droits de vote en tant qu'Etat membre, à l'initiative des Pays-Bas. Mais c'est faux. Si le parlement néerlandais a en effet appelé à former une coalition de pays européens pour engager une procédure permettant de sanctionner la Slovaquie, rien n'indique que le gouvernement néerlandais allait le faire. Et à ce jour, aucune procédure n'a été lancée au niveau européen pour priver la Slovaquie de ses droits de vote en novembre 2025.
Un amendement constitutionnel anti LGBT + a été adopté par le Parlement slovaque le 26 septembre 2025 (lien archivé ici). Le texte restreint les droits des couples de même sexe et rend plus difficile le changement de genre des personnes intersexuées en Slovaquie, réaffirmant au passage la primauté du droit national sur le droit européen.
La Commission de Venise, organe consultatif du Conseil de l'Europe sur les questions constitutionnelles, avait mis en garde la Slovaquie contre un tel amendement dans un avis rendu le 24 septembre 2025. Selon elle, cet amendement risquait de mettre la Slovaquie en porte-à-faux avec ses obligations internationales en tant que membre de l'UE et signataire de ses traités.
Dans ce contexte, plusieurs publications sur les réseaux sociaux affirment, notamment en français (1, 2, 3) et en anglais (1, 2, 3), que l'Union européenne s'apprêterait à sanctionner la Slovaquie, membre de l'UE depuis 2004.
"L'UE s'apprête à priver la Slovaquie de ses droits de vote. La raison ? La législation slovaque ne reconnaît désormais que les genres masculin et féminin", peut-on par exemple lire dans un post sur X datant du 1er novembre 2025.
"Cette décision a été prise à l'initiative du gouvernement néerlandais, qui a reconnu que le refus de reconnaître plus de deux genres viole les droits des minorités sexuelles", poursuit le message, qui cite une autre publication (rédigée en anglais) partageant une photo du premier ministre nationaliste slovaque Robert Fico et de la présidente de la Commission européenne, Ursula Von Der Leyen.
Le post a été publié par le compte de Silvano Trotta, un relais récurrent de désinformation sur les réseaux sociaux, comme l'AFP l'a déjà vérifié. Créateur d'une société de télécommunication, il a gagné une certaine notoriété en ligne sur sa chaîne YouTube où il parlait des "vérités cachées" sur les ovnis et divers faits d'actualité. L'observatoire en ligne des théories du complot Conspiracy Watch a dressé son portrait (lien archivé ici).
Bien que l'adoption de l'amendement constitutionnel slovaque ait suscité l'inquiétude d'organisations de défense des droits humains comme Amnesty International ou comme l'Agence des droits fondamentaux de l'UE (FRA), aucune mesure n'a été prise par l'Union européenne à ce jour visant à priver la Slovaquie de "ses droits de vote" (liens archivés ici et ici).
Aucune procédure initiée
Le 16 octobre 2025, la chambre des représentants des Pays-Bas a adopté une motion parlementaire (lien archivé ici) qui demande au gouvernement néerlandais d'aborder la question de la Slovaquie au sein du Conseil des affaires générales, lequel coordonne la préparation des réunions du Conseil européen.
La motion invite également à la formation d'une coalition d'Etats membres de l'UE afin d'engager une procédure - au titre de l'article 7 du Traité sur l'Union européenne (TUE) - contre la Slovaquie (lien archivé ici).
Il s'agit d'une demande adressée au gouvernement néerlandais, lequel n'a aucune obligation d'y donner suite. S'il souhaitait y répondre favorablement, le gouvernement devrait rédiger une proposition formelle de déclenchement de l'article 7 du TUE visant la Slovaquie et chercher des soutiens parmi les autres Etats membres (lien archivé ici).
L'article 7 prévoit un mécanisme de prévention (art. 7.1) et un mécanique de sanctions (art. 7.3) envers tout Etat membre de l'UE qui ne respecterait pas les valeurs énumérées dans le traité : "Les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d'égalité, de l'Etat de droit, ainsi que de respect des droits de l'homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités" (art. 2).
La procédure qui permet d'activer le mécanisme de sanctions peut conduire à la suspension des droits de vote d'un Etat membre au Conseil de l'Union européenne - et donc de sa participation à une large partie des décisions européennes, qui continueraient toutefois de s'appliquer à lui. Il s'agit du niveau maximal de sanctions que peut imposer l'UE à l'un de ses membres.
Le mécanisme de sanctions peut être activé par la Commission européenne ou par un tiers des Etats membres (au moins 9 sur 27 à ce jour), après approbation du Parlement européen (art. 7.2).
Si tel était le cas, il reviendrait alors au Conseil européen de "constater l'existence d'une violation grave et persistante" des valeurs fondatrices par un Etat membre (art. 7.2) et non plus seulement un "risque". Cette décision devrait être prise à l'unanimité moins le pays concerné, exclu du vote (art. 354 TFUE, lien archivé ici).
Si le Conseil européen franchissait cette étape, les droits de vote du pays concerné pourraient être suspendus.
S'agissant du cas slovaque, "aucune décision visant à priver la Slovaquie de ses droits de vote n'a été prise, et aucun processus n'a été engagé à cette fin", a indiqué à l'AFP une source diplomatique d'un pays européen le 4 novembre 2025.
Le service de presse de la Commission européenne a également confirmé à l'AFP le 5 novembre 2025 "qu'aucune procédure au titre de l'article 7 n'est actuellement en cours ni sur le point d'être lancée concernant la Slovaquie".
Aucune mention d'une procédure au titre de l'article 7 du TUE concernant la Slovaquie ne figure par ailleurs dans les conclusions de la dernière réunion du Conseil européen du 23 octobre 2025.
Une recherche sur le site du Journal officiel de l’Union européenne n'a permis d'identifier l'existence d'aucune décision récente du Conseil de l'UE relative à une éventuelle suspension des droits de vote de la Slovaquie (lien archivé ici).
Outre la prétendue "décision" mentionnée par les publications trompeuses sur les réseaux sociaux, il n'existe à propos de la Slovaquie aucune trace de communiqués de presse ou de comptes-rendus de débats, qui avaient pourtant été entièrement publics lors des précédents déclenchements de l'article 7 du TUE : contre la Pologne en 2017 et la Hongrie en 2018 (liens archivés ici et ici).
Procédure rare
Dans les deux derniers et uniques cas où l'article 7 du TUE a été déclenché, la suspension des droits de vote n'a jamais été appliquée.
En 2017, la Commission européenne avait déclenché pour la première fois l'article 7 du TUE à l'encontre la Pologne, pour atteinte à l'indépendance de la justice et réformes jugées contraires à l'Etat de droit (lien archivé ici).
La procédure, qui a conduit à une série d'auditions au Conseil des affaires générales, s'est achevée en mai 2024 - sans atteindre la phase de sanctions - après que la Commission a conclu qu'il n'existait plus de risque manifeste de violation grave de l'Etat de droit en Pologne (lien archivé ici).
La procédure prévue à l'article 7 a de nouveau été engagée par le Parlement européen en 2018 contre la Hongrie (lien archivé ici). Celle-ci n'a pour l'instant pas dépassé la phase préventive et est toujours en cours : la 8ᵉ audition de la Hongrie s'est tenue le 27 mai 2025.
Seconde demande des députés néerlandais
En plus de celle précédemment citée, la chambre des représentants des Pays-Bas a adopté une deuxième motion parlementaire le 16 octobre 2025 (lien archivé ici).
Cette seconde motion demande au gouvernement néerlandais de déposer une plainte formelle contre la Slovaquie devant la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, lien archivé ici), sur la base de l'article 259 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE, lien archivé ici).
L'article 259 est un mécanisme du droit européen qui permet à un Etat membre de saisir la CJUE s'il estime qu'un autre Etat membre a manqué à une des obligations qui lui incombent en vertu des traités (lien archivé ici).
Or, la Cour de justice de l'Union européenne ne peut pas retirer les droits de vote d'un Etat membre.
La CJUE intervient pour constater des violations du droit de l'Union dans le cadre d'un contentieux juridique. Mais elle n'a aucun pouvoir décisionnel sur la représentation d'un Etat au sein du Conseil de l'Union européenne. Même si le gouvernement néerlandais venait à saisir la Cour de Justice de l'Union européenne sur la base de l'article 259 du TFUE, la privation des droits de vote de la Slovaquie ne fait pas partie des sanctions prévues dans le cadre de cette procédure.
